28 mars 2024
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Le conseil des sinistres de l’Anafrasie !

POINT FINAL

Le conseil des sinistres de l’Anafrasie !

Le gouvernement de l’Anafrasie (de Kateb Yacine) se réunit pour évaluer les besoins de la population pour que le premier sinistre (pour reprendre une expression de Coluche) puisse lui dire, ou faire dire, comment s’en passer (en s’inspirant du même Coluche). C’est le sinistre de l’intérieur, surnommé “Les oreilles de l’Etat” qui prend la parole après son chef.

– Le peuple exprime de nombreux besoins en plus des mauvaises habitudes contractées depuis quelques années. Pour commencer, il réclame une médecine de qualité et une disponibilité du médicament à des prix raisonnables.

Le premier sinistre réfléchit un moment avant de charger le sinistre de la santé de faire le nécessaire.

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– Les gens consultent les médecins pour des futilités et abusent de médicaments. L’austérité exige l’arrêt de l’importation de médicaments, à une exception près : l’urine de chameau, un médicament béni par le grand muphti de l’Arabie saoudite. D’ailleurs c’est la découverte scientifique de ce pays frère et nous nous devons de la valoriser. Et comme c’est un remède préconisé pour toutes les maladies, il faudrait que le sinistre de l’agriculture développe l’élevage des chameaux pour que nous puissions substituer ce médicament à la pharmacologie existante avec une production nationale satisfaisante.

Les gens ont aussi à leur disposition la roqya, un remède aussi universel que l’urine de chameau. Sinon, il y a les herboristes. Et si le fabricant de Rahmat Rebbi est généreux avec le gouvernement, nous autoriserons à nouveau sa merde, à condition qu’elle porte un nom nouveau.

La sécurité sociale, qui fait déjà de très grandes économies en ne remboursant pas un grand nombre de médicaments et en remboursant très mal beaucoup d’autres, fera d’énormes bénéfices avec un tel dispositif pharmacologique (urine de chameau). Et pour engranger plus de bénéfices, l’assurance maladie doit instruire sa police médicale pour rejeter massivement les arrêts de travail des malades.

Les travailleurs doivent s’inspirer des chefs d’Etat africains : il n’y a que les coups d’Etat (de plus en plus rares) et la mort qui les arrêtent dans leur exercice. Même quand ils sont extrêmement malades, ils travaillent. Il faut penser à renforcer les rangs de la police médicale. Avec tous les médecins incompétents et ratés disponibles, on ne va pas manquer de candidats : ils auront la chance et le pouvoir de juger les médecins qui font ce pourquoi ils sont formés en soignant les malades.

La formation des médecins sera écourtée, ce qui générera des économies pour l’Etat tout en satisfaisant l’écrasante majorité des étudiants en medecine qui ont marre de faire de longues études. Comme ils soigneront leurs proches, s’il y a des problèmes, il n’y aura pas de plaintes. Et puis, si les malades ne sont pas contents de leurs médecins, ils n’ont qu’à les renvoyer à l’école et aller consulter les charlatans.

On va arrêter la construction et la rénovation d’hôpitaux. On ne peut pas se permettre le luxe d’héberger des malades qui, de plus en plus, meurent dans ces lieux ; ils n’ont qu’à finir leurs jours chez eux, ce qui sera d’ailleurs meilleur pour leur moral et celui de leur familles.

Le premier sinistre se tourne vers le budgétivore sinistre de l’éducation. “Les oreilles de l’Etat” sourit.

– Le peuple commence à perdre la raison. Si on l’écoutait on ruinerait le pays. Les demandes des enseignants, des élèves et des étudiants sont suffisantes pour absorber la moitié des recettes du pays. Ils veulent plus d’écoles et d’universités, avec une architecture et un mobilier modernes ; des outils pédagogiques pour développer les sciences et la technologie ; des moyens pour les sorties pédagogiques et la culture ; des revendications salariales pour les enseignants et de meilleures conditions d’hébergement pour les étudiants qui veulent aussi que leurs bourses soient revalorisées …

Le premier sinistre l’arrête et fixe le sinistre de l’éducation.

– Stop ! Je compte sur vous pour faire oeuvre de pédagogie. S’il n’y a pas assez d’espace dans les écoles et les universités, les élèves et les étudiants peuvent aller dans les innombrables mosquées du pays où il y a même des fonctionnaires qui ne travaillent pas beaucoup malgré les salaires qui leur sont versés par l’Etat : ils se chargeront de les enseigner. Cela nous permettra d’économiser tout en uniformisant les conditions d’enseignement. On n’aura plus le souci du mobilier : rien que des tapis pour tout le monde. Un livre unique, qui sera généreusement fourni par l’Arabie saoudite, pour tous, à tous les niveaux. Ainsi, ce sera plus facile de trouver des questions uniques et des réponses uniques pour former une pensée unique au lieu de nous emmerder avec tous les coûteux dispositifs pédagogiques qui peuvent, en plus, former des citoyens qui réfléchissent, ce qui est dangereux pour notre sécurité et la pérennité de notre république démocratique.

Le secrétaire à la formation professionnelle lève timidement la main. Le premier sinistre le toise avant de lui faire signe de parler.

– Les enseignants et les apprentis veulent des outils et du matériel.

– Et puis quoi encore ? Rétorque le premier sinistre. S’il y a des gens qui veulent apprendre un métier, ils n’ont qu’à ramener des outils avec eux. Déjà qu’on leur offre des centres pour les abriter… Si on les écoutait encore, ils revendiqueraient du travail !

Il fixe le sinistre de la culture qui voulait prendre la parole et lui dit :

– Toi, tu te mets au service du sinistre du culte qui a déjà tout ce qu’il faut pour sa mission et la tienne. Lui, au moins, n’a pas besoin de l’Etat pour ses projets : les riches, comme les pauvres, n’hésitent pas à faire preuve de générosité lorsqu’ils sont sollicités. C’est un sinistre qui pourrait faire des bénéfices s’il n’aimait pas le luxe.

Futé, le premier sinistre regardait du coin de l’oeil le sinistre de la justice qui faisait semblant de réléchir. Il interroge “Les oreilles de l’Etat”:

– Que veut le peuple pour la justice ?

Le sinistre de la répression sourit encore, malicieusement.

– Le peuple veut des magistrats incorruptibles et des avocats non véreux. Il faudrait plus d’hommes de loi, moins de prisons et, surtout, de la justice.

– Mission impossible, répond le sinistre de la justice.

– Les gens n’ont qu’à se débrouiller entre eux, comme le faisaient leurs ancêtres. Cela leur permettra d’avoir la justice qu’ils cherchent. De toute façon, les tribunaux n’ont pas pour vocation de rendre justice ; ils sont là pour protéger le pays contre les mécontents qui seraient tentés de nous nuire.

Le sinistre des télécommunications remonte l’exigence populaire d’une connexion internet d’un très haut débit, d’un réseau téléphonique performant et des prix abordables. Le premier sinistre prend de l’inspiration et dit :

– Tu peux expliquer aux gens qu’ils doivent comprendre que l’Etat n’est pas redevable de ce service qui n’est pas nécessaire à la population. C’est un peu comme le yaourt et le fromage : l’Etat ne doit au peuple que de la ration de lait, pour le reste chacun se débrouille comme il peut. Pour les télécommunications, le peuple a sa disposition un service gratuit, le téléphone arabe. Pour le reste, que chacun se débrouille selon ses moyens.

Le sinistre de l’intérieur reprend la parole, le ton grave.

– Le peuple veut moins de policiers, plus de sécurité, moins de répression, plus de liberté et de la démocratie. Les gens veulent aussi que l’armée soit neutre et s’occupe de la défense du pays

– Autant dire qu’il veut le pouvoir ! s’exclame le premier sinistre. Le nombre de policiers est un secret d’Etat et cela ne regarde pas le peuple. De toute manière, la police est là pour protéger ceux qui gouvernent, non ceux qui sont gouvernés. Avec toutes les demandes et exigences qu’on a entendues, cela ne m’étonnerait pas qu’il y ne soit nécessaire de recourir à plus de répression à l’avenir. Les récalcitrants auront la liberté de choisir entre la matraque du policier ou celle du gendarme. Ce sera un début pour la démocratie demandée. Notre armée veillera sur l’ordre. Mais il faut expliquer aux gens que l’armée algérienne n’est pas suisse.

Les “Oreilles de l’Etat” reprend la parole pour exposer un voeu populaire sacrilège. Le peuple veut rencontrer le chef de l’Etat, échanger avec lui pour l’entendre parler du présent et de l’avenir de l’Anafrasie.

– On va repasser à la télévision ses anciens discours pour satisfaire cette demande étonnante de la part d’un peuple formé, en majorité, de croyants ! On ne peut pas prendre le risque d’exposer la sécurité du président à la folie du peuple.

Le premier sinistre lève la séance après avoir demandé à ses collaborateurs de se mouiller la chemise pour persuader le peuple de la nécessité de se serrer la ceinture et de fermer sa gueule en ces temps difficiles.

 

 

Auteur
Nacer Aït Ouali

 




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