29 mars 2024
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Jean Sénac, l’Algérien blessé

Hommage

Jean Sénac, l’Algérien blessé

« J’ai langui, j’ai séché, dans les feux, dans les larmes ». Jean Racine, dramaturge français (1639-1699)

Décrire la marge, voilà le travail auquel s’oriente l’inspiration de l’écrivain ou du créateur. Dans diverses séquences du film Chronique des années de braises, réalisé par le cinéaste algérien Mohamed Lakhdar Hamina en 1975 dont le scénario a été écrit par Tawfik Farès, couronné par la palme d’or du festival de Cannes, l’on aperçoit bien un fou barbu «Miloud» au milieu d’un cimetière en train de déclamer un discours-fleuve aux morts qui gisent sous les tombes tout en leur distribuant en même temps des tracts qui les invitent à entrer en communion avec les vivants et fédérer leurs forces afin de combattre le colonialisme. L’intensité des sentiments enfouis dans ses mots est tellement forte que l’homme est subitement sorti de ses gonds, devenu extatique et attentif au silence sépulcral en alternant des mimétiques à la fois enragées et enjouées selon ses états d’âme confus, ses souvenirs moroses, et les souffrances séculaires de tout un peuple auxquels il fait référence, «l’humanité, dirait le philosophe Auguste Comte (1798-1857), se compose plus de morts que de vivants». Ce fou-là dont le rôle aurait d’ailleurs été incarné par le réalisateur lui-même, se pare de l’aura mythique du poète pour interroger son destin et celui des siens car personne ou presque n’est vraiment en mesure de prétendre à un tel privilège s’il n’est pas atteint en profondeur du délire démentiel aussi bien de la magie des mots que de la poésie des sens. Jean Sénac (1926-1973), cet algérien blessé, en barde jeté en pâture aux oubliettes par l’Algérie indépendante, aurait mieux que quiconque, compris ce jeu en duo entre la folie et la poésie, la mort et la vie, l’inertie et la création, la sécheresse des esprits et l’art prometteur.

Né à Béni Saf, cette ville enchanteresse du littoral algérien, le poète y passa toute une enfance tourmentée en raison de sa maladie de tuberculose et de pleurésie, pour dévorer ensuite à pleins dents une adolescence à Oran, la ville de «passions simples» comme l’avait décrite le philosophe.

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Albert Camus (1917-1960) dans son récit romanesque La peste. L’énigme de ses origines est plus qu’un fardeau qu’il porta sur sa conscience sa vie durant. Bien plus, celle-là n’est qu’un pur euphémisme d’une existence jonchée de souffrances, d’une âme en peine et d’un destin poétique éparpillé en fragments de résistance. Car bercé dès son jeune âge par une éducation catholique dévote d’une mère baroque, et de l’obsession paranoïaque de l’absence du père, Sénac, l’orphelin congénital, encore un autre jeu linguistique pour cacher sa «bâtardise», n’a pu se défaire qu’à-peine de ce tsunami intempestif de la spiritualité. Certes, l’influence du mysticisme occidental de Jean de la croix, de Thérèse de Avila et de Antonin Artaud, le poète de l’amour, du corps et de la sensualité conjuguée aux effets de la culture soufie qu’il a longtemps côtoyée, représentée tout particulièrement par Al-Hallaj, Al-Rûmi et à quelques exceptions près Abu Nûwas, le poète connu en terre arabo-musulmane pour son érotisme euphorique et ses vers qui célèbrent l’amour charnel, n’est pas étrangère à son penchant excessif pour la métaphysique de l’esprit et surtout la concupiscence. Ce qui l’a conduit bien plus tard à s’inscrire dans une logique poétique de «différence», l’ayant mené à sonder les recoins aussi contradictoires qu’impénétrables de l’humanité obscure et ratisser le territoire intime de ses propres hantises.

Tel un Fedrico Garcia Lorca, le poète ibère assassiné à le fleur de l’âge en 1936 par les franquistes revanchards, et qui aurait célébré la grandeur de l’Espagne via sa troupe musicale et poétique «la Barraca» ainsi que ses différents écrits littéraires notamment «El romancero gitano», cette oeuvre magistrale où les thèmes de la mort, de la nuit et de l’angoisse se disputent le droit de cité avec l’amour, la patrie et la vie, Sénac lui, dont le père inconnu est probablement un gitan, aurait ressuscité le soleil algérien sous les armes de la révolte dans son recueil «le Soleil sous les armes» paru à l’aube de l’insurrection nationaliste. Le poète est un éclaireur qui n’a pas droit à l’erreur et qui ne devrait en aucun cas se départir d’un rôle social et civique qui est le sien ; celui de défendre la terre que son âme avait élue «et je répète, écrit-il, dans un texte en mars 1954, à quelques mois du cri des guépards de la Toussaint, un nom toujours le même, celui qu’aucune humiliation, aucune colère n’efface, le tien Mère Algérie, notre inlassable amour[…] Mon peuple m’entoure et murmure […] qu’importe maintenant la haine et l’indifférence de nos pères puisque voici la vérité en route et que je marche dans ses rangs». Ces mots-là, il est vrai, résonnent à la façon d’un appel à l’insurrection d’autant plus que tel un Émile Zola (1840-1902), rebelle et engagé en son temps, et ayant résisté contre vents et marées afin de rétablir la justice dans ses droits en accusant toute la III République de s’être mise aux trousses d’un innocent Dryfus et cultiver de la sorte l’intolérance et d’indifférence vis-à-vis de l’humaine condition, Sénac, le barde illuminé a plus fermement cru en la vérité qui marche sans risque de se faire étrangler et à «la justice de la mère agressée» qu’aux voix discordante des colonialistes revanchards. C’est probablement dans ce sens que l’écrivain et critique français Jean Déjeux décèle et remarque dans la littérature algérienne cinq thématiques obsédantes: les ancêtres, la patrie, la liberté, le peuple bon, et l’homme nouveau. En s’y souscrivant, le flegme poétique en Sénac devient un espace en pointillés, une infinité de repères qui s’élargissent, et une vie qui ouvre ses fenêtres au vent de la solitude, de la méditation mais aussi et surtout de la sensualité. Si l’objectif de la poésie chez le poète surréaliste Paul Eluard (1895-1952) est la recherche de «la vérité pratique», et sa finalité chez le pionnier de la poésie algérienne Jean Amrouche (1907-1962) est «le langage primordial», Sénac, lui, aurait préféré «l’éveil algérianiste» sinon plus «la poésie protestatrice». Il est vrai par ailleurs que l’influence des poètes surréalistes français tels que Paul Verlaine, Louis Aragon, René Char se fait réellement sentir dès que l’on déambule à travers ses vers. Et pourtant, Sénac en «algérianiste» écorché vif aurait rejeté l’intitulé de littérature d’expression française pour revendiquer une simple «graphie littéraire». Car, convaincu du caractère temporaire et passager de la littérature française au Maghreb, il aurait souhaité à plusieurs reprises voir une relève autonome sortir du terreau local et des entrailles linguistiques du petit peuple afin de mieux refléter la vraie condition des masses. A cet effet, il écrit dans son Anthologie de la nouvelle poésie algérienne, parue en 1971 ce qui suit : « Nous transmettons fièrement le relais à nos frères, les poètes arabes de demain ». C’est peut-être pour cette raison que l’enfant terrible de la littérature maghrébine, le célèbre Rachid Boudjedra aurait écrit dans ses douloureuses Lettres algériennes et de manière fort dithyrambique « Jean Sénac nous a toujours aidés lorsque nous avons vingt ans […] Talentueux comme un poète. Généreux jusqu’au bégaiement et jusqu’à l’impudeur, il avait le verbe dru et vaste, les projets plantureux et fastes. Les injures passionnées et ardentes ».

Mais Sénac, ce marginal utopique à l’instar de Jean Genet (1910-1986), ce vagabond sans père comme Aragon, cet autre bâtard bohémien qui aime à mourir le soleil d’Espagne, ce révolté sartrien, ce pied-noir déclassé et cette âme rebelle attachée à ses racines aurait-il pu apprivoiser et dompter cette bête sauvage, cette envahissante sorcellerie, ce mal viscéral ou pour emprunter ses propres termes ce «don maudit» que l’on appelle à tort ou à raison «poésie»? Nul doute, la poésie est une brûlure intime, un jeu perfide, et une harcelante quête de sens qui sème les graines de trouble dans les certitudes, brouille le réel et transporte son locataire sur les nuages de l’imaginaire, elle est «cette folle de logis» comme dirait le philosophe Pascal (1623-1662) qui ne s’exorcise jamais plus. Foin de métaphores, la poésie est, en un mot, un mystère de joie mais aussi un abîme de tristesse que cherchent les sons et les symphonies dans les plis et replis tout autant du vécu que de l’imaginaire de l’existence. C’est pourquoi, la perspective de se lancer dans une aventure d’écriture romanesque chez Sénac s’est avéré être un piétinement monstrueux, un arrachement au soi et une atteinte à son génie. Le roman lui-même en tant qu’oeuvre artistique est perçu comme un océan de désordre qui ne laisse guère place vacante à l’exhibition des blessures et à l’exaltation de la subjectivité. Ainsi l’ivresse créatrice du poète s’est-elle assagie dès lors qu’il s’est mis en tête l’idée d’esquisser son roman «ébauche d’un père» en 1971, deux ans avant son lâche assassinat. C’est sans doute dans cet esprit que l’écrivain Abdelkebir Khatibi parle dans son essai Le roman maghrébin du «délire poétique» des auteurs maghrébins. Mais pourquoi ce compte à rebours, cette course contre la montre, ce saut de pans entiers du parcours de Sénac? Sa vie n’est-elle pas avant tout une complainte d’un enfant abandonné, un hymne de résistance hors pair, une lutte exceptionnelle dans le sillage de Frantz Fanon (1925-1961) contre l’injustice des hommes et une revendication d’une identité collective bafouée ainsi que d’une particularité intime atypique? Tel un Arthur Rimbaud (1854-1891), poète libertin et bohémien à ses heures, errant à travers les contrées d’Orient en quête de sens à sa vie, lui aussi ne s’est aucunement embarrassé d’afficher ses penchants sexuels, il aurait haussé fièrement le ton pour dire que la poésie n’a d’autre message à transmettre que celui de l’amour, du combat et de la lutte. Mais c’est plus sous le prisme de cette dernière dimension que sa quête a trouvé son sens et son pré carré de grandeurs. A ce titre, dans un texte inclus dans le recueil «Matinale de mon peuple», préfacé de la prison de Fresnes où il se trouve par l’intellectuel et nationaliste Mostefa Lacheraf (1917-2007), il a laissé ce vers marquant à tant d’égards «si nos poèmes ne sont pas aussi des armes de justice dans les mains de notre peuple, oh, taisons-nous», l’épanchement lyrique et la verve combattante sous forme d’une rhétorique claire, simple et directe ne lui auraient-ils pas du reste causé d’énormes désagréments durant la guerre de libération? N’a-t-il pas sacrifié tout ce qui lui est proche afin d’embrasser la cause de la justice? Albert Camus, le philosophe existentialiste auquel il s’est lié d’une amitié en or ne l’a-t-il pas lâché au dernier moment parce que celui-ci aurait refusé d’accréditer la «trêve civique» entre les rebelles du F.L.N et les colonialistes? Laquelle thèse était si chère au philosophe de «l’absurde» et au cénacle des salonards parisiens. A dire vrai, Yahia Al- Wahrani, nom local que lui attribuent ses amis algérois, n’aurait ménagé aucun effort afin de hisser l’étendard de l’Algérie au summum de la gloire et n’a jamais regretté ses choix décisifs et aurait même préféré la chaleur du giron patriotique au maillon de l’amitié des salons littéraires de celui qui l’appela non sans un brin de douceur «mi hijo» (mon fils). Hélas, la correspondance qu’il avait entamée avec cet autre fils du pays a fini tristement en eau de boudin. Le deal est rompu car l’amour de l’Algérie fut de par son intensité phénoménale, un geyser de révoltes. Tout au plus était-il en lui-même une chaleureuse poésie qui aurait accompagné en mère-génitrice l’esprit de notre poète pour le réchauffer du givre de la solitude, de l’isolement et de l’exil. C’est pourquoi, Camus s’est transformé en un «père impossible». Pire encore, il s’est paré des habits du «frère ennemi» dès qu’il a prononcé son fameux discours du récipiendaire du prix Nobel à Stokholm en 1960 où les attraits de la mère-patrie agressée en plein jour sont sciemment négligés en faveur d’une certaine justice de pacotille qui met sur un pied d’égalité et sur fond d’un langage de «l’absurde» aux intonations ambiguës, le pilleur-agresseur «dévergondé» et la mère-patrie, méprisée et humiliée. La guerre est dure, la guerre est salace, la guerre n’a pas de cœur ni d’esprit, elle est souvent trahison et haine, lâcheté et partis pris, reniements et mauvais calculs. Mais Sénac aurait-il succombé à ses traquenards, à ses miroitements et à ses pièges? Non et mille fois non. En poète rebelle et aguerri, célébrant «le soleil» et «la fraternité», ses deux comparses au moment des malheurs, il aurait refusé la prise d’otage de l’histoire par les colonialistes, l’institutionnalisation du mensonge et la fabrication des contre-vérités sur le dos d’un brave peuple. S’il a décidé de soutenir les nationalistes-rebelles, c’est parce qu’il était convaincu du bien-fondé de leur cause et tout particulièrement parce que ceux-ci ont «cru à la lumière/ comme remède unique pour l’Algérie/ ils ont formé le noyau/ forcé la nuit/forgé la nation», son activisme révolutionnaire au sein de la fédération de France du F.L.N est plus qu’un gage de bonne foi, sinon, pourrait-on dire plus, une alliance du cœur à la terre nourricière.

Parallèlement à son activité de journaliste de 1957 à 1960 à El Moudjahid, bulletin clandestin de la révolution en France, Sénac a réussi à conserver les premiers exemplaires de la plate-forme de la Soummam (20 août 1956), chez ses éditeurs parisiens et est en même temps parvenu à y installer une imprimerie pour la cause de ses frères combattants. De plus, sa démission tonitruante de la radio Alger en 1954 prenant fait et cause pour l’indépendance d’Algérie fut plus qu’une prouesse, sachant bien qu’une année auparavant il aurait permis grâce à sa revue «Terasses» aux écrivains autochtones: Mammeri, Yacine, Dib, Haddad et autres de s’exprimer et de dénoncer le drame algérien.

Outre le climat d’engagement, les années parisiennes furent également de larges périodes de découverte littéraire, Simone de Beauvoir, Emmanuel Roblès, René Char furent ses premiers contacts. Ce dernier aurait exercé même une influence considérable sur sa son avenir littéraire à tel point que Sénac l’appela «le maître constant». Ironie du sort et des circonstances, Sénac qui est en poésie comme l’on entre en religion, aurait donné sa vie pour la cause de son pays et s’est permis même «une prise de parole au nom de l’état-major des analphabètes» pour paraphraser ses propres dires, s’est vu hélas meurtri dans sa chair, nié dans ses pulsions, écarté de ses délires en plein milieu des siens, à l’aube de l’indépendance nationale. La révolution algérienne à laquelle il a si vivement lié ses rêves, l’a foulé au pied, et lui a jeté de l’opprobre à la figure car la pensée a été mise aux orties et le dogmatisme a desséché les esprits à telle enseigne que le fleuve ait été détournée de son cours. Mais la figure tutélaire du roi numide Jugurtha plane toujours au-dessus des pensées et la résistance contre les fornicateurs de l’histoire s’est accompagnée d’une «quête de vie», chez l’enfant bâtard de Béni Saf, l’obsession du père le harcèle et le pourchasse sans cesse, l’obligeant à se réfugier derrière la barricade du désir. L’amour, l’identité, et le langage traversent comme des éclairs fulgurants sa poésie. Mais le désir n’est-il pas le père de la pensée et l’ancêtre de la poésie?

La sensibilité et le poésie sont à équidistance l’une l’autre chez Sénac et le désir est cette vie mirifique qui construit l’espace des possibles, plutôt dire une fleur avec ses pétales que l’abeille «poésie» butine, cette métaphore n’est pas fortuite car notre poète y a souvent recours «parle ô tranquille fleur tisseuse des promesses/ prélude au sûr éveil de l’orage/ dis que bientôt l’acier refusera la forge et bientôt le douar entamera la nuit» écrit-il dans son recueil poétique «Matinale de mon peuple» en 1961. Néanmoins, cet espoir qu’il entretient avec le printemps, le soleil et les roses s’est usé avec le temps et devenu hélas désespoir inouï «je resterai l’enfant bâtard qui traînerait sa pensée tragique» clame-t-il plus tard aux premiers balbutiements de la liberté du pays, dans un autre contexte, il laisse ces mots émouvants et prémonitoires dans son recueil «la racaille ardente» «J’ai vu ce pays se défaire/ Avant même de s’être fait/ Corruption[…] méchanceté, vulgarité/ les pieds noirs cent fois battus», Sénac fut à la fois dans sa relation panachée à l’Algérie-Mère comme le barde italien Paolo Pasolini (1922-1975) et l’américain Whitman walt (1819-1892), tous deux victimes de convulsions de l’histoire, de mutilation identitaire et de rejet des siens. Le coup d’État de Boumédiène en 1965, édulcoré de douceur et badigeonné d’épaisses couches du «révolutionnarisme» qui sent l’odeur d’un ratage historique fut la deuxième déception plutôt dire le deuxième trépas de «l’enfant triste» de l’Algérie. Éjecté de l’Union des Écrivains Algériens, rejeté par les cercles littéraires parasitaires, Sénac, en dépit de ses émissions radiophoniques qu’il aurait animées, notamment celle de «poésie sur tous les fronts», a pris la marge comme tribune libre, en se recroquevillant sur lui-même, et en s’isolant dans sa cave, là où il aurait écrit une année avant son lâche assassinat «cette nuit dans ma minuscule cave, après avoir franchi les ordures, les rats, les quolibets et les ténèbres humides à la lueur d’une bougie, dix ans après l’indépendance, interdit d’une vie au milieu de mon peuple, écrire…», plus loin encore, il annonce sous une forme lapidaire mais fort prémonitoire, voire prophétique, son future destin «ils me tueront mais je ne quitterai jamais en lâche ce pays où j’ai tant donné de moi-même, ils feront de moi un nouveau Federico Garcia Lorca», «j’institue ma légende» renchérit-il. Son compagnon, le poète Rabah Belamri faisant le parallèle entre Sénac et Lorca écrit justement dans ce sens ce qui suit «opposés à toute forme de discrimination, les deux poètes n’admettaient aucune barrière morale entre les individus […] Ils étaient les frères de tous ceux que la société des bien-pensants marginalise et enferme dans des ghettos de réprobation». Mais quelle rencontre d’esprit entre deux géants de résistance et de poésie!

Ne saurait-on pas justement trouver dans le dernier mauvais présage de Sénac, une pertinente prophétie ? Nul doute, la sensibilité ne ment ni ne bégaie guère, une vingtaine d’années plus tard, l’un des jeunes poètes qu’il avait formé au côté de Youcef Sebti, Hamid Skif, Imaziten, Abdoun en leur consacrant tout un créneau dans son ouvrage «Anthologie de la nouvelle poésie algérienne», qui fut en l’occurrence l’écrivain Tahar Djaout, aurait péri sous les balles des «ennemis de la liberté». Lui, qui s’est d’ailleurs indigné en 1981 de l’assassinat de son maître. Néanmoins, il a pu pérenniser sa fibre patriotique durant presque deux décennies en laissant cette phrase que toute une génération d’algériens aurait apprise par cœur «si tu te tais, tu meurs, si tu parles, tu meurs, alors parles et meurs». Il n’est nullement inutile de dire par là qu’il a y a une véritable connivence poétique intergénérationnelle entre Sénac et Amrouche. Celui-ci aurait déjà sublimé en 1958 dans son recueil «ébauche d’un chant de guerre» dédié exclusivement au martyr-héros Larbi Ben M’hidi, la légitimité du combat humain contre la barbarie en écrivant «aux algériens/ on a tout pris/ la patrie avec le nom/le langage avec les divines sentences de sagesse/ qui règlent la marche de l’homme». En dernier ressort, l’on ne saurait que dire fièrement et à haute voix qu’un grand hommage au courage et à la bravoure des hommes de la trempe de Sénac est plus qu’un devoir patriotique qui pèse lourd sur les épaules de tous les algériens, sans exception ni exclusion.

Auteur
Kamel Guerraoua

 




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