28 mars 2024
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Clarifications sur le fédéralisme : Lettre ouverte au général-major Ali Ghediri

DEBAT

Clarifications sur le fédéralisme : Lettre ouverte au général-major Ali Ghediri

Après votre intrusion ratée en politique, vous venez de commettre un impair dans les fondements de la science politique alors que vous dites détenir un doctorat d’État en la matière.

En parlant de fédéralisme dans votre dernière vidéo faite à la hussarde, vous êtes allé jusqu’à le confondre avec la désunion, alors que si les mots ont encore un sens pour vous, il est simple de saisir le sens étymologique. Pour vous aider, je vous renvoie au petit dictionnaire de poche et vous verrez que fédérer c’est justement rassembler, c’est unir.

Le fédéralisme, que vous agitez comme un spectre et une menace pour l’Algérie, n’est rien d’autre qu’un modèle d’organisation de l’État dont le principe fondamental est le transfert de compétences à des entités territoriales pour s’autogouverner selon un cadre légal et juridique défini. Ce modèle a non seulement fait ses preuves, mais il est celui qui est légion dans les plus grandes démocraties. Et si, comme vous le dites, vous avez fait les classes de l’académie de Moscou, vous auriez pu au moins vous donner la peine de constater que le pays qui vous a accueilli est une Fédération de plusieurs républiques et aujourd’hui comme hier- à l’ère de l’ex-URSS- elle constitue l’une des premières puissances dans le monde.

Pas la peine de m’étaler sur les USA, je pense que les réminiscences de vos lectures de Tocqueville vous aideront au réveil de l’absurdité de vos propos et à la gravité de leurs insinuations. Pour quelqu’un qui fait référence, dans ses écrits, à ce monument de la pensée politique qu’est Hannah Arendt, on ne peut que regretter que le livre « Qu’est ce que la politique » soit lu en diagonal.

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Je vous invite donc à relire les cours du droit constitutionnel pour vous rappeler que le système fédéral est celui qui correspond le mieux aux sociétés pluralistes comme c’est le cas de l’Algérie.

En lisant votre programme, si le mot n’est pas trop généreux au regard des généralités dont il fait référence, j’ai cru comprendre que dans l’affirmation « abandonner le centralisme stérile », il y avait en vous quelqu’un qui pouvait comprendre que le système jacobin est un héritage de l’ordre colonial français et qu’après près de 60 ans on pouvait enfin s’en libérer pour oser une autre modèle de gouvernance mais aussi un autre modèle qui tient compte des spécificités de l’Algérie.

Le fédéralisme n’est qu’une proposition, comme tant d’autres, et elle mérite toute l’attention dans la mesure où elle travaille à la construction et à la consolidation de la communauté nationale. C’est ce qu’ont compris nos voisins marocains qui en sont, aujourd’hui dans le même paradigme, par la mise en œuvre d’un projet de Régionalisation avancée.

J’en viens en suite à votre source d’inspiration politique, les Six historiques qui ont fondé le FLN, en vous invitant à reconsidérer l’histoire que vous n’êtes normalement pas censé ignorer.

S’il y avait six et non pas un autre nombre c’est tout simplement parce que le choix a été dicté par la nécessité d’une représentation régionale: un représentant par région et une Coordination assurée par Mohamed Boudiaf. Cette articulation de la révolution avec les régions va même être renforcée dans le Congrès de la Soummam en consacrant une forme d’autonomie dans l’action armée et la lutte politique pour chaque région ou wilaya selon la terminologie adoptée au temps de guerre. Mais ce qui est intéressant de noter est que les exigences de la Révolution ont intégré naturellement la nécessité de s’appuyer sur les réalités sociologiques et culturelles de l’Algérie. La wilaya III représentait la Kabylie, la wilaya I les Aurés, la wilaya II le Constantinois, la wilaya IV l’Algérois, et la wilaya V l’Oranie.

Quand on analyse ce qui a été fait durant cette période cruciale entre les différentes wilayas en termes de mutualisation des moyens humains et matériels, on ne peut s’empêcher de le considérer comme le premier acte de fédéralisme algérien. Parce qu’auparavant, de toutes les luttes armées, engagées dans le cadre des résistances populaires jusqu’à la fin du XIX siècle, contre le colonialisme français, aucune n’a pu lever toute le territoire algérien et toutes étaient circonscrites à un territoire donné ou limité.

La faiblesse de votre inspiration a été de considérer que l’action des Six historiques était découplée de leurs territoires respectifs alors qu’elle était totalement dépendante. C’est leur ancrage et leurs soutiens dans leurs territoires respectifs, par la légitimité de leur action politique antérieur en sein du PPA-MTLD, qui leur a permis de passer à l’acte.

La deuxième république dont vous vous revendiquez ne sera qu’un slogan si elle va à l’encontre de la pluralité de la société algérienne. Cette république pour être viable doit traduire institutionnellement cette diversité. Le temps où tout se décidait d’Alger est révolu. La Kabylie veut avoir des rapports apaisés avec l’Etat algérien, mais cela ne saurait se réaliser sous la domination politique, culturelle et linguistique. Cette région, qui est la mienne, a tant souffert que c’est à l’Algérie de démontrer, aujourd’hui, qu’elle est aussi kabyle, comme elle le fait formidablement à travers les manifestations depuis le 22 février dernier.

Par ses valeurs, la Kabylie est déjà dans la construction de l’édifice de la communauté des citoyens, selon le concept de Dominique Schnapper, et son attachement à l’Algérie moderne n’appelle qu’à être adopté par tous les autres algériens. Car c’est à travers la modernité politique et culturelle qu’une nation se construit même si on peut s’accorder à dire que dans des moments de crise, elle peut faire aussi appel à ses mythes fondateurs. L’Algérie est une nation multiculturelle et il suffit d’y voyager longuement, et pas seulement de la traverser, pour s’en apercevoir.

M. Ghediri, vous étiez militaire et vous avez fait la plus belle des carrières en terminant général-major. Un grade que doivent vous envier bien de vos camarades de promotion. Mais en politique, ça ne marche pas comme ça, il faut avoir des convictions et le plus tôt serait le mieux. A l’âge de la retraite, on est censé passer le témoin aux jeunes, et comme, en plus vous étiez DRH dans l’institution militaire, vous êtes aussi tenu de ne pas oublier que le management des ressources humaines est une fonction formatrice.

Or, quand on est un débutant politique, on doit s’essayer à faire ses premiers pas en évitant d’insulter ceux qui vous ont tendu la main. La main, de surcroît, de ceux qui l’ont gardée propre et qui ne l’ont pas usée dans des saluts obligés.

Vous dites, effarouché, que vous voulez rassembler les Algériens, c’est bien, mais il faut commencer par vous y installer parmi eux pour éviter de vous faire évacuer une nouvelle fois manu militari comme ce fut le cas dans la marche populaire du 1er mars dernier à Alger.

Le désarroi d’une rupture avec un homme qui vous a habillé du meilleur habit politique ne doit pas vous pousser à faire acte d’opportunisme dans un espace politique dont vous ne mesurez pas, jusqu’à présent, les contours et les usages. Votre réaction épidermique aurait eu toute sa place et sa valeur si vous l’aviez utilisée quand le Conseil constitutionnel a décidé d’avaliser une candidature par procuration. Un baroud d’honneur pour un général aurait eu certainement un meilleur effet que de jouer la carte de la démarcation sur les idées qui nourrissent le débat public.

C’est une simple banderole qui vous a fait sortir de vos gonds, c’est triste. Mais je me permets de vous dire quelque chose que vous ne pourrez jamais comprendre, parce que c’est un peu trop tard pour vous: quand deux personnes sont liées par une amitié de trente ans et que le militantisme en a été l’origine, une banderole est un accessoire quand ils marchent ensemble.

Si l’Algérie était une véritable république, je peux vous l’assurer, Mokrane Ait Larbi, avec ses qualités, ses sacrifices et son parcours, aurait été déjà son président. Et si vous vous êtes posé honnêtement la question pourquoi il vous a soutenu alors qu’il pouvait bien se porter lui-même candidat, je pense que vous auriez déjà fait un pas dans la compréhension du pourquoi le fédéralisme est une nécessité dans ce pays qui est le vôtre et qui est aussi le mien.

Mes salutations, M. Ghediri, mais c’est le moment de sortir de l’esprit de la caserne !

(*) Hamou Boumedine est le porte-parole du Rassemblement Pour la Kabylie

Auteur
Hamou Boumedine (*)

 




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