26 avril 2024
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La légende d’une grive solitaire

Entretien avec l’écrivain Idir Tas

La légende d’une grive solitaire

Le Matin d’Algérie : Tu viens de publier aux éditions du Net un nouveau livre intitulé “La légende d’une grive solitaire”. D’où t’es venue l’idée de l’écrire ?

Idir Tas : J’ai commencé ce livre il y a une vingtaine d’années, alors que j’étais demandeur d’emploi sans toucher d’indemnités, car je venais d’arriver d’Algérie. Pour tromper mes angoisses, après m’être rendu à l’ANPE, j’allais me promener à Valence ou dans ses proches environs et je prenais des notes sur un petit carnet Rhodia. J’inscrivais tout ce qui me paraissait important : le nom des pays traversés, des ruisseaux, mes impressions personnelles, l’ambiance des lieux, la forme des arbres, les odeurs des plantes, les couleurs des rochers et les jeux de lumière sur les paysages. Cela me paraissait essentiel à ma survie. C’était comme si l’espace m’offrait des mantras poétiques pour m’aider à supporter ma situation. Puis j’ai laissé ce carnet dans un tiroir, lorsque j’ai repris une activité.

Dernièrement, alors que je venais de terminer le troisième tome du Murmure du figuier bleu, l’idée m’est venue d’écrire sur mes cinq années de recherche d’emploi. Je me suis souvenu des notes que j’avais prises dans les années 90, plus précisément au cours du mois de septembre 1999. En les relisant, j’ai été surpris par la précision de ce que j’avais écrit, même si les phrases reflétaient parfois le désordre de la spontanéité et du tout-venant. En tout cas, j’ai vraiment eu l’impression de retrouver tout ce que j’aimais de cette région que j’ai quittée à présent. Les lieux défilaient à nouveau devant moi, à la fois avec la fidélité d’une caméra et la façon particulière dont j’investissais l’espace intimement, à moins que ce ne soit le contraire. Plus d’une fois, durant cette période très difficile où je ne tournais pas toujours rond et me sentais très souvent seul et décroché de la société comme un wagon laissé sur la voie, l’espace m’a servi d’interlocuteur privilégié parlant à la place des absents.

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Mais toutes mes notes n’étaient pas abouties, loin de là. Certaines étaient même très lacunaires. Cela ne m’a pas découragé pour autant, car de nouvelles perspectives s’ouvraient à mon imagination.

Pourquoi as-tu préféré inventer un personnage de fiction plutôt que de continuer à parler de toi ?

J’aurais pu continuer à écrire de façon autobiographique, mais le sujet était tellement délicat pour moi qu’il m’a semblé plus pertinent, pour établir une mise à distance, d’opter pour un personnage qui me ressemble sans être tout à fait mon alter ego. Je l’ai nommé Lounis et j’ai essayé de lui donner une vraie vie sur terre, même si c’est un peu une vie de galère.

La fiction m’a offert plus de souplesse et ‒ aussi étonnant que cela puisse paraître ‒ une structure plus rigoureuse qui m’a empêché de me noyer dans la multitude de souvenirs douloureux. Quelqu’un qui écrit sur le chômage peut vite sombrer dans une profonde dépression. De plus je craignais de verser dans les excès liés à cette situation. Je ne voulais pas que mon livre ressemble à une analyse. Je ne pouvais être à la fois et le patient et le thérapeute.

Par ailleurs j’ai voulu que mon récit ait une valeur exemplaire, sans prétention aucune. Seulement pour que mon expérience puisse servir à d’autres. Bien sûr, je ne me prends pas pour modèle et je n’ai aucune leçon à donner. Mais le chômage peut concerner tout le monde. Ce qui est certain, c’est que je n’ai jamais été un chômeur désespéré ni suicidaire. J’ai veillé à rester toujours positif, du mieux que j’aie pu, même si ce n’était pas simple tous les jours surtout quand je recevais une réponse négative. J’ai essayé de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je me suis efforcé de donner un sens à chacune de mes journées.

Mais je suis en train de parler de moi et non de mon personnage. Plus nos expériences sont fortes et douloureuses, plus les personnages de fiction parviennent à mettre en mots l’indicible et à incarner notre multitude qui nous échappe sans cesse.

Comment la quête des origines s’est-elle greffée sur le thème de la recherche d’emploi ?

Peut-être, parce que, lorsqu’il n’y a rien devant, on se tourne vers le passé, on cherche des réponses à ses questions à travers l’histoire familiale. En ce qui concerne Lounis, c’est en remontant sa généalogie et en se confrontant à l’absence de traces qu’il a compris de quelle H/histoire il était issu.

Il y a quelques mois je suis allé en Algérie et une de mes connaissances m’a permis de consulter des registres à la mairie. J’ai alors réalisé que nous ne pouvions remonter le temps au-delà du 19e siècle. Ce n’est pas seulement parce que notre culture est orale, c’est aussi parce qu’il y a eu de nombreuses colonisations : française, turque, espagnole, arabe, byzantine, vandale, romaine, grecque et peut-être capsienne (même si certains pensent que les Capsiens étaient eux-mêmes des Berbères). On cachait les naissances afin que les garçons ne grossissent pas le rang des soldats de l’occupant.

Après la conquête de toute la Kabylie par l’armée française en 1857, il y a eu l’insurrection générale de 1871 menée par Mokrani et Haddad, puis la déportation des insurgés survivants en Nouvelle-Calédonie. Est-ce que tu connais d’autres recensements de la population kabyle entre cette période allant de 1857 à 1890 ?

Malheureusement, non. Je sais qu’il existe des registres de tous les déportés en Nouvelle-Calédonie. Les listes  sont d’ailleurs consultables sur internet. Des recensements limités ont probablement eu lieu de 1857 à 1890. Aujourd’hui, le problème, c’est de mettre la main sur tous ces documents historiques.

À partir de la fin des années 1870, la population kabyle, difficilement contrôlable car pratiquement inaccessible, était obligée de déclarer ses naissances. Les habitants d’Akfadou, eux, devaient se rendre au bureau militaire situé à Sidi-Aïch… Et ils ne le faisaient pas en réalité… Aussi, parmi les objectifs du recensement de 1890, figurait celui de vérifier la concordance des naissances enregistrées avec le nombre d’enfants dénombrés dans les diverses maisons familiales des différents villages…

Lorsque j’ai eu entre les mains les pages de ce recensement de 1890, je me suis senti très ému. C’était comme si on m’avait offert en accéléré un voyage dans le temps et donné le pouvoir de lire les noms qui ont fait notre histoire. C’était comme si j’avais retrouvé un rouleau de la bibliothèque d’Alexandrie. Il me semble que si chaque Algérien pouvait connaître le nom de ses ancêtres, il serait comblé, car le vide du passé s’amoindrirait un peu.

Mon personnage, lui, a trouvé une paix intérieure en découvrant les noms des divers membres des familles dont il est le descendant. C’est comme si ses aïeux éclairaient sa route et l’aidaient à surmonter l’épreuve du chômage à l’étranger. Peut-être cette période difficile lui a-t-elle été salutaire parce qu’elle lui a permis de mener une quête sur ses origines…

En parallèle il a pu s’adonner à l’écriture…

En effet, sans l’écriture Lounis n’aurait pas pu tenir. Les lieux de ses promenades lui ont fourni un ancrage pour rédiger plusieurs légendes qui sont comme des mises en abyme de son état psychologique ou de ses expériences. Chaque légende renvoie à un lieu familier : Vallon Pont-d’Arc, Crest, Le Port de l’Épervière, Crussol, Beauvoir… Ces légendes ont tissé des liens entre le passé nourri des contes kabyles et le présent de l’âge adulte toujours ouvert à l’enchantement.

On trouve dans ton livre des illustrations. Depuis quand dessines-tu ?

Depuis longtemps et épisodiquement, quand le cœur m’en dit, toujours pour le plaisir. Pour ce livre je me suis surtout amusé. Mes dessins sont naïfs, presque enfantins. Ce sont plutôt des croquis. Pour moi, chaque dessin fait émerger l’univers propre à chaque légende…

En tout cas, j’espère que ce livre donnera autant de plaisir au lecteur que j’en ai éprouvé moi-même à le lire.

Auteur
Entretien réalisé par Tahar Khalfoune

 




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