20 avril 2024
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Ahmed Medjani : « Je rêve d’une fresque géante qui va résumer le marasme des Algériens »

RENCONTRE avec un caricaturiste

Ahmed Medjani : « Je rêve d’une fresque géante qui va résumer le marasme des Algériens »

Ahmed Medjani est un dessinateur et caricaturiste a le verbe sans concession et le coup de griffe ravageur. Il y a de l’indignation sur le sort fait au métier de dessinateur de presse dans le propos de ce natif de la vallée de la Soummam.

Le Matin d’Algérie : Comment en êtes-vous venu au dessin et à la caricature ?

Medjani Ahmed : J’ai découvert la caricature par pure hasard, vers 14-15 ans j’avais un don artistique, je reproduisais des paysages, des croquis…etc. Quand je me suis mis à lire les journaux, j’ai découvert ce monde, celui de la caricature (Dilem, Hic et Ayoub) s’était le coup de foudre, entre moi et ces gribouillages, un monde où un simple dessin avec une bulle peut dire autant qu’une chronique, un article ou une contribution. Un monde magique où il ne suffit pas de dire « tiens je vais faire un dessin ! » non ça demande de l’inspiration, de la réflexion, de la recherche et beaucoup de méditation.

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Le Matin d’Algérie Que retenez-vous de votre passage dans la presse ?

Je trouve que notre presse est pathétique, une presse qui ne cesse de dénoncer les censures et la mainmise de l’Etat, elle ne va pas hésiter une seconde à censurer tes dessins sous plusieurs prétextes bidons.

Une presse qui ne respecte pas ses engagements envers vous, en découvrant par exemple que tant d’années à travailler pour elle tu n’es même pas affilié à la sécurité sociale !

Des pratiques dignes du journalisme de caniveaux, du moyen âge.

Le Matin d’Algérie : Vous est-il arrivé de vous auto-censurer ?

M’autocensurer ? Oui, ça m’arrive, il y a des dessins que je juge très agressifs, pour une société violente de nature, je n’ai pas envie d’ajouter de l’huile sur le feu, et que l’effet de d’individuation me traine. Il y a d’autres dessins qui ne sont pas compatibles avec l’esprit très étroit de notre société, fruit des années de bridage et d’endoctrinement, mon travail est de faire passer des messages claires à tous les Algériens, à les réveiller, non pas à en faire des ennemies, dans ce cas on sera, rien, qu’une cruche vide. Ce n’est pas mon rôle de faire changer les choses, porter une touche oui, mais il faut plusieurs générations pour y arriver.

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il une caricature que vous auriez aimé avoir réalisé ?

Il y a un projet, une fresque géante sur laquelle tous les caricaturistes du pays mettront leurs touches, une caricature qui résumera le marasme des Algériens, l’injustice, l’inégalité… et qu’on accrocher ça juste en face du palais d’El Mouradia, qui sait peut-être elle va donner un petit renouveau ? Au pire elle servira d’effet miroir pour les ces gens-là et donnera des couleurs à l’endroit.

Le Matin d’Algérie Si vous deviez caricaturer l’Algérie actuelle, elle serait comment ?

Je ferai un dessin psychédélique ; il y a tellement de violence, tellement de haine, de disproportion et d’anarchie qui planent je l’imagine comme un gouffre sans fond, dans lequel on ne cesse de s’enfoncer, jour après jour, année après année, ce trou se nourrit des injustices, des privations et des frustrations que l’Etat cultive et bichonne. Cet Etat-là se nourrit et se renforce de la détresse de ses citoyens. C’est un film d’horreur.

Le Matin d’Algérie : Peut-on connaître vos projets ?

Pour le moment je suis un baladin, ma petite expérience avec la presse algérienne m’a poussé à être autonome, je dessine gratuitement pour tout le monde, pour toute personne qui défend des causes justes, je ne gagne pas ma vie avec le dessin, je travaille avec des pauvre paumés car, comme disait Ait Menguellet : « Win yerwen yexde3 rebbi ». J’aurais aimé travailler avec des personnes sérieuses et engagées mais pour le moment je continue à tituber sur chemin.

Le Matin d’Algérie : Vous n’avez pas encore édité en Algérie. Est-ce parce qu’il n’y a pas de lectorat pour la caricature et la BD ou par manque d’éditeurs spécialisés ?

De un, le monde de l’édition en Algérie, comme toutes les disciplines du pays, est au stade primitif contrairement à l’Europe ou aux Etats-Unis, l’éditeur pense à ce qui va gagner non pas à la valeur et au rôle que jouera ce qui va éditer, personnellement ils me l’ont dit clairement : « Je ne vais pas investir tant d’argent pour qu’il me reste sur les bras », chose absurde du côté éthique de la profession, et logique côté esprit matérialiste primaire de l’individu.

De deux, je pense que les caricaturistes ont un électorat, ce sont des gens qui ne lisent pas beaucoup, la caricature à cette caractéristique de résumer tout et cela arrange tout le monde, il y a des gens qui achètent des journaux rien que pour la caricature, ils disent que tout ce qui reste du journal c’est des foutaises ! En revanche la BD est en train de renaître en Algérie c’est en vogue même donc il faut se pencher du côté du sérieux des éditeurs.

Le Matin d’Algérie : Que vous inspire le blocage du festival international de la caricature d’Oran ?

L’annulation du festival international de la caricature d’Oran ne m’a vraiment pas étonné, ça devrait se passer ainsi, le contraire m’aurait étonné vu les dessins chargés contre ce système.

C’est un pays sur un déambulateur qui est tellement parano qu’il se méfie de lui-même. On a tout normalisé : la violence, le vol, l’injustice, la censure…etc, ça fait partie du train de vie.

Le Matin d’Algérie : Il y a une nouvelle génération de caricaturistes talentueux, pour autant ils sont peu visibles, pourquoi selon vous ?

Les jeunes dessinateurs n’ont pas accès à la publication à grande échelle, ils n’ont que les réseaux sociaux, chose maigre, ils ont un très long parcours à faire, à se battre contre les injustices, une souffrance terrible, certains finiront par abandonner, les plus chanceux trouveront une presse qui va les asservir et les jeter à tout moment comme une vieille chose, et d’autres finiront comme moi, des vagabond…rire…

La presse devra donner des chances à ces jeunes pour qu’ils puissent contribuer à donner du renouveau, ce sont des porteurs de projets, il ne faut pas reproduire l’image de nos dirigeants, nos politiciens, nos élus qui sont des carriéristes, non pas des porteurs de projets et qui excluent le citoyen de toute contribution à sa société.

Bio express. Ahmed Medjani est né le 25 avril 1988 à Akbou en Kabylie. Il est licencié en sociologie, dessinateur de presse, illustrateur de la page kabylie-info pour El Watan, dessinateur pour différentes associations, journaux et ONG en Algérie et en Europe. Il est aussi l’auteur d’un recueil de dessins Gueule de Bois des éditions toulousaines Noir et Blanc.

 

Auteur
Hamid Arab

 




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