19 avril 2024
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Algérie : Qui tient le bâton, tient la bourse, tient le peuple ?

REGARD

Algérie : Qui tient le bâton, tient la bourse, tient le peuple ?

Le pétrole a transformé le pays en une vaste caserne à ciel ouvert où chacun attend son virement du mois en fonction de son grade (attribué ou mérité ?) et de sa disponibilité à servir loyalement ses supérieurs.

Le « décideur » dans sa gouvernance est informé par le renseignement et protégé par la baïonnette dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Pris en tenailles entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s’interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ?  

Le peuple algérien, vacciné par tant de forfaitures et de lâchetés, n’est plus dupe, il est conscient que tout dirigeant dit ce qu’il ne fait pas et fais ce qu’il ne dit pas. Pourquoi cette duplicité ? Pour ne pas endosser la responsabilité d’un échec recommencé. Alors on reporte le moment fatidique de vérité.

Un Etat « militaire » n’est pas un Etat au sens moderne, c’est un pouvoir au sens archaïque du terme Une armée n’a pas pour vocation de construire un Etat mais de défendre une nation.

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Le militaire obéit aux ordres de ses supérieurs, le civil aux lois de la république. Pour dialoguer, il faut être à armes égales : Le militaire prime sur le civil, la loyauté sur la compétence, la force sur le droit, l’informel sur le formel, l’invisible sur le visible, le court terme sur le long terme, la minorité sur la majorité, le marché extérieur sur le marché intérieur, la rente sur le travail, l’opportuniste sur le méritant les importations sur la production locale, les hydrocarbures sur le reste de l’économie.

En Algérie, la nationalisation des hydrocarbures est une décision de l’Armée. Et ce n’est pas un hasard si elle a coïncidé avec la commémoration de l’anniversaire de l’UGTA. Depuis le 24 février 1971, les Algériens ont cessé d’être des travailleurs pour devenir des rentiers se contentant d’ouvrir la bouche et d’applaudir des deux mains « les acquis de la révolution ». Le 22 février 2019, miraculeusement, le peuple est sorti massivement dans la rue non pas pour demander du pain et du lait mais pour réclamer la liberté et à la justice.

Surpris par l’ampleur du mouvement, c’est la panique à bord, les institutions vacillent, le président démissionne, le vide s’installe. Avec l’écroulement de la façade civile et la dissipation de l’Etat profond, le pouvoir réel de l’armée se retrouve face à face avec le pouvoir légitime du peuple.

Un droit régalien que se dispute les deux belligérants. Le peuple est dans la rue, l’Armée est dans les casernes. L’armée persiste à vouloir désigner un président qui lui est redevable c’est-à-dire soumis, le peuple de son côté veut élire dans la transparence un président sorti de ses rangs, pour être comptable de ses actes devant lui.

A ce jour, aucun président en vie n’a assumé la responsabilité de sa gestion devant le peuple. Il est au-dessus du peuple. De la constitution, des lois. Autorité et responsabilité ont de tout temps forme un couple séparé.

“Qui réunit l’eau et le feu, perd l’un des deux”. On ne joue pas avec le feu, on risque de se brûler, on ne plonge pas dans les eaux profondes, on risque de se noyer. Alors que faire pour concilier l’eau et le feu ? C’est l’attentisme. D’une rive mal ensoleillée à une rive bien ensoleillée, il faut payer le prix d’’avance. Se trouver au milieu du gué est une position inconfortable. Un bâton on ne peut le tenir que par un seul bout. Soit le peuple ou l’armée ?  Le bras armé ou la tête pensante ? La question est récurrente.

C’est dans la pérennité des régimes autocratiques que l’Occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C’est pourquoi, la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril. Il est admis que le prix du brut est un baromètre de la santé de l’économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques menacés. L’objectif de l’Occident, c’est la sécurité des approvisionnements en énergie. Il y va de la survie de la civilisation du monde moderne. Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d’asservissement des élites au pouvoir. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place.

Plus le prix est bas, moins il y a d’importations, plus les pénuries s’installent, des émeutes éclatent et la répression s’abat sur la population. les marchés se referment, la récession s’annonce le FMI pointe son nez, la spirale de l’endettement s’engage, les peuples se plient, L’occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent les fonds affluent, Le régime menacé retrouve sa santé. Le prix du brut connaît une hausse, les pays producteurs relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, la croissance de l’économie mondiale reprend.

Ainsi l’Occident donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre. «El manchar, habet yakoul, talaa yakoul » En cas de surplus, il est placé dans les banques étrangères au nom de l’Etat et/ou des particuliers. Les algériens n’ont pas suivi le conseil koweitien « le pétrole dans le sol vaut mieux qu’un dollar en banque ». Ils ont préféré le placer en bons de trésor américain un peu moins liquide que le dollar mais politiquement avantageux. L’intérêt de l’occident ne se trouve pas chez les peuples mais dans les Etats. Des Etats créés par la colonisation pour les besoins des pays grands consommateurs d’énergie non renouvelables. Les Etats arabes et africains n’existent que parce qu’il y a du pétrole, du gaz ou autre matière convoitée sur leur territoire.

Les peuples qui y habitent sont considérés comme des troupeaux de bétail à qui on confie la garde à un berger, généralement l’idiot du village ou le serviteur docile que l’on arme d’un bâton, à qui l’on demande, lorsque le prix du baril chute, de les amener à l’abattoir et quand il flambe de les ramener aux pâturages. Pour l’Occident, le pétrole est une des choses sacrées sur terre, personne n’y touche, il y va de la prospérité matérialiste occidentale et de la décadence spirituelle des Arabes.

Le pétrole est la base sur laquelle la civilisation moderne s’est construite. Il est le carburant de la prospérité des nations, le moteur de la mobilité sociale, un accélérateur de l’histoire, un frein aux religions monothéistes, et un levier de commande de la liberté des peuples. L’émergence de l’Etat post colonial correspond à la mise en place d’un système militaro-rentier maniaco-dépressif qui s’en passe d’un Etat de droit et d’une économie productive. Une économie de bazar et un commerce informel font amplement l’affaire, une affaire juteuse. Un Etat financé par la rente et non par l’impôt. Il repose sur l’armée et non sur la société civile. Le pétrole cimente la société à l’Etat.

Un Etat providence pour soumettre la population et un Etat écran pour la passation des contrats avec les partenaires étrangers. Le pétrole et le gaz aiguisent les appétits nationaux et internationaux. La corruption fait partie de l’économie moderne. Elle est visible dans les dictatures et les monarchies et invisible en Europe et aux Etats Unis. Les deux évidemment se tiennent la main mais en dessous de table. Des mains visibles non pas comme celle de dieu qui sont invisibles. L’islamisme a été dilué dans un baril de plus de 100 dollars et le terrorisme noyé dans une mer sans eau. La corruption est une arme redoutable, elle atteint l’âme. L’argent n’a ni sentiments, ni patrie, ni religion. Là où il va, il est chez lui.  Et partout on déroule à ses pieds le tapis vert. La couleur du « paradis ».

Les financiers n’ont aucun patriotisme et pas la moindre décence. Leur seul but est le gain. L’économie rentière est la base sur laquelle repose les régimes arabes et la prospérité occidentale. Aujourd’hui le peuple algérien mature et conscient des enjeux est déterminé à mettre le holà de façon civilisée et non violente. Le destin d’une nation se joue à ciel ouvert. Les peuples marchent, les élites déclinent. De l’individualisme forcené solitaire sans filiation à l’émergence des êtres collectifs compacts sans leader, un des défis de ce troisième millénaire.
 

Auteur
Dr Abdelkader Boumezrag

 




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