29 mars 2024
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« Le dernier train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu », de Boualem Sansal

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« Le dernier train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu », de Boualem Sansal

« Qui a peur se sait vulnérable et admet implicitement sa défaite ».

Disons-le tout de suite, ce n’est pas le combat généreux et héroïque que mène l’écrivain contre la pieuvre islamiste qui fait de Boualem Sansal le talentueux conteur qu’il est mais un brio hors du commun et une faculté de construction narrative rarement constatée chez d’autres romanciers.

« Le dernier train d’Erlingen » est juste un joyau du genre. Une héritière richissime au nom germanique si approprié au lieu, Ute Von Ebert, dirige un empire financier et industriel. Elle habite cette ville d’Erlingen forte de ses 12.000 habitants qui sont l’objet de toutes ses sollicitudes. La baronne, soucieuse de l’équilibre et de la quiétude de ses concitoyens, a même investi dans l’éducation et la sécurité de la ville. Tout se passe merveilleusement bien jusqu’au jour où la ville, comme le monde qui l’entoure, subit le siège d’un ennemi étrange dont le nom n’est jamais prononcé. Qui sont ces envahisseurs maléfiques et pourquoi sont-ils si proches ?

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Isolée, Erlingen est coupée du monde et les élus essaient de trouver une solution pour sauver la population de ce qui l’attend inexorablement. Les masques tombent. Les citoyens se transforment. Ils commencent à penser à leur survie en mettant en avant une collaboration pernicieuse avec l’envahisseur qui sait tout de ce qui se déroule dans la cité. La capitulation est proche alors qu’aucune bataille n’a semblé commencer. La compromission et la bassesse font leur apparition. Les conseillers municipaux ne se soucient que de la fuite de leurs responsabilités et des lieux qu’ils habitent. En pleine réflexion sur les moyens de sauver leurs peaux, les édiles constatent qu’une tempête de neige s’abat dès le mois d’octobre sur le pays. La pauvre Erlingen est un peu plus isolée.

Au point le plus désespérant et alors que la population n’en pouvait plus, un message largué d’un avion annonce l’arrivée d’un train pour évacuer les habitants. Sauf la baronne qui ne veut pas abandonner les siens et qui veut rester pour résister à l’envahisseur. Elle se met à écrire à Hannah, sa fille qui habite Londres, pour lui raconter la veulerie et la lâcheté de ceux qui l’entourent. Ce courrier ne peut être expédié vu la situation qui prévaut. Elle cache les lettres dans un endroit que seule sa fille connait et la suite sera laissée en suspens.

Cette première partie est intitulée « La réalité de la métamorphose » alors que celle qui suit s’appelle « La métamorphose de la réalité ». Cette deuxième partie décrit une jeune fille, française cette fois, Léa, qui écrit à sa mère qui vit dans un pavillon de la banlieue nord de Paris et plus précisément en Seine Saint-Denis. Ce que Léa ne sait pas, c’est que sa mère, Elisabeth Potier, qui était professeur d’Histoire dans un établissement difficile appelé Kaboul, était morte dans des conditions épouvantables. Et ces conditions sont révélées par petites touches.

Elisabeth Potier habitait une petite cité pavillonnaire d’un côté des voies du RER tandis que l’autre côté, après un terrain vague, on a semé des barres d’immeubles HLM devenues au fil du temps un émirat islamiste, des barbus faisant partie des « Zélés Serviteurs Universels » ont pris le contrôle de la cité, habitants compris. Si Léa avait décidé de partir pour Londres, sa mère s’était persuadée de partir pour Bremen pour s’occuper de Cornélia, une fille de 11 ans aux parents très riches.

Elisabeth Potier se mit en quête de l’histoire de la famille de Cornélia et arriva à connaître celle de Viktor Tamas Von Hornerberger, ancêtre de la jeune fille, parti chercher fortune aux Etats-Unis sur le même bateau qu’un certain Ernst Von Ebert, fondateur du puissant groupe Von Ebert. Piquée dans sa curiosité, Elisabeth Potier s’amusait à approfondir ses recherches sur ces deux émigrés allemands qui ne se connaissaient pas et qui ont réussi de l’autre côté de l’Atlantique au-delà de toute espérance.

Tout allait dans le meilleur des mondes possibles jusqu’au 13 novembre 2015, journée complètement démente où la France est frappée de plein fouet par « la violence de ses islamistes, télécommandés par le monstre post-moderne Daesch. »

Arrivée à Paris à la suite de cette tragédie, elle s’entoure de deux anciennes collègues et d’un couple italien ami qui habitait la Cité interdite de l’autre côté du RER et tout ce beau monde de se mettre à la confection de banderoles et de drapeaux pour manifester dans la capitale contre la gangrène islamiste.

Après avoir passé la journée à marcher dans les rues de Paris, les cinq amis tentent de rentrer dans leur banlieue et tombent sur quatre « malabars patibulaires » qui sont « quatre jeunes islamistes » qui s’acharnent sur les retraités. Elisabeth Potier tombe à la renverse sur les voies du métro et part dans un coma délirant pendant de longues journées. Elle sort de l’hôpital malgré ses séquelles et rentre dans son pavillon de banlieue dans lequel elle meurt d’une crise cardiaque.

La trame narrative est complexe. Il y a deux parties et deux histoires distinctes. Dans chacune des histoires, une mère et sa fille s’écrivent. Une histoire concerne deux allemandes et l’autre deux françaises. Il est difficile d’imaginer un lien entre les deux parties mais au fur et à mesure que l’on avance, nous découvrons au fil des pages ce déclic qui nous manquait dans ce livre que l’auteur qualifie de roman mais que nous pouvons, pour notre part, taxer de narration philosophique tant les réflexions nous forcent à « une véritable méditation » suivant le vœu de l’auteur.

« Le train d’Erlingen » nous renvoie une image précise de notre planète à l’heure où de nouveaux dangers l’envahissent. Le leitmotiv de la transformation du monde est un miroir qui nous montre que les périls qui nous guettent et qui mettent en danger notre façon de vivre sont doubles puisqu’autant l’islamisme que le capitalisme financier nous ont pris dans leurs étaux et que la veulerie de nos dirigeants ne semble pas leur permettre d’être freinées.

Boualem Sansal croit dur comme fer, à l’image d’Henry David Thoreau, que le bonheur se trouve dans le fait de vivre simplement et en osmose avec la nature. Il nous incite à nous révolter et, mieux encore, à nous rebeller. Il refuse catégoriquement d’accepter que « la soumission est le refuge idéal ».

« Le dernier train d’Erlingen » possède une intrigue duelle qui déroute complètement le lecteur et qui n’a rien, hélas, d’un essai d’anticipation. Ce roman, ou ce conte philosophique, est le reflet de ce qui nous attend si nous ne réagissons pas rapidement.

Boualem Sansal est un immense écrivain qui nous offre, en même temps que son talent, les clés nécessaires pour comprendre les périls auxquels nous sommes confrontés, son livre est primordial pour appréhender notre monde et notre temps.

oi

 

Auteur
Kamel Bencheikh

 




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