25 avril 2024
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Les fonds souverains et le Fonds de régulation des recettes : splendeur et décadence (I)

Contribution

Les fonds souverains et le Fonds de régulation des recettes : splendeur et décadence (I)

«On se défend lorsqu’on dispose de moyens suffisants ; on attaque lorsqu’on dispose de moyens plus que suffisants.» 
Sun Tzu (L’art de la guerre)

Les fonds souverains se sont dépêchés au chevet des grandes banques américaines lors de la crise financière de 2008. Par des injections massives de liquidités, ils ont contribué à les sauver d’une faillite certaine et du même coup à revivifier un système financier atteint par le même cataclysme. Ces fonds ont connu une ascension fulgurante au cours de la décennie 2000. Au centre d’un rééquilibrage des puissances de la planète, ils semblent s’imposer comme acteurs majeurs de la finance mondiale pour les décennies à venir. L’Algérie a créé son Fonds de régulation des recettes (FRR) en 2000. Il s’est épuisé à colmater les déficits budgétaires de ces dernières années. Au début de l’année 2017, le FRR est déjà à sec. 

Des fonds au périmètre complexe

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Pour éviter la spéculation sur une monnaie, les gouvernements interviennent ponctuellement sur le marché des changes en se servant des réserves de change (stock de devises). Ces dernières sont logées dans les banques centrales, néanmoins leur accroissement a permis à certains pays d’en placer une partie dans d’autres structures. Ainsi sont nés les fonds souverains. L’expression de fonds souverains s’est généralisée au cours des années 2000 mais leur définition reste peu précise tant elle rend compte de diverses situations politico-économiques et de multiples finalités.

Selon la définition utilisée, certains sont considérés comme fonds souverains et par d’autres, comme une épargne de l’Etat ou un simple compte au niveau de la banque centrale. Les fonds souverains sont caractérisés par leur diversité et leur hétérogénéité dans leur nature et dans la taille des pays qui les détiennent. Cela va du micro-Etat insulaire du Kiribati (avec un fonds de 400 millions $) aux mastodontes chinois (plus de 800 milliards $) et norvégien (dépassant 1 000 milliards $). Pour l’Union européenne, les fonds souverains sont des fonds d’investissement public à long terme gérés par des gouvernements. Le FMI ajoute que ces fonds sont alimentés par des ressources propres des Etats et sont constitués par les revenus des matières premières (pétrole, gaz, minerais, etc.) ou des excédents des réserves de change (Chine, Singapour, Corée du Sud, etc.). Ils visent à générer une épargne qui servirait aux générations futures à long terme ou à lisser l’impact déstabilisant des fluctuations des prix des matières premières à court ou moyen terme. Ils peuvent constituer une force de frappe pour le contrôle des entreprises des pays développés et permettre également une meilleure valorisation des réserves de change. Pour International Working Group of Sovereign Wealth Fund, ces fonds ont des objectifs financiers et ont recours à une série de stratégies d’investissement qui comprend des placements sur actifs financiers étrangers. 

À l’entrée du XXIe siècle : de nouvelles interdépendances 

Selon l’Institut mondial des fonds souverains, leur nombre dépasse 80 intervenants gérant plus de 7 500 milliards $. Sept pays à eux seuls concentrent près de 86% du total de ces fonds. Le premier fonds souverain à avoir vu le jour remonte à 1953 sur décision du gouvernement koweïtien de placer à l’étranger 10% de ses revenus pétroliers. A long terme, ce fonds vise à diversifier les revenus de l’économie koweïtienne et subvenir aux besoins des générations futures.

Fin 2016, il occupe la 4e place avec 592 milliards $. Il a injecté 7,7 milliards $ dans la banque américaine Citigroup et 6,6 milliards $ dans la banque Merrill Lynch au début de 2008. D’autres fonds souverains apparaissent durant les années 1990 en réaction aux crises et aux chocs pétroliers des décennies précédentes. Mais ils ont connu un essor fulgurant et se sont développés significativement aux cours des années 2000 où la moitié d’entre eux a été créée. La volatilité des prix des hydrocarbures a incité nombre de pays exportateurs de pétrole et de gaz à se doter de ce type de structure. (Iran en 2000, Qatar en 2005, Dubaï en 2006, Libye et Russie en 2008, etc.)

En outre, le mauvais souvenir laissé par la crise asiatique des années 1996-1997 a amené également d’autres pays à en tirer quelques enseignements en adoptant un modèle de développement basé sur les exportations. De bas salaires et un régime de change administré avec des monnaies locales sous-évaluées, ils ont vu leurs exportations prendre un bond considérable. L’épargne massive ainsi constituée à partir des excédents commerciaux et des réserves de change, devenues colossales, — la Chine en détient le tiers — est confiée à des fonds souverains. Leur but est de permettre une meilleure rentabilité financière contrairement à une gestion jusque-là traditionnelle où ces réserves sont placées en actifs liquides – ou presque – à des taux faiblement rémunérateurs. Le développement des fonds souverains est allé de pair avec leur diversification en termes d’objectifs. Les premiers créés visaient à stabiliser les revenus fortement dépendants des mannes pétrolières, à la constitution d’épargne intergénérationnelle puis à la diversification de l’économie et à la rentabilité financière. Au cours de la décennie 2000, les pays émergents manufacturiers ou exportateurs de matières premières ont vu passer leurs réserves de change de 2 000 à 7 500 milliards $ dont une partie de plus en plus croissante est gérée par des fonds souverains. Cette manne est mise à la disposition des marchés financiers (actions et obligations, etc.), économiques (immobilier, transport, etc.) et productifs (mines, industries).

Ainsi, voit-on la Chine devenir en moins de trois décennies la principale créancière du monde avec ses 1 150 milliards $ en bons du Trésor américain et 630 milliards d’euros en dettes souveraines européennes. La valeur des fonds souverains reste toutefois modeste, représentant 5% de la capitalisation boursière mondiale, comparativement aux fonds de pension (22%) et aux assurances (20%). Mais leur rôle devient de plus en plus important en raison de leur rythme de croissance qui était de 24% par an pour les années 2005 à 2008 selon l’étude du cabinet d’analyse américain Global Insight. Selon SWF Institute, à l’origine de ces investissements, qui pèsent désormais sur les dynamiques de la mondialisation, le triptyque Moyen- Orient (39%), pays émergents asiatiques (37%), Europe (16%), et le reste du monde avec à peine 8% de l’ensemble des actifs des fonds souverains. Les fonds souverains tirent leurs revenus des matières premières (70%) dont la moitié du pétrole alors que 30% proviennent des excédents commerciaux grâce aux ventes de produits technologiques (Corée du Sud et autres pays asiatiques) et de biens manufacturés (Chine). 

À la conquête de l’Est et… de l’Ouest 

Pour leurs destinations, les fonds souverains réservent 30% de leurs placements et investissements à l’Asie, attirés par la croissance de ses pays émergents, et l’Union européenne pour la même proportion (avec une préférence pour les principales plaques tournantes de la finance en Europe, le Royaume-Uni pour 30% et l’Allemagne pour 8%). Ensuite, les Etats-Unis avec un taux de 20%, principalement pour le sauvetage des banques lors de la crise financière de 2008 et le Japon en est destinataire à hauteur de 12%. Par ailleurs, pour la décennie 2000, les secteurs de prédilection des fonds souverains sont l’industrie et la finance avec les mêmes parts (22%) des investissements et placements, l’immobilier pour 15% et les technologies de l’information pour 11%.

Si les stratégies d’investissement adoptées pour la gestion des excédents de réserves de change répondent en premier lieu à des besoins nationaux de stabilisation financière et budgétaire, optant pour des placements en obligations d’Etats mais faiblement rémunérés, certains fonds souverains ont été plutôt offensifs et éloignés des niveaux de prudence habituels. Ils ont démontré un activisme intense et une avidité accrue au milieu des années 2000. Ceux des pays du Golfe et des pays asiatiques, plus frénétiques, ont profité de la déroute des banques lors de la crise des subprimes de 2008 pour devenir des actionnaires importants des plus grands établissements financiers du monde. Toutefois, les fonds souverains n’ont pas toujours été les bienvenus dans les pays occidentaux. L’exploitant portuaire Dubaï Ports World, filiale du fonds souverain de Dubaï ICD, a suscité une vive controverse aux Etats-Unis lorsqu’il a racheté P&O quatrième opérateur mondial qui exploitait six terminaux portuaires américains. Il y a eu consensus des deux partis politiques dominants américains pour bloquer, puis rejeter le projet. Les fonds souverains sont suspectés de poursuivre des objectifs politiques et géopolitiques loin des motivations financières affichées.

Le fonds souverain qatari a été également reçu avec les mêmes réticences et critiques en Europe quand il a enchaîné une série d’investissements dans l’hôtellerie et les grandes marques de prestige (LVMH, hôtels parisiens, clubs sportifs, etc.). En revanche, la raréfaction des liquidités, la frilosité des investisseurs et le désastre qui s’annonçait en 2007 ont fini par faire tomber, à l’automne 2008, Lehman Brother, la 4e banque d’investissement américaine, et par la même occasion balayer cette méfiance à l’égard des fonds souverains. Effectivement, entre 2007 et 2008, ces fonds se sont engagés dans les institutions bancaires et financières américaines et européennes à hauteur de 92 milliards $. En novembre 2007, le fonds souverain ADIA de Abu Dhabi injecte 7,5 milliards $ dans le capital de la première banque au monde Citigroup et devient un de ses principaux actionnaires (4,9%). Le fonds singapourien (GIC) offre 10 milliards $ à la banque suisse UBS.

Quant au fonds chinois (CIC), il participe à raison de 5,5 milliards $ dans la banque Morgan Stanley et s’accapare de près de 10% de ses actions. Un mois après, Merrill Lynch, leader mondial de courtage en quête de 13 milliards $, les fonds souverains en proposèrent audacieusement 9. Les pertes qui leur ont été infligées en raison de la dépréciation des actifs bancaires ont amené les fonds souverains à revoir leurs stratégies en termes de diversification sectorielle (en s’engageant moins dans la finance et plus dans l’industrie et les matières premières) et géographique (moins de présence aux Etats-Unis et en Europe, plus dans les pays émergents essentiellement asiatiques). Lénine, qui avait en son temps étudié les mutations du capitalisme, a pu observer que «les pays exportateurs de capitaux se sont, au sens figuré du mot, partagé le monde. Mais le capital financier a conduit aussi au partage du globe». Certains y voient l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme financier avec un rôle accru pour les Etats. Pour l’économiste Michel Aglietta, «les fonds souverains pourront contribuer à une diminution ordonnée du désendettement en substituant du capital à la dette. La montée en puissance de ces nouveaux acteurs reflétera la diversité des institutions financières du capitalisme». 

À suivre.

. Lire la seconde partie: Les fonds souverains et le Fonds de régulation des recettes : splendeur et décadence (II)

NOTES : 
* Les données chiffrées concernant l’économie algérienne sont celles de la Banque d’Algérie sauf indication contraire. 
** Les chiffres sur les fonds souverains sont ceux de SWF Institute et des livres cités en références. 
Quelques références bibliographiques Jean-Michel Rocchi, Michel Ruimy, Les fonds souverains, Economica, 2011. 
Henri Louis Védie, Les fonds souverains, Eska, 2010. 
Caroline Bertin Delacour, Les fonds souverains, Les Echos, 2009. 
Jean-Marc Puel, Les fonds souverains, Autrement, 2009. 
Mohamed Laksaci, Gestion des ressources et stabilité financière en Algérie ; Banque d’Algérie, octobre 2010. 
Michel Aglietta, Les fonds souverains des investisseurs à long terme en mal de stratégies efficaces, Revue d’économie financière, année 2009.

Note: cet article est publié avec l’accord de l’auteur. Il est également paru dans le Soir d’Algérie

Auteur
Amirouche Moussaoui

 




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