19 avril 2024
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« J’ai été impressionné par l’insurrection populaire de 2001 »

David Porter parle de l’Algérie et de l’autogestion

« J’ai été impressionné par l’insurrection populaire de 2001 »

David Porter en 1973

David Porter, retraité depuis 2006, exerça à l’Université de l’État de New York pendant quarante ans comme professeur de sciences politiques et d’histoire, y compris l’histoire de l’Algérie contemporaine. Il est l’auteur de deux ouvrages, présentés dans Le Matin d’Algérie, « Vision on Fire » et « Eyes to the South », ainsi que de nombreux articles sur l’Algérie et l’anarchisme. La présente interview fournit des détails sur son parcours intellectuel et existentiel

Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous connu l’Algérie?

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David Porter : Après quatre années comme étudiant aux États-Unis, en 1961 je suis allé à Paris pour étudier à l’Institut d’Études Politiques. Là, tandis que les cours me renseignaient surtout sur la nouvelle Cinquième République et les réalités socio-économiques en Afrique, mon éducation la plus valable était non institutionnelle : lectures d’une large variété de la presse française, conversations avec des étudiants français, présence à divers meetings publics, observations de la lourde présence de la police française, et participation à une manifestation de rue réprimée en novembre 1961. Aux U.S.A., j’avais lu des compte-rendus de médias au sujet du combat de libération algérien, mais, une fois à Paris, je me sentais entouré par la réalité du colonialisme français et ses implications en France. Ma marche de rue en novembre au centre de Paris contre l’O.A.S. eut lieu seulement un mois après l’horrible massacre d’Algériens par la police, du 17 octobre. La répression française en cours contre les Algériens dans les deux pays, France et Algérie, fut, à cette époque, mon apprentissage politique central, exactement comme avec la guerre dévastatrice U.S. au Vietnam, quelques années après. Tout aussi important fut le fait d’être terriblement impressionné par la puissance et la détermination des Algériens pour obtenir leur indépendance politique. Je m’identifiais beaucoup avec leur cause.

Comment cela vous a-t-il conduit à vous rapprocher et à vous intéresser à l’autogestion algérienne ?

Je suis retourné à New York en 1962, et j’ai commencé mes études supérieures en politique sociale comparative à l’université Columbia. J’avais déjà décidé que le combat algérien pour la libération politique et sociale, procédant alors avec l’indépendance nationale, serait le premier objet de mes études. Les héroïques efforts de l’Algérie étaient irrésistibles. Très tôt, j’appris le massif exode des  pieds noirs (1) d’Algérie, et la généralisation des occupations de fermes, d’entreprises industrielles et de biens vacants (1) commerciaux par des travailleurs algériens, ainsi que leur détermination à maintenir la production économique. J’étais émerveillé par cette initiative et stimulé pour en apprendre plus.

Venant du contexte U.S. de capitalisme et de hiérarchie, je n’avais jamais considéré que des travailleurs pouvaient gérer leurs propres unités de production. Dans le monde de mon éducation, cela ne m’a jamais traversé l’esprit.

Après deux années d’études à New York, je rêvais de l’opportunité d’apprendre directement de la massive expérience algérienne, et j’ai trouvé un soutien de bourse d’études pour rendre cela possible. Avec mon épouse et mon bébé de deux mois, nous arrivâmes en Algérie au printemps de 1965.

Comment avez-vous développé votre compréhension de l’expérience algérienne ?

J’ai étudié à l’Institut d’Études de Gestion et de la Planification à Alger, en utilisant leur vaste documentation, en me consultant régulièrement avec ceux qui enseignaient et conseillaient dans le secteur autogéré. J’ai également participé avec des étudiants du même Institut à la visite d’unités autogérées dans la région d’Alger. J’ai, aussi, beaucoup lu la presse algérienne, notamment certains journaux qui soutenaient avec enthousiasme cette nouvelle expérience sociale et éthique. J’ai également interviewé  beaucoup de personnes engagées dans ce secteur comme conseillers ou assumant le rôle de superviseurs du gouvernement. Parmi les sources les plus importantes figuraient les assemblées régionales et nationales des travailleurs de l’autogestion paysanne et industrielle.

Les délégués exprimaient ouvertement leur colère et leur frustration envers les représentants du gouvernement aux niveaux local et national. Ces derniers cherchaient systématiquement à saboter le secteur en le privant de prêts promis et de soutien à la commercialisation, et en installant des directeurs d’unité responsables devant l’État plutôt que devant les décisions prise par la base, c’est-à-dire les travailleurs.

Un indépendant Bulletin de l’Autogestion, publié par une imprimerie autogérée, informait sur les réalisations du secteur et les attaques de ceux qui lui étaient hostiles.  

Tout cela s’était produit dans le contexte turbulent du régime de Ben Bella, intérieurement fortement conflictuel où les forces sociales antagonistes rivalisaient pour le pouvoir. De nombreux secteurs de la société algérienne étaient, évidemment, pesamment affectés par ces conflits. Mais le sort du secteur de l’autogestion radicale assiégée en fut l’un des indicateurs les plus évidents, avec le recul du statut des femmes, du pouvoir croissant des forces bureaucratiques et capitalistes hiérarchiques, opposées à toute notion de libération sociale sérieuse suite à l’indépendance nationale.

Durant mes dix mois en Algérie, j’ai appris et me suis senti stimulé par les impressionnantes initiatives horizontales des travailleurs de l’autogestion, par la productivité, le dévouement et la plus large éthique sociale égalitaire implicites. J’ai également appris à propos des ennemis de l’autogestion et comment l’obstruction était effectuée.

Comment votre intérêt pour l’anarchisme est né ?

Fait intéressant, lorsque j’ai parlé avec le responsable du ministère de l’Industrie, chargé de superviser le secteur de l’autogestion industrielle, c’est lui qui parla d’ « anarchie » en discutant du désir des travailleurs autogestionnaires en faveur de leur propre ministère autogéré. Je savais très peu de choses sur l’anarchisme à l’époque, mais, retourné chez moi aux U.S.A., après avoir terminé ma thèse, j’ai commencé à lire davantage sur cette tradition.

J’étais très impressionné par la viabilité évidente de l’autogestion des travailleurs, économiquement et culturellement ; alors, j’ai exploré de plus en plus ses antécédents politiques historiques, avant l’expérience algérienne.

Cela me porta de manière spécifique à l’exemple de la Russie en 1905 et 1917, et à la révolution espagnole du milieu des années 1930. Dans ces deux pays, l’autogestion des travailleurs était une caractéristique fondamentale, et ce sont les anarchistes qui en ont pris l’initiative.

À la fin des années 1960, également, aux États-Unis comme en France et dans une grande partie du monde, le thème d’organisation radicale anti-autoritaire de la société était devenu un très commun idéal et objectif de mouvement social. Ce que j’avais appris de l’autogestion algérienne s’accordait bien avec les aspirations grandissantes parmi un grand nombre de personnes aux États-Unis pour la «démocratie participative» de base face au racisme, au sexisme, à l’exploitation de classe et à l’agression impérialiste. De plus en plus, j’ai découvert que c’était le mouvement anarchiste historique qui avait le mieux écrit et promu cet idéal anti-hiérarchique.

À propos de vos croissants orientation et intérêt anti-autoritaires focalisés sur l’anarchisme, quelles ont été les implications personnelles pour vous ?

Comme beaucoup d’autres aux U.S.A. en ce temps-là, j’ai participé à de nombreuses manifestations politiques contre la guerre au Vietnam et contre le racisme interne. Toutefois, durant la même période, j’ai commencé une carrière d’enseignant en science politique et histoire. Cette carrière s’étendit de Brooklyn à Montréal (Québec), puis au rural Maryland, pour, finalement, retourner à l’État de New York. Au début de 1967, j’ai décidé de porter mon engagement en faveur de l’autogestion dans les salles de classe universitaires où j’ai enseigné, pour développer une pédagogie anarchiste qui aurait maximisé la participation des étudiants dans leurs options d’études, les thèmes de discussion, et l’auto-évaluation pour leurs relevés de notes universitaires. En bref, je cherchais à réduire ma propre autorité hiérarchique traditionnelle, autant que je le pouvais, afin d’encourager les élèves à apprendre les uns des autres, et à respecter les connaissances qu’ils possédaient déjà. Naturellement, cette nouvelle approche stimulait de longues discussions concernant la gestion politique de la classe et de l’université, ainsi que sa relation avec la politique dans la plus large société.

Ce fut cette forme d’éducation politique et historique, basée horizontalement sur l’expérience personnelle des élèves, qui a encouragé de plus en plus les étudiants à s’explorer eux-mêmes, bien que je restais disponible pour faciliter et suggérer des ressources pertinentes. Ma pédagogie avait assez consciemment imité les principes que j’ai appris de l’autogestion algérienne. Inutile de dire que, comme dans le contexte algérien, diverses autorités de la structure universitaire officielle se sentaient menacées par les nouvelles attentes des étudiants, et hostiles à l’expérience. J’ai perdu deux postes universitaires successifs à cause de ces batailles. Finalement, à la fin des années 1970, j’ai trouvé un poste d’enseignant à New York, qui honorait les choix individuels des étudiants et leur expérience de base, à un degré bien au-delà du contexte universitaire habituel. Je suis resté à ce poste jusqu’à la retraite en 2006.

Entre-temps, cependant, dans les années 1970 également, je me suis lancé dans de grandes recherches sur le mouvement anarchiste historique, et j’ai établi mes premiers contacts avec les anarchistes U.S. et étrangers. De là, mon intérêt particulier pour Emma Goldman et l’expérience du mouvement anarchiste espagnol, le plus important au monde, et son courageux effort pour construire une société anarchiste révolutionnaire au milieu de la guerre civile meurtrière menée par les fascistes.

Plus tard, après ma retraite, j’ai décidé de m’associer dans un projet de recherche et de livre concernant les principales sources de mon engagement politique à long terme : l’Algérie et le mouvement anarchiste.

Pourquoi l’insurrection populaire et pacifique de 2001 en Algérie fut si importante ?

J’ai été très impressionné par la vitesse, la créativité et le défi de l’insurrection spontanée en 2001. Les formes choisies de résistance à la politique répressive violente du régime semblaient excellentes pour mobiliser la militante lame de fond de l’autodétermination. Il semblait y avoir un réel engagement à maximiser les énergies populaires de base, les idées et la prise de décision à partir de la base, dans le même esprit que l’autogestion des travailleurs algériens quatre décennies plus tôt. Il était frappant de voir comment le mouvement a créé sa structure de résistance communautaire confédérale en adaptant les formes algériennes traditionnelles de la démocratie villageoise et régionale. Le contraste entre ce modèle bien coordonné mais décentralisé et la dictature hiérarchique basée à Alger n’aurait pas pu être plus grand.

Une approche horizontale pour répondre aux besoins des citoyens en matière de dignité et de bien-être ne doit pas nécessairement signifier le chaos ou la compétition individualiste égoïste. Il était important que le modèle émergea de la propre tradition algérienne, et non importé d’ailleurs. Sa similitude avec les concepts anarchistes était frappante, mais, pour moi, cela montrait que les principes de base impliqués, tout comme avec l’autogestion algérienne, étaient bien complémentaires mais ne dépendaient pas du tout de modèles issus des concepts occidentaux de l’anarchisme.

Dans la conclusion de Eyes to the South, vous discutez de la situation de l’anarchisme en Algérie. Pouvez-vous résumer brièvement cette discussion en indiquant les perspectives actuelles ?

Je comprends qu’il y ait des signes d’intérêt croissant pour l’anarchisme, en particulier chez les jeunes Algériens. Dans le livre, j’ai mentionné certains exemples de références explicites d’Algériens à l’anarchisme. Alors que certains sont familiers et s’identifient à cette idéologie spécifique, et qu’il y a beaucoup à apprendre de cette tradition historique, il est également important de reconnaître des principes anti-autoritaires et d’autodétermination semblables dans la propre culture politique algérienne, tels que manifestés en 2001, dans le mouvement d’autogestion du début des années 60, dans les divers efforts héroïques et horizontaux d’organisation des jeunes, des femmes et des travailleurs, et dans la détermination des Algériens ordinaires à résister à l’oppression de multiples façons dans leurs propres contextes quotidiens.

Propos recueillis et traduits de l’original anglais par Kadour Naïmi

Notes

(1) Les termes sont employés par l’auteur dans son interview originale en anglais.

Auteur
Kadour Naïmi

 




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