19 avril 2024
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Université algérienne et champ économique: un flagrant déficit d’adéquation

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Université algérienne et champ économique: un flagrant déficit d’adéquation

Les images de centaines d’étudiants devant l’Institut français rappellent le drame de l’enseignement supérieur.

L’Université algérienne se paye de mots pour se donner l’illusion de pouvoir traiter les mille maux dont elle souffre depuis des décennies. Le ministère de tutelle tire des plans sur la comète au moment où aucune frange de la population estudiantine, forte de ses 1,6 million d’étudiants, ne trouve son compte. Ni d’ailleurs, à plus forte raison, la société et l’économie du pays, qui attendent, presque de façon ingénue, à ce que l’Université fasse quelque chose pour espérer dépasser la crise qui prend en tenaille l’Algérie depuis plus de trois ans. À bien y regarder, et d’après un verdict donné par certaines rares capitaines de l’industrie en Algérie, cette institution budgétivore, serait un poids de plus dans cette dure traversée.

Si le trait est peut-être un peu exagéré, il n’en demeure pas moins qu’il y a, dans ce jugement, une indéniable part de réalité qui jette de lourdes interrogations sur l’institution universitaire au point où l’on sentirait un vrai malaise à s’employer à justifier les dépenses qui lui sont allouées.

L’image qui a circulé en boucle, il y a quelques mois, sur l’immense queue formée par des étudiants à Alger, venus passer l’examen d’habilitation à l’Institut de France pour s’inscrire dans les universités françaises, n’est pas près de s’effacer des esprits.

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Elle sera sans doute confortée par la nouvelle queue qui se formera à la prochaine rentrée. Il semble que le concept d’ « immigration choisie », lancée en son temps par l’ancien président Sarkozy, ait abouti de façon éclatante, sans qu’on en fasse vraiment un dossier technique au niveau des grands centres de décision. C’est le vide- et l’on sait que la nature en a horreur-, qui prévaut dans l’Université algérienne, qui a fait que l’appel d’air a suffisamment fonctionné en direction de cieux jugés plus cléments.

Aujourd’hui, des médecins, des informaticiens, des ingénieurs de différentes filières, font le bonheur de boîtes et de laboratoires, non seulement de l’Occident, mais également du Dubaï, de Doha, d’autres points de la planète.

Au-delà des performances dont se gargarisent les officiels, se limitant à des infrastructures et équipements réalisés grâce une politique budgétaire volontariste permise par la rente pétrolière qui se réduit aujourd’hui en peau de chagrin, il y a lieu de se poser les vraies questions quant à la justification économique et sociale de tels investissements. Ces questions s’imposent d’elles mêmes dès le moment où l’économie algérienne, à bout de souffle, avec une dépendance pathologique aux hydrocarbures, n’arrive pas à trouver un point d’appui au sein de cette Université. Presque quatre ans après la chute des revenus pétroliers, le statisme est maître des lieux. Il ne s’agit pas ici de culpabiliser les étudiants, eux-mêmes victimes d’un système rentier peu porté sur la performance et l’inventivité; il ne s’agit pas, non plus, de désigner des responsables précis ayant officié à un moment ou un autre dans ce secteur. Cela fait partie d’un engrenage nourri par des décennies d’un système rentier, qui a pour « vertu » principale de déprécier et dévaloriser l’effort, les valeurs du travail manuel et intellectuel et les mécanismes de la performance.

La rente est passée par là!

Où se situe l’université de demain, celle qui est censée préparer dès aujourd’hui la base pédagogique et scientifique par laquelle pourra se faire la jonction avec les grandes ambitions économiques du pays? Sur ce plan, et au vu de la situation actuelle de l’université, cette perspective n’arrive pas à gagner en visibilité, aussi bien pour ceux qui activent au sein des structures universitaires, que pour les animateurs du champ économique.

Incontestablement, depuis une dizaine d’années, l’université algérienne s’est fait plus connaître par ses remous internes- qui n’ont pas pu être contenus dans les limites des franchises universitaires- que par quelque innovation pédagogique ou de recherche, même si le système LMD (licence-master-doctorat) est adopté d’une façon progressive et s’est généralisé maintenant à l’ensemble des structures universitaires. Sur ce système, la polémique n’a pas cessé de s’enfler et d’épouser les contours de l’opinion de chaque intervenant dans le domaine.

Ces problèmes internes, l’université algérienne les traîne réellement depuis au moins le début des années 1990, lorsque les effectifs de la population universitaire commencent à prendre de l’ampleur. Les premiers signes de malaise furent le déficit en infrastructures pédagogiques, ce qui obligea les gestionnaires du secteur à imaginer des solutions d’urgence pour parer au plus pressé. Ainsi, des ITE (anciennes écoles normales), des ITMA (lycées agricoles), des salles de cinéma étaient pris d’assaut par l’administration universitaire pour y assurer des cours, des travaux dirigés et d’autres prestations pédagogiques ou d’intendance. Ces solutions provisoires ont été généralisées au niveau de tout le territoire national avant que les programmes quinquennaux d’investissement publics ne viennent combler les déficits. Ainsi, de nouveaux pôles universitaires ont vu le jour dans plusieurs villes du pays.

Assurément, sur le plan des infrastructures et de certaines parties de l’intendance (restauration, hébergement, transport), les pouvoirs publics et les gestionnaires du secteur ont manifesté un grand intérêt. Néanmoins, l’accompagnement pédagogique, la gestion de la ressource humaine (corps des enseignants) et l’axe de la recherche scientifique se trouvent être, de l’avis de plusieurs experts et d’enseignants universitaires, les parents pauvres de la politique de développement de l’université algérienne. À quoi sert, en effet, de se vanter d’avoir 6000 bus de transport universitaire, comme l’a fait en son temps l’ancien ministre du secteur, Rachid Harroubia, en signalant que c’est là une « performance » inégalée dans le monde, si le résultat est que l’Université algérienne est mal classée à l’échelle régionale, voir non classée du tout à l’échelle des 500 premières universités dans le monde?

La cartographie actuelle de l’Université offre une lecture peu optimiste sur l’ancrage de l’Université dans la société et l’économie algérienne. En effet, entre les idéaux de développement économique et de formation des élites pour lesquels, selon le discours officiel, l’Université est censée travailler, d’une part, et l’état dans lequel celle-ci se trouve aujourd’hui – où se conjuguent baisse du niveau pédagogique, profils peu adaptés aux débouchés économiques, tensions permanentes et grèves récurrentes -, d’autre part, les analystes, les responsables gestionnaires et la société tout entière sont fondés à tirer la sonnette d’alarme et à désigner les termes de référence pour un nouveau contrat qui devra servir de base consensuelle à l’université de demain. C’est une charte qui est censée épouser complètement les préoccupations et les ambitions de la société en matière de savoir, de progrès technologique et de développement économique.

En plus des nouveaux « contingents » de jeunes bacheliers qui confèrent chaque année une envergure nouvelle à nos structures universitaires, ces dernières vivent des troubles, des remous, des grèves et d’autres formes de protestations où se s’imbriquent les revendications sociales et les questions d’intendance aux ambitions et exigences pédagogiques des programmes. Ces contingences, où se mêlent indistinctement les questions sociales, la demande d’un seuil pédagogique honorable et les déchirements politico-syndicaux projettent nos universités dans des zones de turbulence difficilement gérables.

Manque d’ambitions ?

En tant qu’institution de formation supérieure, l’université algérienne a été, durant de longues années, travaillée au corps par des luttes politiciennes. Cet état de fait était dicté par le fait que, au temps du parti unique, la société ne disposait pas d’instances ou d’espaces d’expression politique. L’Université ne faisait, depuis la fin des années soixante-dix du siècle dernier, que régresser et se fourvoyer dans une voie sans issue. Elle fera les frais de l’économie rentière qui s’installa insidieusement et qui a fini par casser tous les ressorts de la société. Les conséquences d’une telle situation ne pouvaient être qu’à l’antipode des missions dévolues à l’Université : formation du personnel technique et des cadres dont ont besoin l’économie et l’administration du pays, reproduction des élites et formation aux des valeurs de la citoyenneté.

Le niveau et la nature de certaines revendications sociales connues au sein de l’université algérienne au cours de ces dernières années -intendance, transport, cantine,…- paraissent en grave déphasage par rapport aux enjeux et challenges liés au fonctionnement d’une telle institution. Autrement dit, la place et le rang qui devraient être ceux d’une université moderne ouverte sur le 21e siècle sont censés permettre de dépasser allégrement ces questions d’intendance qui relèvent de la gestion quotidienne.

En effet, les différents plans de développement mis en œuvre au cours de ces dernières années ont mis à la disposition du secteur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique des budgets conséquents qui situent ce secteur dans de nouvelles préoccupations, celles de la performance pédagogique et de la formation des cadres.

Les gestionnaires du secteur économique-aussi bien publics que privés- s’interrogent d’ores et déjà sur la relève en matière de ressources humaines appelées à prendre en charge les entreprises et à manager leur politique d’investissement.

Ce sont des interrogations légitimes exprimées également, et à maintes occasions, par les autorités politiques et les responsables de l’Enseignement supérieur. Car, l’analyse de la relation entre l’Université algérienne, en tant qu’instance pédagogique et académique, avec le monde du travail tel qu’il s’est établi sous l’impulsion de l’ouverture sur le marché, et dans une conjoncture de crise qui n’a rien de conjoncturel, débouche actuellement sur plusieurs incertitudes liées à la baisse du niveau pédagogique et à patent déficit d’adéquation entre la formation et le monde économique.

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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