29 mars 2024
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Monsieur le général, je ne suis pas un ectoplasme du cerveau !

REBOND

Monsieur le général, je ne suis pas un ectoplasme du cerveau !

Un enseignant-chercheur à Alger, tout à fait estimable, mais qui a oublié un peu trop vite que ma génération n’est pas tout à fait celle sur laquelle il domine intellectuellement en ce moment, m’a interpellé sur un réseau social à votre propos.

Le post qui m’a valu le commentaire de l’enseignant-chercheur était le suivant « Un siège pour le général ? Oui, dans un tribunal, face aux juges », avec une photo ne laissant aucun doute sur l’identité de votre personne.

Voilà donc que je reçois un commentaire assez surprenant « Pourquoi ? Développez, argumentez ! ». J’avais l’impression de me retrouver devant mon professeur de droit et de sciences politiques, quarante ans auparavant, probablement bien avant la naissance de ce monsieur, me demandant d’avoir une analyse et des critiques rigoureuses.

Je pensais que je disais une vérité si banale, si évidente, car pour toute personne censée, un général dans un régime militaire autoritaire de généraux, c’est manifestement un responsable de ce régime. Ce n’est apparemment pas le cas, cet enseignant-chercheur venait de m’en faire le grief.

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Avouez, Monsieur le général, que c’est tout de même un peu fort de café, à devoir justifier de la responsabilité d’un général dans un régime de généraux. C’est comme les messages de ceux qui me demandent de prouver que Dieu n’existe pas. Un argumentaire à front renversé auquel j’ai l’habitude d’être confronté.

Mais cette fois-ci, ce n’est pas un abruti habituel qui me répond de la sorte, c’est cela qui est dramatique car il s’agit d’un universitaire qui vous défend en voulant me donner une leçon de discernement, de droit et de rigueur intellectuelle.

C’est pour cela, Monsieur le général, que votre régime a si longtemps perduré, fait trembler et s’est enrichi jusqu’au vomi sur le dos d’une population soumise à vos ombres, à votre terreur. Ce ne sont pas seulement les abrutis ou les soumis qui vous ont défendu mais ceux dont on attend le moins ce comportement.

Ce n’est pas une bande de branquignols qui pouvait si longtemps maintenir un peuple sous son joug, c’est qu’il y a eu, de tous temps, dans toutes les strates de personnes instruites, des soutiens à ce régime des colonels à mon époque, des généraux ensuite.

Ce brave Monsieur me demande de m’expliquer et d’argumenter, péremptoirement et sans ridicule. Vous comprenez, il est enseignant-chercheur, il peut se permettre de me demander d’argumenter sur le fait qu’un général dans un régime des généraux, est tout autant responsable du crime envers un peuple. Moi, ça ne me viendrait pas à l’idée d’argumenter qu’un général de Franco était responsable du régime de Franco mais je n’en ai pas le niveau intellectuel pour l’appréhender. Je n’explique pas, je n’argumente pas, je me contente de déverser des vérités sans preuves, je ne suis ni démocrate, ni juriste ni humaniste.

Je lui ai donc répondu, avec patience, un exercice difficile car j’aurais été en droit de mourir d’une apoplexie de rire face à sa leçon de droit et de démocratie.

« Monsieur, un général dans un régime de généraux est un général participant à ce régime. Quant à développer et argumenter, je le fais depuis 1991 dans les journaux algériens.

Je le fais depuis plus de soixante ans, puisque je n’ai jamais rien vu d’autre dans mon pays que la dictature d’une caste militaire qui a mis à genoux et pillé un peuple jusqu’à l’abrutir. Je l’ai fait également dans un parti politique, durant quelques années.

Développer et argumenter, j’en ai fait même mon métier puisque je suis un enseignant de très longue date. Que vous faut-il de plus dans le développement et l’argumentation ? ».

Je croyais l’avoir définitivement convaincu mais voilà, Monsieur le général, que la personne persiste. C’est que vous êtes une star, vos fans ne résistent devant rien pour vous admirer et vous défendre. C’est comme cela avec Dieu, plus ils sont à genoux, plus ils adorent et se prosternent et défendent la divinité contre les mécréants ».

Et sa réponse fut : « Alors, si je comprends bien, pour vous un général en retraite est coupable, non pour ce qu’il est et ce qu’il propose mais parce qu’il fut militaire » (à peu près en ces termes).

En général, pardonnez-moi ce sordide jeu de mots, je cesse de dialoguer devant les illuminés d’une religion, celles envers des généraux et des milliardaires offshore sont des plus illuminatrices. Mais je n’ai pas résisté, voici donc la suite de mon propos.

« Il y a longtemps, mon cher monsieur, bien avant votre naissance, que je connais et défends les règles du droit et de l’humanisme. Nous avons combattu, de tous temps et à tous âges, les justices expéditives et collectives y compris pour les grands criminels. Je suis un acharné des articles fustigeant la peine de mort. Je ne vous ai pas tellement lu ou entendu à ce propos lorsque celle des généraux fut et reste l’antithèse de ce que vous me lancez à la figure comme morale.

On n’a pas attendu les défenseurs des généraux, comme vous, pour nous rappeler que les justiciables sont toujours pris dans l’individualité de leur personne, c’est le ba et ba du droit et de la justice. Ainsi, si un général n’est pas fautif d’un régime de généraux meurtriers et corrompus, il y a un principe simple pour le vérifier, qu’il s’en explique.

Où était ce général pour dénoncer l’horreur et les abominations ? Qu’a-t-il dit lorsque ses petits camarades étaient responsables de l’incarcération et de la torture de tellement d’innocents ? Où était-il et qu’a-t-il fait lorsque des journalistes, des écrivains et des blogueurs ont été menacés et incarcérés ?

Ce général était-il dans une autre planète lorsque les opposants ont été réduits au silence, voire pire ?

Et en droit, comme en humanisme, lorsqu’on participe à une institution criminelle sans jamais en avoir exprimé, ni l’injustice ni avoir tenté de la modifier, on est responsable pleinement. Ce serait trop facile autrement !

Alors, si ce général souhaite absolument qu’on revienne aux bases du droit et à la justice, c’est-à-dire individualiser les cas, pourquoi aurait-il peur de s’en expliquer devant les tribunaux judiciaires et ceux de l’histoire ?

Qu’il nous explique comment il s’est insurgé contre les crimes, combien il a été offusqué de la corruption et de la mainmise sur un peuple, combien il a payé de sa vie pour s’acharner à le faire. C’est simple et sans risque pour lui, la justice sait écouter et faire la part des choses. La justice des démocrates, ce n’est pas celle des généraux, c’est à dire celle de son clan dans lequel il a « bouffé du grade ».

Voilà, Monsieur le général Ghediri, ce que j’ai répondu à cet enseignant-chercheur qui a voulu me faire la leçon en n’expliquant pas ni en argumentant mon souhait de vous voir devant les tribunaux. Je comprends que vous ayez toutes vos chances pour ces élections, ils sont tellement nombreux derrière vous.

Eh bien, chiche, expliquez-nous, faites pédagogie de la présentation de votre vie, de vos combats pour une Algérie démocratique et pure. Nous vous écoutons. Nous ne sommes pas des généraux, vous ne risquez rien avec nous en asseyant de nous convaincre.

Seulement, Monsieur le général Ghediri, si vous avez réussi à enchanter cet enseignant-chercheur d’Alger, comme des milliers d’autres, il vous faudra quelques siècles de plus pour y parvenir avec moi.

Car si vous avez réussi à faire trembler une population, il en est tout autrement de convaincre un démocrate pour qu’il en vienne jusqu’à l’ultime folie de penser qu’un général est l’avenir de ce pays, totalement dévasté par le régime des généraux.

Et si vous êtes élu, faites au moins ce geste humain d’aller vous recueillir devant toutes les tombes de ceux qui sont morts sous le régime des généraux ainsi qu’auprès de ceux qui n’ont rien financièrement car tout a été pillé par les généraux et leur système.

Je ne suis pas enseignant-chercheur, je n’ai pas réussi, en de longues décennies à « développer et argumenter mon mépris contre le régime des généraux » malgré des tonnes d’écrits et tant de militantisme.

Je suis un inconnu, sans pouvoir contre vous, totalement inefficace, mais je ne suis pas un ectoplasme du cerveau, tout de même !

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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