18 avril 2024
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Abdellah Mohya : Vers scintillants

HOMMAGE

Abdellah Mohya : Vers scintillants

« …l’activité mathématique s’intègre dans l’histoire des idées et dans l’histoire des sociétés avec leurs évolutions, leurs changements techniques et leurs révolutions industrielles. » Marc Moyon.

Qu’apprendrions-nous d’un poète décidé à aller implanter des sens jusque dans les cimetières fermés de la logique ? Quelle hauteur de vue de cet artiste qui se reconnaît, par sa culture, dans le processus universalisant les faits. Algérianiste, feu Mohya dédie sa mémoire à ceux dont la mission est de préserver la révolution de tout germe bourgeois.

Il nous invite à boire à la fontaine des dieux du politique : le verbe de Mohya nous éloigne des fadeurs discursives et des faux carnavals politico-existentiels auxquels sont habitués les groupes droitiers.

Prendre un retrait sans risque pris d’être taxé de bourgeois ? Mohya pense le politique comme une prière en faveur des masses éprouvées par le technicisme hégémonique et les usures discursives.

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1- Les pertes anonymes

La révolution agonise quand le soleil brille par sa passivité, nous dit Mohya quand, dans son monologue Je me crus mort, il dénonce l’immobilisme auquel est réduit le peuple. Le peuple est le moment de communion des subjectivités pourtant rebelles au progrès. L’immobilisme induit par l’arrêt immédiat (moment d’agonie) du corps dont l’esprit continue à respirer l’air des vivants frappe les Etats-Nations décolonisés. Agonisant, Mohya se ressaisit et dénonce l’état de moisissure sur lequel aboutira la révolution. Le terme de la fête serait-il le deuil ? Mohya voit dans les élans psychiques des entités nationales un avantage pour l’accès à la révolution sociale. Mourir en plein milieu de l’espace public peut être une métaphore, c’est avoir été éconduit par les forces dominantes dans les luttes idéologiques : la mort de l’Être ne signifie pas forcément la victoire de la révolution.

Mohya dépassionne la mort en rendant les révolutionnaires responsables de l’échec de l’œuvre révolutionnaire. La logique dualiste se referme sur elle-même, elle laisse les bourgeons de la verbalité fleurir. Le multiple, c’est aussi l’affaire du poète, pas que celle des militants.

Le cheminement de ce monologue est métaphorique de l’état de la Nation algérienne. La fraîcheur qui a suivi le moment de la mort signifie la vivacité de l’œuvre révolutionnaire accomplie par le peuple algérien. Suivra alors un immobilisme terrible. Le révolutionnaire perd sa main : la réflexion nargue l’action. Cela est l’horreur que ressent l’intellectuel organique à qui, par réflexe sécuritaire empli de clichés soupçonneux, est confié le secrétariat. Pour liquider un militant, on lui confie la confection de tracts : en voulant être théoricien, on devient poète. L’on sait ce que reproche Sartre aux poètes. La révolution n’est pas dupe : elle connait ses fidèles adeptes et ceux qui ont atterri dans l’espace de la mutation idéologique. L’hygiène discursive veut que l’attitude spinoziste soit un principe directeur dans l’approche des objets scientifiques. L’éthique est une logique où le propre pourrait être appréhendé par le tribunal scientifique. Ceux qui se tiennent en marge de la révolution ne regrettent pas d’avoir raté la contribution à l’œuvre révolutionnaire. Ils traitent cette œuvre de fait mineur, eux qui considèrent leur vie comme la centralité de l’Existence collective. Rien ne se fait sans eux, pourrions-nous comprendre. Or, la révolution n’atteint sa pleine vie qu’en regardant dans le firmament où les sens échappent même aux Cieux. Révolte des dieux… Être vu comme mort, c’est se refuser à un suicide aux marques bourgeoises.

Le politique se dévitalise en n’ayant pas d’école où la pédagogie veille au conditionnement à l’antilogique Réaction à laquelle sont réduites les masses. Les masses ne savent pas détester les professionnels de la politique.

2 – La scansion parasitée

L’existentialité (j’ai employé ce mot dans mes travaux) menée par Mohya se tient par trois postures. D’abord un défi des cadres bourgeois. Ensuite, un attachement à l’acte politique. En dernier lieu, un culte du sémiosis. Mohya ne nous dit pas grand-chose des liens de l’Être social à ses congénères à travers les cadres historiques. Il n’est ni journaliste, ni secrétaire d’un parti, ni ministre. Il accomplit sa mission de poète en donnant de la dignité à la politique. Est-il né politique ou militant ? Si militer veut dire neutraliser les dominants, Mohya l’est. Il est militant pour ouvrir la voie à tous les opprimés, dont les penseurs existentialistes. Nous ne lui trouvons que quelques interviews furtives. Timides. La technique n’a pas réussi à le réduire au silence ou à le dénaturer. Les médias pilotent les carrières des uns et des autres, mais Mohya est resté libre de ses mouvements, autonome de toute contrainte bourgeoise, rebelle à tout conditionnement. Mais l’essentiel, c’est qu’il n’a nul ressentiment envers la vie qu’il continue de décrire dans ses segments les plus invisibles. Anti-conservateur, il a su garder l’espérance comme moyen de dialogue avec les congénères.  

Mohya a été très dur vis-à-vis de l’acte politique dans sa version bourgeoise. Il militait par la pensée dramaturgique, en faisant du dialogue le moyen d’accès à une dialectique opposant les muets à ce qui les faits prisonniers de leurs appareils biologiques qu’est le capitalisme. Vivre de son corps éprouvé par l’âpreté de la vie, c’est à cela que nous invite le modèle capitaliste. Il y a une éthique du corps que le marxisme ne met de l’avant dans ses luttes quotidiennes. Le politique chez Mohya, c’est l’accès des opprimés à l’espace artistique.

L’intellectuel qu’est Mohya ne peut prétendre à la démission collective consistant à l’abandon de la vulgate idéologique contre un rôle mineur et néanmoins très prisé par ceux dont la mission est de maintenir les masses dans une lutte permanente menée sur un tracé qui suit l’être dans ses écarts les plus intimes.

Sans être spiritualiste, Mohya donne au politique ses vrais pouvoirs : en conditionnant les militants à voir du côté des opprimés, il freine la machine bourgeoise à laquelle ne résistèrent quelque temps après ses compagnons de lutte. Les avrilistes quatre-vingts sont les soixante-huitards de l’Algérie.

Le sens n’est pas à repérer, c’est lui qui nous interpelle. En allant chercher dans l’universel, il donne à tout un sens modulable à la civilisation humaine. Dans les extraits que nous pouvons écouter de Mohya, nous pouvons nous rendre compte de son ouverture généreuse au savoir : quérir le sens dans les segments les plus invisibles de l’Existence, c’est un acte progressiste. Il dévitalise la Réaction et nargue les conservateurs. Mohya est l’élève discipliné de la créativité : il interroge ce qui semble être sans intérêt.

En fait, il crée sans avant-gardisme tapageur. Le sens qui se cache dans l’Existence est plus important de toutes les formations discursives conceptualisées.

Le sens s’invite dans les plus basses unités lexicales, bien que celles-ci soit de temps à autre hégémoniques. L’incrimination du porteur de sens dans l’affaire de la fabrication du Réel peut être rejetée, car les déterministes sont légion. Mohya rend à la liberté sa place : il part d’un ordre monologique pour aboutir à un dialogue historique avec son public (ce mot est grossier tant il triche avec le Réel).

Mohya a brisé l’ordre mondial ouvert par l’impérialisme intellectuel. Il traite des mêmes thématiques que celles de ses contemporains.

Ionesco et Beckett interagissent, sans conflit de cultures, avec Mohya. L’arrivée de Mohya au monde des lettres a réussi à joindre le silence à la gloire. Le matheux se trompe de sa discipline : il accède à la création sans ressentir le formatage qu’ont exercé sur lui les mathématiques.   

Auteur
Abane Madi       

 




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