23 avril 2024
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Le rêve contre la tragédie des harragas

Jeunesse et mal-être

Le rêve contre la tragédie des harragas

Les jeunes Algériens n’ont plus que le visa études ou la voie des harraga pour horizon.

Par une sorte de ruse qui s’ajoute à la complexité de l’histoire, le pays vit dans une atmosphère surréaliste et dans une situation paradoxale. Il est devenu une destination pour des émigrés des pays voisins et en même temps ses propres enfants le fuient en risquant leur peau pour d’autres horizons.

On a beau analyser et répéter à satiété les raisons qui expliquent l’hémorragie de bras et de cerveaux algériens, rien n’est fait pour stopper la déperdition de la sève du pays. Pas même quand le MDN (ministère de la défense nationale) sort un communiqué pour alerter la société du danger du phénomène des harragas. Quand un ministère chargé de la défense des frontières et de la sécurité nationale émet pareille inquiétude, c’est qu’un danger potentiel risque de mettre en péril la demeure. Car un tel ministère a des missions autrement plus urgentes et plus compliquées à remplir que de faire la police maritime.

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Quand bien même il y aurait des améliorations sur le plan économique et social, le pessimisme et le découragement sont bien installés dans le tissu social pour s’évaporer par un coup de baguette magique. Et ce désespoir pousse le jeune et le moins jeune, la femme et l’homme à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Cette mal-vie servira de carburant à cet exil du désespoir tant que l’on se complait dans le déni de la réalité. Et là il faut interroger l’histoire. Celle-ci nous apprend que des continents entiers ont été submergés et conquis par des forces venues de l’extérieur.

La colonisation de ces continents a été possible, non pas par manque  d’intelligence ou de courage dans ces pays mais simplement parce que leur organisation politique et économique s’étaient fragilisée. Cette fragilité éclata en plein jour face à des pays qui ‘’marchaient’’ dorénavant au rythme d’une époque qui a inauguré un nouveau saut dans l’histoire de l’humanité. Même des pays dont les civilisations étaient brillantes et millénaires, ont alors été soumis (Chine et Inde) par cet Occident qui ouvrit le bal de la Renaissance en Europe où naquit le capitalisme. Signalons que le capitalisme (1), outre son puissant mode de production des richesses matérielles, a ouvert d’énormes brèches dans le pouvoir politique des monarchies et ébranler la chape de plomb des Eglises qui régentait les corps et les âmes.

Pour que l’histoire se ne répète pas, il n’est pas inutile de neutraliser la malédiction qui nous a déjà fait rater beaucoup de rendez-vous avec notre propre avenir. Tout ça pour dire qu’il faut ouvrir portes et fenêtres ; que les vents de  la connaissance et de la poésie irriguent l’imagination de gens. La psychanalyse nous apprend que le langage structure l’inconscient et les rêves dépendent de ce langage.

A l’évidence les rêves qui visitent l’inconscient des Algériens d’aujourd’hui sont peuplés du langage de la culture de leur quotidien et de celui qu’ils acquièrent en voyageant physiquement dans des pays étrangers ou tout simplement dans la planète Internet. Le choc est alors violent entre le morne réel du quotidien et la réalité naïvement fantasmée d’ailleurs. Pour tous les gens subissant le fardeau des aberrations et de l’ennui, le choix est vite fait entre la malédiction dont ils estiment être victime et l’eldorado supposé de l’autre côté des mers. Le jeune Algérien est donc titillé par cette contradiction en l’absence d’un rêve collectif (‘’national’’). Précisons que le rêve au sens philosophique n’est pas une un aveuglement devant la rudesse de la vie mais un processus à la fois psychologique et intellectuel visant à élargir la beauté du monde et réduite le sordide produite par dans ce même monde.

Aussi ne faut-il pas aider, titiller l’Etre algérien, sonder son âme pour qu’il ne subisse pas les effets de la malédiction mais plutôt l’armer pour détruire les murs des prisons dans lequel l’ignorance et le charlatanisme veulent le maintenir. Non pas donc les rêves de pacotille des contes de fées mais un rêve qui puise sa force dans les fruits juteux de la vie  et tourner le dos à toutes les médiocrités. L’humanité n’a pas trouvé meilleure arme contre les charlatans que la philosophie et la poésie. Une vision du monde qui s’abreuverait aux sources de ces deux arts antiques, peut à son tour abreuver l’imaginaire de la société, lequel imaginaire nourrira l’imagination des hommes et femmes. On a observé partout et de tout temps que la philosophie (amour de la sagesse) conjuguée avec le verbe poétique libère la parole qui à son tour fait fleurir les champs de manœuvre qui l’oppose au conservatisme. Chez nous hélas, on a l’impression que la parole libre émerge avec difficulté car noyée dans un océan où règne un discours fabriqué de bric et de broc… morale bigote, poncifs, chauvinisme, intolérance, charlatanisme etc.

Pourquoi le rêve est-il nécessaire pour se frayer un chemin vers un horizon autre que celui du désespoir symbolisé par les haragas ?  Le rêve fait parti de l’homme et lui a permis d’enjamber les déserts, les montagnes et les océans. Sinon on n’aurait jamais entendu parler d’Alexandre le Grand qui allait de l’avant pour savoir ce qui se ‘’cache’’ derrière  l’horizon déjà atteint etc… Le rêve éveillé ou nocturne est un enfant de notre imagination vagabondant librement sans être cadenassé par la peur ou les préjugés. Sinon on n’aurait jamais pu lire Homère qui faisait voguer sur des mers Ulysse pour enfanter son Odyssée.

Plus modestement, aujourd’hui nous rêvons d’une société qui repose sur le socle de la démocratie qui permet aux esprits d’oser aborder les sujets les plus tabous. J’ai déjà dit que les difficultés  du pays ont été étudiées intelligemment ou bien superficiellement, peu importe. Si on ne s’attaque pas aux problèmes ‘’invisibles’’ qui engendrent les suicides, les viols, les violences contre les femmes, les parents qui tuent leurs enfants et vice versa, la société se dilatera et le phénomène des harragas ne sera plus qu’une goutte d’eau dans le glissement programmé vers un enfer que nous avons fabriqué.  Les violences existent ailleurs mais chez nous elles prennent des dimensions effarantes et qui se banalisent à force de répétition.

Pour mettre un holà à un potentiel désastre et ne plus subir l’immobilisme, il faut oser mettre le doigt sur les plaies. Les plaies de l’ignorance qui fleurissent dans une culture qui ne s’est pas débarrassée du féodalo-tribalisme. Des peurs et des angoisses entretenues par une interprétation au raz des pâquerettes d’un texte religieux qui a résisté au temps parce que poétique où fourmillent des sens ‘’cachés’’ pour tenter de répondre et d’apaiser les angoisses devant les mystères de la vie. De la sexualité rangée dans le placard du tabou des tabous qui produit son cortège de frustration et de violence. Une sexualité tabou, on le sait, ronge le cœur des femmes et des hommes, fragilise leurs âmes et finit par déstructurer le corps social obligé alors d’ouvrir cliniques et asiles psychiatriques.

Alors que faire comme dirait le philosophe ? Programme simple à énoncer mais fichtrement coriace est sa mise en application. Rendre la parole au peuple, construire des institutions dont les sommets ne sont pas des tours d’ivoire où s’agite le microcosme des mêmes tribus pour amuser la galerie. Quant au ‘’ghachi’ que l’on méprise, tout le monde sait qu’il n’est pas prêt de succomber au charme d’un jeu dont les dés sont pipés.

A. A.

Notes

(1) Le système capitaliste a été étudié et ‘’loué’’ comme la naissance d’une nouvelle ère historique. Même Karl Marx sévère procureur contre ce capitalisme dont la nature est l’exploitation de la force de travail, a mis l’accent sur ses capacités à briser le servage en créant le salariat qui libérait le travailleur de ses liens de dépendance directe avec le seigneur de l’économie féodale. Et sur le plan politique, la bourgeoisie prend le pouvoir en mettant dans un placard certes chaud et douillet -exemple de l’Angleterre). 

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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