27 avril 2024
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Acquis du Hirak algérien : une bénédiction pour le peuple après des décennies de brimades 

TRIBUNE

Acquis du Hirak algérien : une bénédiction pour le peuple après des décennies de brimades 

En dix mois de marches hebdomadaires, le peuple algérien a obtenu ce qu’il n’a pas pu entrevoir en plus d’un demi-siècle de lutte pour une Algérie libre et démocratique. Certes, le régime du général Gaid Salah a désigné comme président l’ancien premier ministre Abdelmadjid Tebboune, un personnage englué dans une série de scandales, mais la rue n’a pas dit son dernier mot. 

Comme il fallait s’y attendre, le jour de son investiture, Tebboune a envoyé quelques signaux aux hirak, entre autres la promesse de promouvoir des ministres de moins de 30 ans.  Peut-on le croire, alors que ses parrains militaires sont octogénaires ? « Les jeunes ont toujours de la place », comme dit la chanson préférée de Staline « Vaste est mon pays natal », un condensé du dogme optimiste de la fin des années 30 (cette description est de l’écrivain ukrainien Andrei Kourkov). Cela n’a pas empêché une poignée de dinosaures de diriger l’Union soviétique jusqu’à leur disparition biologique. À coup sûr, les décideurs algériens ne refuseraient pas un tel destin, sauf qu’il n’y a plus d’idéologie derrière laquelle ils pourraient se vautrer. 

Cette fois-ci, la contestation algérienne ne succombera pas au chant des sirènes d’el 3issaba, la pègre qui a pris le pays en otage. Les figures de proue du hirak se trouvant en prison sont enclines à négocier le départ du système mais rien d’autre. La diaspora algérienne aussi. Il faut uniquement se munir de patience. Le Mur de Berlin n’est pas tombé du jour au lendemain. La victoire ne peut échapper au peuple algérien. 

Les Algériens se doivent de persévérer. Il n’y a aucune différence entre ceux qui ont emprisonné Karim Tabbou et les assassins d’Abane Ramdane, ni entre les baltagias d’aujourd’hui et les extrémistes de l’OAS. Une chose est sûre : le hirak est une bénédiction dont les bienfaits sont bien visibles aujourd’hui. Voici ses aspects les plus éclatants :

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Le mur de la peur a été brisé. Avant le 22 février, à la simple évocation du mot général, les têtes se baissaient et les regards se détournaient. Rares étaient les Algériens qui osaient énoncer la moindre critique. Aujourd’hui, la rue dit tout ce qu’elle pense de ceux qui ont mené le pays à la dérive. C’est incontestablement la plus grande victoire de la contestation.  Le chemin est encore long pour les Algériens avant de jouir pleinement de leur citoyenneté comme la plupart des peuples. 

Des figures de la contestation déjà emblématiques. Le hirak a vu l’émergence de plusieurs intellectuels ou activistes d’un grand charisme. À eux seuls, ils drainent les foules. Dans le but de casser la protesta, le régime a kidnappé les Karim Tabbou, Fodil Boumala, Samir Belarbi, Brahim Laalami, Messaoud Leftissi, l’ancien moudjahid Lakhdar Bouregaa, les généraux à la retraite Hocine Benhadid et Ali Ghediri, l’élue locale Samira Messouci, les deux Nour El Houda Dahmani et Oggadi, le syndicaliste Kaddour Chouicha, le journaliste Abdelmonji Khelladi, le caricaturiste Nime, le poète Mohamed Tadjadit, etc. La liste des contestataires arbitrairement arrêtés par la police politique est très longue. Certains ont été libérés, d’autres purgent encore des peines injustifiées. Force est de constater cependant que les mois passés en prison ont donné à tous encore plus de crédit. Tout le monde reconnaît leurs sacrifices et la légitimité de guider l’ensemble des hirakistes. Personne n’entamera des négociations avec le pouvoir avant la libération de tous les détenus d’opinion. 

Une diaspora solidaire et sans aucune concession pour le régime. Les Algériens de l’extérieur ont rapidement pris fait et cause pour la contestation. Le régime algérien, populiste et parano, a systématiquement ciblé les Algériens établis à l’étranger. Le nouvel article 51 de la Constitution, adopté en catimini par le parlement bouteflikien, est encore dans les mémoires des Algériens de l’émigration, puisqu’il dresse devant ceux qui voudraient s’impliquer dans leur pays d’origine des obstacles infranchissables. L’émergence de la communauté algérienne du Canada, plus ou moins récente, avec une forte proportion de gens bien formés et au fait de ce qui se passe dans leur patrie, est un fait nouveau avec lequel il faudra dorénavant compter. 

Une meilleure compréhension du caractère frauduleux du système. Jusque-là très opaque, le pouvoir algérien paraît aujourd’hui nu, voire une imposture. Le président désigné n’est qu’une façade politique derrière laquelle s’active une pègre sans vergogne. Les Algériens savent cela. Ils connaissent mieux leurs ennemis de l’intérieur, des individus qui ont fait du clientélisme un mode de fonctionnement. Cette gestion calamiteuse est à l’origine de la déliquescence de l’État algérien de ces dernières décennies. De ce fait, la préservation de l’unité face aux provocations du régime a été au cœur de la contestation. Les décideurs algériens ont toujours opté pour le même mode opératoire; leur meilleure arme étant de « diviser pour régner ». Il se trouvera toujours des baltagias en cravates comme le mythomane Mohamed Charfi ou le médiocre Belaid Mohand Oussaid pour faire passer les mensonges les plus abjects via des médias aux ordres. En cas d’échec, on sort la matraque pour mater toute forme d’opposition. Le dialogue n’est brandi que comme slogan afin de diviser la contestation. Les Algériens voient bien que ceux qui prétendent gouverner le pays n’ont ni la légitimité ni les aptitudes morales et intellectuelles inhérentes aux fonctions qu’ils convoitent ou qu’ils ont héritées par de vils stratagèmes. Le régime continue d’envoyer des messages trompeurs. Comment accepter qu’un Lakhdar Benkoula, un transfuge des services français au discours sectaire et raciste bien éculé, soit toléré et même encouragé ? Comment expliquer que ses thuriféraires Idir Benyounes, le wali de Saida Seif el Islam Louh, Nacer Bouteflika ou Rebouh Haddad participent à l’investiture de Tebboune ou aux élections, alors que leurs frères ont été placés en détention par le clan au pouvoir ? Poser ces questions c’est déjà y répondre.  

La dislocation du régime est une réalité. Les anciens généraux éradicateurs croupissent en prison pour des délits qui n’ont à voir avec leurs agissements durant la décennie noire. D’un autre côté, le clan d’Oujda a été en partie lâché. Les anciennes éminences grises du régime Bouteflika, Tayeb Louh et son homonyme Belaiz ont disparu de la circulation. Néanmoins, quelques résidus du clan subsistent, comme la ministre des télécommunications Houda-Imane Feraoun malgré son implication avérée dans plusieurs crimes économiques, mais les favoris de Said Bouteflika ne seront là que pour servir les maîtres de l’heure. C’est une véritable redéfinition des rôles qui laissera des traces au sein du clan de l’ancien président. Ces changements donnent l’impression que le régime agonise, aux prises avec ses derniers soubresauts. Bon vent ! 

La hiérarchie militaire n’est plus maitresse du jeu. Avant sa récente disparition, le vieux général Gaid Salah a été forcé d’opter pour un stratagème honteux afin d’élire son Tebboune, une sorte de cheval de Caligula, comme l’a si judicieusement décrit l’un des nombreux analystes algériens exilés en Europe. On a fait voter des milliers de militaires trimbalés d’une ville à une autre, tout en utilisant le chef du Rassemblement national Démocratique (RND), Azzedine Mihoubi comme lièvre. Si les généraux algériens restent tapis dans l’ombre pour, comme ils le font depuis 1962, diriger tout un pays, cette fois-ci, leurs compatriotes n’ont plus l’intention de subir leurs caprices. Le hirak s’installera dans la durée contre vents (les attaques des agents du pouvoir) et marées (le harcèlement continuel du système de répression). Tout hirakiste sait que Tebboune, un individu qui a collectionné les casseroles en un laps de temps très court, n’est qu’un alibi derrière lequel se cachent des individus sectaires et manipulateurs, voire antinationaux, pour mieux se consacrer à leurs affaires.  

Les soutiens internationaux du régime bien identifiés. Le clan au pouvoir peut compter sur le soutien du quatuor Émirats (et par extension, l’Arabie saoudite), la France, la Chine et la Russie. Émiratis et Français, en premier lieu, ne cessent d’engranger des bénéfices pour le zèle qu’ils mettent à soutenir un régime en fin de vie. Les Algériens le savent. Mais ils savent aussi que tout dépend d’eux-mêmes. La cristallisation d’une alternative au régime forcerait ses relais internationaux à accepter le choix du peuple. Il restera à nos futurs dirigeants de revoir nos relations avec les entités, essentiellement Paris et Dubaï, qui ont aidé le régime algérien dans ses œuvres, faisant ainsi durer le calvaire de tout un peuple.  

Des jeunes avec une conscience bien aiguisée et une maturité époustouflante. Les jeunes Algériens forment le gros des protestataires. Bien organisés en carrés et entourés de groupes sanitaires, ils ont vite adopté la non-violence comme arme. La silmiya à la sauce algérienne, un mélange de pacifisme et d’énergie débordante, a surpris plus d’un à commencer par le pouvoir lui-même. En 45 semaines de manifestations, pas une vitrine n’a été brisée. Une prise de conscience qui vaut aux contestataires algériens de faire des envieux jusqu’aux gilets jaunes français. Surprenants sont également les slogans brandis, souvent sous forme de réponses aux discours insultants et nerveux de la hiérarchie militaire. 

L’histoire de la guerre de libération revue et (bien) corrigée par des Algériens fiers de leur identité. Les manifestants, surtout les jeunes, se sont réapproprié leur identité. Le drapeau amazigh, qui fait référence au passé amazighe de l’Afrique du nord, a fait son apparition aussi bien en Kabylie qu’à Tamanrasset, mais également à Oran, Annaba, Bordj Bou Arreridj ou ailleurs à travers le territoire algérien.  Dans plusieurs villes et villages d’Algérie, on a vu la foule acclamer les Kabyles par un refrain élogieux : « Kabyles, bravo à vous ! L’Algérie est fière de vous ! » Ou bien d’autres manifestants qui promettent de ne pas laisser la Kabylie subir seule une vengeance du régime. Les références aux héros de la guerre de libération ont également été légion. Les noms de Ben M’hidi, du colonel Amirouche ou d’Ali La Pointe sont scandés à chaque manifestation. 

Un grand élan de sympathie à travers la planète. Admirable, extraordinaire, les superlatifs n’ont pas manqué pour qualifier l’insurrection pacifique des Algériens. On a vu ce couple belge servir du thé aux manifestants devant l’ambassade d’Algérie à Bruxelles. Ou bien cette Québécoise qui remercie deux mères algériennes d’être au Québec. Le hirak a conquis les cœurs aussi bien en Europe ou en Amérique du nord que dans les pays arabes ou africains malgré le silence honteux de bien des médias. De quoi nourrir beaucoup d’espérance quant à l’avenir… 

Les Algériens et les Algériennes ont trouvé la force de se relever après une période interminable marquée par des humiliations et une terrible souffrance face à un régime d’une arrogance sans commune mesure. Ils ne rentreront pas chez eux jusqu’à la réalisation de leurs revendications justes et légitimes, dont la fin de toute tutelle de l’armée. « Hna wled Amirouche, marche-arrière man wellouche » (Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche-arrière). Il reste à espérer qu’en ce début de l’an 2020, les décideurs à la tête du commandement militaire privilégieront la raison et écarteront les pyromanes qui voudraient voir notre peuple s’entredéchirer. 

Arezki Sadat

Journaliste indépendant, politologue

Montréal

 

Auteur
Arezki Sadat

 




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