19 avril 2024
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« Juin, le maréchal africain » de Guillaume Denglos

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« Juin, le maréchal africain » de Guillaume Denglos

Fondée sur une longue enquête, tant auprès des archives françaises y compris diplomatiques, qu’étrangères (Maroc, Espagne), sans oublier les fonds privés et l’étude des multiples écrits d’Alphonse Juin, l’auteur livre une biographie-modèle d’un personnage controversé.

Elle est le prolongement de sa thèse, sous la direction de Pierre Vermeren (Paris-1), soutenue en Sorbonne en décembre 2014. De modeste origine, fils et petits-fils de gendarmes, né à Bône (Annaba actuellement) et dont l’enfance est marquée par la ville-garnison de Constantine, Juin est l’archétype d’une ascension sociale républicaine. Un «lien charnel », selon ses propres termes, le lie à l’Algérie et à l’Afrique française du Nord (AFN).

 Forte tête, mais très bon élève dans le cadre d’une école coloniale ségrégationniste (en 1889, 2% des enfants musulmans scolarisés), grâce à une bourse, il entre en 6ème au lycée de Constantine où il apprend l’arabe. Classe préparatoire à Saint-Cyr à Alger en 1909, puis un an de service militaire au 9e zouaves d’Alger avant d’intégrer la prestigieuse école d’officiers. Il en sort major (De Gaulle est 13e) de la promotion Fès.

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Considéré comme officier d’élite, il choisit le 1er RTA (régiment de tirailleurs algériens) à Blida afin de participer à la conquête du Maroc. Son patriotisme est plus « bleu outre-mer » que « bleu des Vosges ». Fasciné par Lyautey, à partir de décembre 1912 le Maroc est pour lui une école d’énergie. Il monte au baroud et édifie des postes. En 14-18, c’est au sein de diverses unités de tirailleurs marocains qu’il mène une guerre exemplaire (deux blessures, quatre décorations), après s’être illustré à la bataille de la Marne en septembre 1914, puis au chemin des Dames en avril 1917. L’ascendant sur ses hommes confirme ses qualités de commandant de compagnie et de véritable chef. Il s’ennuie à l’Ecole supérieure de guerre (ESG) en 1919-1921 et devient un membre actif de l’influent Comité de l’Afrique française. L’auteur a raison d’insister sur le stage que Juin effectue en Tunisie à l’issue de l’ESG. Le Résident général, Lucien Saint, lui montre la manière forte en avril 1922 pour résoudre la crise dynastique : le vieux bey Mohamed en-Nacer, soutenu par le Néo-Destour, prétendait remettre en cause la présence française. Juin saura s’en souvenir plus tard au Maroc.

Cet ouvrage tient aussi de la prosopographie en mettant en parallèle des carrières d’officiers issus de la même promotion de Saint-Cyr. En ressort la rivalité précoce à l’Etat-major de Fès entre Juin et Jean de Lattre de Tassigny. Lors de la guerre du Rif, où il obtient une citation à l’ordre de l’armée, Juin est à la pointe du combat contre Abdelkrim. Il n’est pour lui qu’un ambitieux et il lui dénie toute dimension politique nationale ou nord-africaine. En octobre 1925, il suit par fidélité Lyautey dans sa disgrâce en métropole. Pendant deux ans il vit dans l’ombre de son chef et apprend beaucoup sur les sphères du pouvoir, avant de reprendre un commandement à Constantine où il commande un bataillon.

En 1928, il épouse Cécile Bonnefoy, la fille d’un gros colon, figure marquante de la ville. Son beau-père lui fait d’ailleurs acquérir des parts dans une société de transports publics entre Constantine et Sétif. En 1929-1933, le colonel Juin retrouve le Maroc comme chef du cabinet militaire de Lucien Saint, nommé Résident général. Juin est bien l’inspirateur d’un plan cherchant à définitivement réduire toute dissidence au Maroc. Ce qui le rapproche du général Noguès, le nouvel homme fort de Rabat qui, comme lui, reste sourd et aveugle face à l’émergence du nationalisme marocain. Alternant les commandements (3e zouaves à Constantine en 1935) et des fonctions d’état-major après un stage au Centre des hautes études militaires, promu général de brigade en 1938, Juin est tout aussi incrédule devant la montée du nationalisme politico-religieux algérien.

En mai 1940, Juin s’illustre à la tête de la 15e division d’infanterie motorisée et tient en respect, le 15, deux divisions allemandes à Gembloux. Succès tactique sans lendemain faute de soutien. Il se replie dans la poche de Lille. Fait prisonnier avec les honneurs de la guerre, il est détenu dans la forteresse de Königstein, en Saxe, où il rencontre le général Giraud.

En juin 1941, Weygand le fait libérer pour le nommer à la tête de l’Armée d’Afrique. Parce qu’il veut à tout prix défendre l’empire colonial, Juin épouse les thèses de la Révolution nationale du régime de Vichy en espérant que Pétain ordonne de reprendre le combat. Les chapitres VIII  et IX sont décapants. En novembre 1941, l’amiral Darlan nomme Juin commandant supérieur des forces terrestres et aériennes de toute l’Afrique du Nord et un mois plus tard il rencontre le maréchal Goering à Berlin, n°2 de l’Allemagne nazie. Manipulé par Robert Murphy, représentant spécial de Roosevelt en AFN, Juin, par fidélité au Maréchal, tergiverse trois jours avant de se rallier à la cause des Alliés après le débarquement du 8 novembre 1942. Il remet ensuite l’Armée d’Afrique au combat en Tunisie face à l’Axe. Nommé par le général Giraud Résident général par intérim à Tunis, en mai 1943, agissant sur ordre, il force Moncef bey à abdiquer. Juin reconnaîtra plus tard que l’accusation de collusion du bey avec l’Axe était fausse, mais le mal était fait et un véritable culte nationaliste entoura le courageux souverain déchu.

Le 22 juin 1943, nommé chef d’état-major-général des forces armées (terre et air) en AFN, il se rallie peu après au général de Gaulle qu’il estime plus à même de remettre la France au combat. S’ensuit l’éblouissant chapitre sur la campagne d’Italie du CEF (Corps expéditionnaire français) sous le commandement de Juin à compter d’août 1943. L’auteur ne cache rien des lourdes pertes (5 240 tués, 1 930 disparus et 20 850 blessés) des 120 000 hommes du CEF en 1944, des exploits des troupes de montagne (prise du Belvédère) à l’éclatante victoire du Garigliano, en mai 1944, qui ouvre aux alliés la route de Rome où Juin entre en vainqueur, avant la prise de Sienne.

Point d’hagiographie, Guillaume Denglos livre les dernières recherches relatives à la « marocclinate » en mai-juin 1944 concernant les viols et les pillages commis essentiellement par des soudards marocains. Il montre aussi le déficit mémoriel dont souffre encore le CEF au détriment de la libération du territoire national. Overlord (6 juin 1944) annonce la fin du CEF. Juin rumine son amertume quand de Lattre est nommé à la tête de la Ière Armée française qui débarque en Provence le 15 août 1944. Mais de Gaulle se concilie son ancien camarade de Saint-Cyr en le nommant chef d’état-major-général de la Défense nationale, poste clef entre le ministère des Armées et les chefs militaires dans la dernière phase de la guerre. Le 26 août 1944, Juin défile sur les Champs -Elysées, derrière de Gaulle.

Mal à l’aise aux premiers temps d’une IVe République instable, Juin est nommé par Georges Bidault, président du Conseil, Résident général au Maroc en mai 1947. Il arrive à Casablanca à bord d’un croiseur et se montre très ferme envers le sultan Mohamed Ben Youssef qui incarne le renouveau du nationalisme marocain au côté des indépendantistes de l’Istiqlal. De ce proconsulat à poigne rien n’est oublié, de la vie intime de Juin à sa brève mission en Indochine, jusqu’aux jeux de pouvoirs. Contre l’Istiqlal et le sultan, Juin joue la carte biseautée du Glaoui de Marrakech espérant régler une fois pour toute, au bénéfice de la France, la question de la co-souveraineté. Ce choix malencontreux est à l’origine, en février 1951, de la déposition ratée du sultan, faute politique majeure superbement analysée dans le chapitre XVII. Voulant garder des bases au Maroc et une France forte au sein de l’OTAN, les Etats-Unis jouent contre Juin en se méfiant des tribus qui marchent sur Fez et sur Rabat au nom du Glaoui. S’ensuit une atmosphère de paix armée dans l’empire chérifien.

En mars 1951, toujours critique envers l’instabilité de la IVe République, Juin quitte son proconsulat et devient l’adjoint du général Eisenhower en tant que commandant du secteur Centre-Europe de l’OTAN. Suit le temps des honneurs, le maréchalat le 14 juillet 1952 et l’Académie française onze mois plus tard. De plus en plus encombrant sur le plan politique, Juin continue d’intriguer au Maroc au bénéfice du Glaoui. Il applaudit lors de la déposition du sultan, le 18 août 1953. Un des morticoles du projet de CED (Communauté européenne de défense), après Dien-Bien-Phu il fait le siège des politiques, et de Pierre Mendès-France en particulier, à propos de la nécessité de conserver la totalité de l’AFN. Il se heurte ensuite à Edgar Faure qui fait de la « Realpolitik » au Maroc et en Tunisie en route vers l’indépendance.

Auteur du Maghreb en feu, Juin démissionne de son poste OTAN le 1er octobre 1956 et défend bec et ongles sa conception, étroite, de l’Algérie française. Ce qui le met graduellement en opposition avec la politique du général de Gaulle, revenu aux « affaires » en mai 1958. Lors de la semaine des barricades d’Alger, fin janvier 1960, les deux hommes ont une dernière entrevue orageuse. De Gaulle « démissionne » son camarade de Saint-Cyr de toute fonction de conseil auprès du gouvernement en novembre 1960. Le maréchal est ensuite mis à la retraite ex-abrupto le 6 avril 1962, notamment pour ses sympathies pour l’OAS. « Dernier maréchal d’un Empire révolu » (p. 392), il ne se relève pas de la perte de sa chère Algérie. Après un AVC, sa santé se dégrade à compter de décembre 1963. Il meurt le 27 janvier 1967. De Gaulle vient lui rendre hommage en uniforme.

En bref, après les remarquables travaux relatifs aux maréchaux Leclerc et de Lattre, et en attendant une grande étude sur Koenig, cet ouvrage consacré au maréchal « algérien » restera comme référence des deux côtés de la Méditerranée.

J.-C. J

Guillaume Denglos, Juin, le maréchal africain, Ministère des Armées, Belin, mars 2018, 464 p., 26 euros.

 

Auteur
Jean-Charles Jauffret

 




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