28 mars 2024
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Climat des affaires: des grains de sable dans la machine

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Climat des affaires: des grains de sable dans la machine

Dans son rapport établi au début du mois en cours, le Forum économique mondial (WEF)* n’a pas manqué de relever les insuffisances dont continue de souffrir le climat des affaires en Algérie, et ce, malgré l’impérative nécessité de passer à une étape supérieure, celle de la diversification des investissements productifs, en dehors de la sphère des hydrocarbures.

Le ministère de l’Industrie et des Mines a même publié, sur son site internet, un résumé de ce rapport dont il n’a pas remis en cause la teneur. « Le Forum économique mondial relève les facteurs qui contribuent à la perception d’un climat peu propice aux affaires : des pratiques bureaucratiques persistantes en matière de procédures administratives ainsi que des difficultés d’accès au financement des entreprises. A cet égard, le marché financier est jugé insuffisamment développé », lit-on sur le site du ministère.

Le rapport du Forum économique mondial 2017-2018 porte sur la compétitivité mondiale, laquelle prend en compte les facteurs stimulant la productivité et la prospérité des pays objet d’étude. L’étude a concerné 14 000 chefs d’entreprises, répartis sur 137 pays. Elle établit un indice de compétitivité sur la base d’une centaine d’indicateurs, regroupés en 12 catégories, où sont passés au crible les institutions, les infrastructures, l’environnement macroéconomique, la santé et l’éducation primaire. Les critères d’efficience du marché, du marché du travail, du développement du marché financier ou de l’innovation, sont appliqués aux segments de l’efficacité économique et du climat des affaires.

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Sur les 137 pays étudiés, l’Algérie se classe, en matière de compétitivité, comme suit:

– Institutions : 88ème rang

– Infrastructures : 93ème rang

– Environnement macro économique : 71ème rang

– Sante/Éducation : 71ème rang

– Enseignement Supérieur et Formation : 92ème rang

– Marchandises et Efficacité du marché : 129ème rang

– Efficacité du marché du travail : 133ème rang

-Développement du marché financier : 125ème rang

– Etat de préparation technologique : 98ème rang

– Taille du marché : 36ème rang

– Sophistication des affaires : 122ème rang

– Innovation : 104ème rang

Malgré la relative bonne tenue de certains indices – à l’image de l’éducation/santé-, la majorité des points sur lesquels a porté l’évaluation demeurent dans la zone orange, et parfois rouge, à l’image de l’innovation et de la sophistication des affaires, d’ailleurs surlignés en rouge dans le rapport. À titre de commentaire au rapport du WEF, le ministère de l’Industrie et des Mines souligne: « Depuis 2012, l’Algérie a effectué un bond de 24 places passant de la 110ème à la 86ème position en 2017. Cette avancée s’explique, notamment, par la qualité des institutions, les progrès réalisés dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la stabilité de l’environnement macroéconomique notamment en raison de l’absence d’endettement ». Mais, cette institution reconnaît la persistance de pratiques bureaucratiques ainsi que des difficultés d’accès au financement des entreprises, relevant que le marché financier est jugé « insuffisamment développé ».

Ainsi, le débat sur l’amélioration du climat des affaires en Algérie revient avec une nouvelle ferveur et bénéficie, probablement, d’une nouvelle vision, après qu’il eût été confiné dans la lecture pathétique ou décevante des rapports Doing business, publiés régulièrement par la Banque mondiale, et sur la grille de laquelle notre pays ne cesse de dégringoler d’année en année. Au ministère de l’Industrie et des Mines, l’air semble être à la grande réflexion sur la manière de sortir de ce marasme qui rend les chances de l’économie algérienne de s’ouvrir sur d’autres secteurs créateurs de richesse et d’emplois, en dehors de la sphère des hydrocarbures, de plus en plus hypothétiques.

Quelle place pour l’acte d’exporter ?

Le texte du code des investissements, datant du début des années 1990, a été révisé en juillet 2016. Mais, est-ce suffisant pour faire faire aux projets d’investissement une avancée fulgurante ? Est-on prêt à lancer une politique offensive de libération de l’initiative d’entrepreunariat, de soutien aux petites et moyennes entreprises, de libération du secteur bancaire, de l’assainissement du foncier industriel, de neutralisation du marché informel et de débureaucratisation ?

Les textes de loi portent, en quelque sorte, leurs propres limites. Les ambitions de l’Algérie officielle de porter les exportations hors hydrocarbures à 2 milliards de dollars par an datent du milieu des années 1990.

Il a fallu une vingtaine d’années pour que l’on ait pu s’en approcher, avec tous les aléas qui pèsent sur une telle activité. La réactivation et l’élargissement du Fonds de soutien à l’exportation, piloté par le ministère du Commerce, suffira-t-il à susciter des vocations dans le domaine de l’exportation ? L’exportation est une activité qui est censée avoir les « siens », c’est-à-dire ses propres intervenants. Ils sont supposés être des professionnels capables de mettre leurs prestations aux standards internationaux, sans être nécessairement eux-mêmes des producteurs.

Mais, pour exporter, il faut naturellement produire. Et là, l’hégémonie de l’acte de consommer a, pendant de longues années, voire de décennies, pris le dessus sur celui de produire. On a même eu des illusions de production lorsque le taux d’intégration avoisine le zéro. La mono-exportation assurée par les hydrocarbures a annihilé toutes les autres potentialités et créé le vide autour d’elle, hormis les cercles de clientèles faites de lobbies, de fausses associations et de segments de l’administration à même d’assurer la pérennité des règles du jeu.

Le temps de la fausse prospérité a duré ce que peuvent durer les délires de la fièvre. Bien que le mouvement de chute des prix du baril de pétrole ait commencé sa descente en juillet 2014, l’ambiance algérienne de «taqachuf » (austérité), de peur des lendemains qui déchantent et de début de prise de conscience des enjeux, ne sera ressentie qu’au début de 2016, avec l’application des premières mesures de « rationalisation » des dépenses édictées dans la loi de finances. Autrement dit, pendant deux ans et demi, les pouvoirs publics et les populations, dans une sorte de « tacite complicité », gardaient le secret espoir que le baril remontât à tout moment la pente.

Écueils

En désespoir de cause, et devant la difficulté à changer complètement de cap et de modèle économique, des mesures d’ « urgence » ont été prises par l’ancien gouvernement Sellal, tendant à geler des milliers de projets d’infrastructures et équipements, à instaurer des taxes sur les produits énergétiques, à tenter, via la mise en conformité fiscale volontaire, de régulariser et d’utiliser l’argent liquide de l’informel et de créer une caisse pour le financement des programmes publics à travers l’emprunt obligataire. Ce sont là des solutions partielles, faites pour parer au plus pressé. En d’autres termes, la diversification économique, dont le discours officiel s’est illustré même avant la crise de 2014, et qui demeure la solution unique de sortir du marasme et des incertitudes, continue à rencontrer de gros problèmes sur le terrain.

Certains porteurs de projets, entrepreneurs et capitaines d’industrie, ont été même poussés à abandonner leurs projets en raison de la bureaucratie, de la corruption, des entraves au foncier industriel etc. Le rapport du Forum économique mondial le dit bien dans ses agrégats statistiques et les trends qui les accompagnent. La peu enviable place que prend l’Algérie dans l’échelle établie par les institutions internationales et les agences d’assurance du commerce extérieur (Coface, Ducroire,…) pour le climat des affaires, est, naturellement, due à tous les obstacles qui continuent à se dresser, non seulement devant les candidats étrangers à l’acte d’investissement, mais également devant les opérateurs nationaux portés sur la fructification de leurs capitaux.

Sortir des griffes de la mono-exportation

Des experts nationaux et des institutions étrangères étaient presque unanimes pour soutenir que l’Algérie n’avait, sous l’ère de l’aisance financière, que le fameux « trophée » des réserves de change à exhiber, réduit aujourd’hui à moins de 90 milliards de dollars, après avoir touché le plafond des 200 milliards de dollars en 2014. Ces observateurs savaient pertinemment que, sans l’accompagnement managérial et de bonne gouvernance, il était impossible de faire fonctionner la machine économique, c’est-à-dire construire une stratégie d’investissements nationaux ou étrangers à même de consacrer la diversification de notre économie et de limiter sa dépendance par rapport aux recettes en hydrocarbures. Le recours au financement conventionnel- tirage de quelque 30 milliards de dollars depuis l’automne 2017 par la Banque d’Algérie, sans équivalent physique- ne peut pas constituer une solution durable. Pire, si par malheur, le décollage d’investissement productif ne suit pas, le risque d’inflation est bien réel. Il viendrait se greffer à un pouvoir d’achat déjà largement érodé depuis 2016.

La nécessité impérieuse de sortir des griffes de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et de diversifier au maximum les recettes budgétaires, demeure intimement tributaire de la vision et de la stratégie que les pouvoirs publics entendent développer dans la réhabilitation du tissu industriel national et dans la création de petites et moyennes entreprises dans tous les secteurs d’activité. Le maître-mot est assurément la libération des énergies et des initiatives.

Deux ans après son adoption, le nouveau code de l’investissement peine à faire valoir ses vertus. Où est-ce que cela coince ?

A. N. M.

(*) The Global competitiveness report 2017- 20183.weforum.pdf (voir « Algeria »: pages 44 et 45)

Auteur
Amar Nait Messaoud

 




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