20 avril 2024
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Algérie : Un Etat s’éteint, un autre s’éveille

DEBAT

Algérie : Un Etat s’éteint, un autre s’éveille

« Toute naissance est la renaissance d’un ancêtre » (les Amazighs : les hommes libres)

Dans un pays qui émerge de sept années d’insurrection armée et qui construit dans la corruption et dans la dépendance un Etat national, les grands itinéraires qui mènent au pouvoir n’existent pas encore d’une manière visible. La société algérienne ignore comme évolue sa classe politique et même par quelle voie véritable elle a accédé au pouvoir. C’est avec l’indépendance de l’Algérie en 1962 que va apparaître dans l’appareil de l’Etat une bureaucratie aux fonctions administratives, politiques, judiciaire et militaires. En multipliant ses interventions dans le domaine de l’économique et du social.

L’Etat va devenir le principal agent économique du pays. L’Etat s’institue propriétaire des gisements pétroliers et gaziers du territoire national. Parvenu au pouvoir au nom de l’indépendance et du développement. La petite bourgeoisie se transforme en classe dominante qui conçoit la rente comme un instrument d’une « modernisation de l’Etat sans mobilisation de la nation ». De ce fait, l’Etat est conduit à affecter une part grandissante de la rente à la production et à la reproduction de la base sociale, c’est à dire à la consommation soit directement par la distribution des revenus sans contrepartie ; soit indirectement par subvention, soit par les deux à la fois.

L’expérience nous apprend que le salaire et la productivité ont été déconnectés, seule la proximité du pouvoir et donc de la rente constitue la véritable source de fortune. Une bourgeoisie étatique va émerger. A partir de 1980, un phénomène considérable d’enrichissement pour certains est apparu, rendu possible grâce à l’euphorie financière où d’importants transferts ont eu lieu, faisant des responsables  politiques et économiques une classe possédante. C’est en tant que bourgeoisie étatique que cette couche réalise son enrichissement collectif, il y a une stratégie de classes dans l’enrichissement mais une technique individuelle dans l’accumulation. Il est dans l’intérêt de cette couche que chacun de ses membres puisse saisir les largesses financières de l’Etat afin que tous soient solidaires voire complices de ces pratiques.

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Ce détournement de la rente vers des fins principalement improductives va permettre le développement d’une consommation ostentatoire importante. Et, ce n’est pas dans la sphère productive que s’affiche la réussite économique mais dans la sphère de la consommation que se mesure l’ascension personnelle. L’Etat n’est souvent qu’un outil confisqué par certaines couches sociales privilégiées pour s’enrichir ou opprimer les autres. Cet Etat est faible, incapable, discrédité. Les arbitrages internes qu’il rend sont toujours en faveur du même groupe.

Ainsi, on sacrifie les autres secteurs mais surtout pas le budget militaire et sécuritaire qui s’accapare une part importante des dépenses publiques qu’il est difficile de cerner en raison de l’opacité qui entoure ce budget. La politique dans la gestion doit être l’instrument d’une transformation réfléchie et délibérée de la société et non un moyen de se maintenir ou d’accéder au pouvoir et aux privilèges qui s’y rattachent.

En un mot, elle ne doit pas être une profession lucrative. La rente a constitué l’agent principal de la construction de l’Etat. Elle a été mise au service du développement étatique. Le renforcement de l’Etat s’est accompli au prix d’un approfondissement de son extraversion.

Les rapports entre l’Etat et la société s’organisent autour de la rente pétrolière et gazière. Tel un intrus, l’Etat est obligé de redéfinir constamment sa relation avec un milieu qu’il veut dominer de façon à se faire accepter par lui. Comme tout régime politique, le régime algérien joue de la coercition et de l’adhésion pour sa assurer sa stabilité sinon sa légitimation. Grâce à la rente énergétique, la coercition a été toujours minime en Algérie.

Le renforcement de la base sociale a conduit à une distribution de la rente pétrolière et gazière. Des mesures sont prises pour assurer la paix sociale et éloigner les travailleurs de toute participation à la gestion. D’ailleurs, l’Etat promet la solution de tous les problèmes des travailleurs et des chômeurs dans un avenir très proche.

Depuis des siècles, la société algérienne s’est organisée selon une forme patriarcale. Le territoire était soumis à l’autorité suprême : le père. L’image du père : autorité, rigueur, fermeté. Elle cristallise ses envies, ses craintes et ses aspirations sous l’autorité d’un chef unique. Il faut dire que le patriarcat n’est pas fondé sur le mode de relations horizontales c’est-à-dire sur la base de relations contractuelles dont démocratiques mais plutôt sur des relations verticales c’est-à-dire de subordination pure et simple.

Tant qu’il s’agissait de redistribuer la rente pétrolière et gazière, elle pouvait jouer un rôle somme toute nécessaire. Mais dès qu’il s’agissait de mettre les gens au travail, elle s’est avérée incapable parce que discréditées moralement et professionnellement. Les immenses promesses non tenues d’un développement perverti fondaient la prétention d’un Etat de surcroît rentier à requérir de la nation qu’elle s’identifie à un Etat militaire.

En donnant la priorité à la consommation à partir des importations au détriment de la construction de l’économie nationale par la production de biens et services. L’Etat algérien a procédé à une vaste salarisation sans contrepartie productive dont l’effet social global est la dépendance dans laquelle se trouve une part importante de la population dite « active » par rapport aux revenus distribués par l’Etat. La rente et l’endettement deviennent le fondement d’un discours étatique sur la société.

L’Etat ne cherche pas à mobiliser le travail, la créativité, l’innovation, il en appelle au contraire à l’obéissance, à la docilité, au silence. Les discours sur la modernité, la science et la technique sont en réalité des discours sur la dépendance, l’aliénation et la soumission des populations à l’égard de l’Occident.

La couche sociale au pouvoir connaît un enrichissement facile et rapide et sans entraîner en aucune façon une modernisation sociale et culturelle de la société, mène un standard de vie extrêmement élevé et une surconsommation d’une impressionnante masse de produits de la société occidentale. Les pétrodollars lui ont offerts de multiples occasions d’édifier en un temps record des fortunes colossales placées ou investies à l’étranger.

La fonction essentielle de l’Etat ne réside pas toujours dans la gestion des rapports de distribution mais dans l’organisation des rapports de production. Pour se maintenir au pouvoir, la couche sociale dominante ne peut de reproduire sous une forme répétitive sa propre structure. C’est pourquoi, elle est devenue l’obstacle principal du développement. La couche des privilégiés algériens s’est avérée incapable de procéder à des investissements productifs créateurs d’emplois au bénéfice du pays et de la population et d’entraîner l’économie dans un processus dynamique.

La fortune est devenue l’indicateur principal de la hiérarchie sociale. Dans une société où les êtres humains fabriquent eux même leurs frontières où on n’apprend pas à aller au-delà de ces limites. La violence n’est pas nécessaire, parce qu’il ne s’agit pas de rapport de domination mais de rapport de production. Il ne faut pas déterminer qui est le plus fort mais de localiser qui est le plus compétent et le plus propre. En Algérie, la rupture se passe par miracle dans la paix et la sérénité. C’est une rupture qui se fait de façon radicale entre le monde de contrôle de l’énergie et le monde de libération de l’énergie. La spécificité du régime algérien est qu’il ne permet pas aux forces de s’auto-transformer, de s’autoréguler, de s’accroître. Le pouvoir a investi dans la création de tout ce qui soutenait la nécessité d’obéir.

L’Etat est devenu promoteur d’une culture d’obéissance. L’économie algérienne est basée sur le monopole de la décision par un petit nombre de personnes. Ce groupe passe dans tous les domaines, à travers tous les secteurs et à tous les niveaux des contrats d’importation, d’exportation et de financement avec le complexe occidental.

Ce type d’économie rentière est contre le développement d’une société civile. Il fallait empêcher son émergence pour permettre à cette couche de garder le pouvoir et donc le monopole de la décision. Les forces du changement ne viennent pas de l’intérieur du système car elles sont gelées, bloquées, liquidées par la faute du pétrole et de l’armée. Quel que soit le gaspillage des ressources qu’entraîne le libéralisme, quel que soit ses conséquences désastreuses sur la liberté, la dignité et le bonheur de l’homme, il permet surtout de contenter un petit nombre de dirigeants en concentrant les décisions entre les mains de quelques « décideurs » situés au sommet de la pyramide.

Ce qui a permis à la bourgeoisie de s’enrichir rapidement sans pour autant entraîner un processus de développement continu. Dans les sociétés non occidentales, la technologie moderne exige une rupture radicale avec les traditions sociales et culturelles et provoque par conséquent une crise fondamentale d’identité au sein de la société.

C’est ainsi que la société algérienne est passé d’un enthousiasme délirant à un désespoir stérile. L’idéologie de la modernisation, de la construction de l’Etat national et du décollage économique eurent comme conséquences la démobilisation des acteurs non lettrés de la société. Trop proche de l’Etat et fort éloignée de la société, l’intelligentsia a mis son savoir au service du pouvoir et ayant cédé aux attraits des fonctions d’autorité matérielles et symboliques, elle n’a pas cherché à formuler des questions esquivées par le discours d’autorité. Transformant sa réflexion en simples sous-traitants des décisions politiques, elle est devenue en revanche incapable de fournir des pensées libres et lucides aptes à rendre compte de l’imaginaire collectif et des pratiques sociales.

L’échec politique des porteurs de la modernisation a poussé une partie de la société vers un retour à l’intégrisme religieux et à la revendication ethnique. Avec le déshabillage de l’Etat, les intellectuels perdent leurs places privilégiées avec le système socio-économique dominant en déclin. Les intellectuels s’agrippent à une vision consensuelle. On ne se critique pas, on n’exprime pas de désaccords parce que les autres nous surveillent, nous guettent, nous utilisent. On est toujours le nègre de quelqu’un. La désertion des intellectuels du champ politique est aujourd’hui interprétée comme une panne de longue durée. La culture démocratique s’apprend à l’école par le biais de l’éducation.

En Algérie, ce travail d’éducation, de respect de l’opinion de l’autre ne s’est jamais fait. Le despotisme n’a plus aucune « nécessité historique » ; l’organisation « bureaucratique » de l’Etat a perdu toute légitimité. Aucune force sociale n’est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d’ensemble en vue de sortir le pays de la crise actuelle. Les jeunes, les chômeurs, les illettrés et les femmes viennent de donner à l’élite au pouvoir ou dans l’opposition, francophones ou arabophones, islamistes ou laïcs, en activité ou en retraite une leçon et au peuples arabes et africains à la traîne une leçon magistrale de maturité, de civisme et de dignité. Le mur de la peur s’est effondré et le pouvoir est apparu dans toute sa nullité. Face au monde entier, il est nu.

« Celui qui a montré ses fesses n’a plus rien à cacher » dit un adage populaire. Compte tenu des enjeux planétaires stratégiques qui se dessinent à l’aube de ce troisième millénaire sur la carte géographique visant à asservir ou à anéantir toute population ne répondant pas à un certain idéal de justice, de liberté et de progrès, force  nous est de constater que nous sommes en présence d’un Etat fébrile agonisant, d’une économie moribonde en cours de disparition et d’une société fragilisée en voie d’éclosion.

A. B.

(*) A.Boumezrag – Les coûts cachés de la corruption – El Watan du 07 octobre 2008

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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