19 avril 2024
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Ghilas Aïnouche : « En Algérie, c’est le temps de l’absurde et des paradoxes »

RENCONTRE

Ghilas Aïnouche : « En Algérie, c’est le temps de l’absurde et des paradoxes »

C’est sans nul doute le plus talentueux dessinateur de presse de sa génération. A juste 30 ans, Ghilas Aïnouche dérange, douche les esprits habitués aux connivences les plus vénales. A coups de crayon sans concession, il s’est fait une place de choix dans le gotha de la caricature. Le trait nerveux, le mot toujours incisif, il porte souvent le crayon là où rares osent même le poser. Il ne recule devant rien pour tenir la bêtise à bonne distance et brocarder l’arbitraire et l’absurde.

Dans cet entretien, Ghilas Aïnouche se livre sur les difficultés d’exercer son métier, celle de refuser d’avoir un fil à la patte notamment et ses projets à venir.

Le Matin d’Algérie : Comment travaille quotidiennement Aïnouche ?

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Ghilas Aïnouche : Avant quand je travaillais, j’appelais ça un métier-passion. Maintenant, il ne me reste que le côté passion. Si vous voulez, on peut l’appeler aussi un chômage-passion (rire).

Un télétravail, je fais ce que j’aime au fond de moi et surtout chez moi où je me retrouve si bien. Je suis l’actualité sur internet, je regarde la télé, j’écoute ce qui se dit autour de moi… Je me trimballe toujours avec un carnet pour prendre note ou j’écris sur mon Smartphone car à chaque idée qui me vient sur quelconque info, je dois la noter immédiatement, sinon je risque de vite l’oublier après. Je fais plusieurs dessins par jour. Si l’inspiration se présente, c’est tant mieux. Dans le cas contraire, pas besoin de l’attendre. Je dois la provoquer et la chercher là où elle se trouve. Et quand survient l’inspiration, je prends note à l’instant même car l’inspiration est comme le rêve sur qui il nous arrive d’oublier presque souvent son déroulement. C’est pour ça que je note toutes les idées qui me viennent à l’esprit.

Y a-t-il une thématique qui vous est précieuse ?

Je lis tout. Je suis curieux de tout, ce qui fait que tout m’intéresse. Les thèmes et les sujets se décident selon l’actualité du jour. Tout dépend de mon inspiration, mon imagination, mon vécu et mon ressenti profond du moment. Les journées ne se ressemblent pas. Chaque journée est une exception. Je ne peux pas décider à l’avance de mon dessin du jour.

C’est quoi pour vous une belle caricature ?                                                              

Si je savais ce que c’est qu’une belle caricature, je ne ferais que ça et tous les jours (rire) Parfois, j’ai l’impression de faire un mauvais dessin à cause de la fatigue ou autre raison. À la fin, je me rends compte que c’est ce dessin-là qui gagne en succès. On peut expliquer un échec mais pas un succès. Y a pas de règle absolue là-dessus. Chaque personne apprécie un dessin à sa manière. Un bon dessin pour moi peut aussi être mauvais pour une autre personne. Mais pour attirer le maximum de gens, comme dans le marketing, vaut mieux des dessins sans parole puisque le dessin en lui-même est un langage universel. Simple à comprendre et à la portée de tout le monde.

Ne pas croire aussi qu’un dessin compris de tout le monde est automatiquement un bon dessin.

Que pensez-vous des caricaturistes algériens ? Estimez-vous qu’ils ont assez d’espace pour s’exprimer notamment avec la multiplication des supports (télé, médias en ligne et journaux)?

J’ai de l’estime et du respect pour tous les caricaturistes. Ce n’est pas un métier facile en Algérie. Ils ont tous du talent, le sens de l’humour. Chacun se débrouille à sa façon, comme il peut. Vu le nombre de médias qui existent, théoriquement, y a assez de place pour tout le monde. Mais la réalité est toute autre chose.

Pour mon cas, c’est un peu différent.

Actuellement, mon souhait est de créer mon propre site où poster mes dessins et trouver de sérieux sponsors pour ça. C’est la seule solution qui me reste et c’est tout ce qui me tient à cœur pour le moment.

Ou si les miracles existent, trouver un journal qui va accepter mes publications car presque tous les journaux craignent mon recrutement, même ceux qui se disent démocrates et défenseurs, par excellence, de la liberté d’expression.

Certains estiment que vous êtes virulent dans certains de vos dessins. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous d’ailleurs subi des pressions en Algérie ?

Ils sont libres de me voir ainsi. Ce qui me désole, c’est quand je reçois des centaines de messages d’insultes, de menaces… Vous n’aimez pas un dessin, y a pas de souci. Je n’ai jamais forcé quelqu’un à aller voir mon dessin. Moi, quand je vois à la télé ou ailleurs quelque chose qui ne me plait pas, je zappe ou je l’éteints carrément et je passe à autre chose. Je ne vais pas m’amuser à insulter ou menacer la personne en question, lui signifier mes pensées. Pourquoi t’as dit ça ? Pourquoi t’as fait ça ? Chacun est libre d’exprimer ses idées à condition de ne pas chercher à les imposer par la force aux autres.

Quand vous n’appréciez pas un dessin, sachez qu’il y en a d’autres qui peuvent l’apprécier à sa juste valeur. Il y a de tout dans ce monde. Il faut accepter les différences. Accordez aux autres le droit d’apprécier ce que vous n’appréciez pas. La société se radicalise et se referme de plus en plus sur elle-même, on n’accepte plus nos différences de pensée. Ils veulent qu’on réfléchisse tous de la même façon, qu’on rentre tous dans le même moule.

Quand un dessin dérange, pas de problème ! Je suis là pour un débat serein et civilisé mais les insultes, menaces, tabassages ou licenciements à cause de mes dessins et pour des raisons d’incompatibilité de vues d’esprit, là c’est inacceptable.

Avec tous les problèmes que je vis au quotidien, le dessin me sert de thérapie. J’ai un besoin de m’extérioriser à travers le dessin. Et chacun a sa façon particulière de le faire. Alors vaut mieux faire ressortir cette rage intérieure par le dessin que de sombrer dans une dépression ou le suicide ! Mes dessins n’ont jamais fait de victime et après tout, ce n’est qu’interprétation de la réalité vécue par la société. Y a que de l’humour dedans, sans haine aucune ! Ça permet de sourire, de réfléchir, de voir l’actualité sous un autre angle et d’oublier pour quelques temps les tracas du quotidien…

Des pression ? Malheureusement, oui ! Tabassé, licencié, sans salaire depuis 3 mois,…

On veut m’appauvrir, me faire taire. Les journaux assez solides m’évitent comme la peste. Ceux qui acceptent de me recruter manquent de moyens financiers.

Ils ont tout fait pour me décourager. Ils ont voulu donner une mauvaise image de moi : islamophobe, vulgaire, anti-Algérie… Et à voir les réactions de certains journalistes et responsables de journaux quand ils entendent mon nom, on croirait que c’est moi qui suis derrière les 200 000 morts de la décennie noire et les 127 du printemps noir, le responsable de la dilapidation des 1000 milliards de dollars, la cause du départ massif des haraga, à l’origine de la misère des Algériens,… Tout ça pour la simple raison que j’exprime mes idées à travers le dessin !

Vous pigez avec « Charlie hebdo », comment ça se passe concrètement ? C’est vous qui proposez des sujets ou c’est le directeur de la rédaction qui vous donne des orientations ?

Avant l’attentat de 2015, j’envoyais chaque semaine mes dessins à Charb et après, c’est à Jean-Luc W. Je dessine sur l’actualité française ou internationale. Je décide moi-même des thèmes à traiter.

Verra-t-on un album signé Aïnouche ?

Je veux bien ! C’est mon vœux le plus cher ! Mais pour le moment, l’urgence est de créer un site personnel ou de trouver par « miracle » un journal qui va publier et assumer mes dessins.

Quel est votre commentaire sur le blocage du festival international de la caricature d’Oran ?

Dans notre pays, le régime est dictatorial, la justice et la presse sont aux ordres, la société se radicalise de plus en plus, les libertés sont malmenées… Rien ne va dans tous les domaines et à tous les niveaux… De tout ce que je viens d’affirmer, J’aurais été surpris et étonné du contraire, c’est-à-dire si le festival avait eu lieu. Rien ne m’étonne en Algérie. C’est le temps de l’absurde et des paradoxes.

Au départ, quand Nour m’a contacté au sujet du festival, il m’a dit que le pouvoir était d’accord pour sa tenue. J’ai failli m’évanouir, je lui ai dit :  » Miracle ! Comment est-ce possible ? Le pouvoir a bien  accepté ? » J’étais choqué car j’ai été tabassé et licencié pour des dessins de presse et maintenant, il autorise un festival de dessins de presse ! J’ai pensé qu’il a voulu se corriger, se racheter, se refaire une nouvelle virginité et se démocratiser. Finalement, il n’a aucune volonté d’être plus souple en matière de liberté d’expression. C’était juste une fausse promesse et un faux espoir.

 

Auteur
La rédaction

 




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