25 avril 2024
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Algérie : une stratégie politique programmée

DECRYPTAGE

Algérie : une stratégie politique programmée

Propulsé par le déni identitaire, la privatisation de l’Etat, la corruption et la violence, le navire battant pavillon algérien plonge vers les abysses. On se demande s’il se remettra de l’inévitable choc auquel il est destiné. Cette déflagration qui guette n’est en rien le produit d’une banale erreur de navigation mais le produit inéluctable d’une gestion nationale qui a sécrété un sous-développement culturel, moral et politique où la paresse s’est substituée à l’effort, le populisme à la complexité et l’émotion à l’analyse.

Nous ne nous appesantirons pas sur les dégâts que cela a induits dans la société algérienne ; ils ont fait l’objet de nombreuses études ; contentons-nous seulement de dire que nous sommes en présence d’une crise de sens, d’identité et d’utilité, crise protéiforme à laquelle la simple réforme politique  ne saurait être suffisante.

La nature de la crise algérienne

Comme évoqué à l’instant, une triple crise a précédé la crise politique inédite que l’Algérie traverse depuis le 22 février. Comme toute crise de société celle-ci est profonde donc forcément complexe.

A la racine on distingue une crise de sens, celle-ci se distingue  lorsque les valeurs et les principes sont vidés de leur sens et de leur substance, ils prennent ainsi la forme de contre-valeurs. En l’espèce cela s’illustre par le fait que plus personne ne croit au discours officiel,  ce qui occasionne une rupture totale de confiance en ceux qui sont censés incarner l’Etat et la Nation.

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Cela est la résultante d’un vécu devenu insupportable, d’un avenir incertain et d’une espérance obstruée. Ces éléments ont convaincu les citoyens que leurs dirigeants ne comprenaient rien à ce qu’ils vivaient. Si jusqu’à présent, la légitimité historique (puisée dans la lutte contre le colonialisme), la norme religieuse, le populisme (tel qu’incarné dans les devises officielles), le vocabulaire démagogique (faisant planer l’illusion de la fraternité)  et la rente ont pu retarder l’échéance ; aujourd’hui la donne a changé et les algériens ont exprimé la nécessité de se réapproprier librement le cours de leur destin tel un besoin aussi vital que l’air que l’on respire.

La crise d’identité qui se juxtapose est liée au fait que l’Algérie n’a pas su construire une mémoire collective en conformité avec son histoire. Les exigences de la modernité incarnées par la liberté de conscience et l’égalité des droits se sont constamment fracassées contre l’arabo-islamisme, idéologie de légitimation du pouvoir. Ce qui a conduit à une réduction de l’identité algérienne par le biais entre autre de la mutilation historique et à une aliénation fruit de la suprématie de la norme religieuse sur la raison. Les traductions les plus concrètes de cette situation sont celles qui marquent l’entrave au principe d’égalité par le maintien d’un statut inférieur de la femme, la liberté de conscience qui entre nécessairement en conflit avec l’apostasie et enfin la liberté d’opinion soumise au couperet du blasphème. De ce fait, nous ne pouvons parler ni de démocratie, ni de cadre social émancipateur en pareille situation.

Enfin une crise d’utilité est apparue avec la glaciation du jeu politique entamée en 2009 au moment de la révision constitutionnelle rendant possible le mandat à vie. Elle s’est accentuée en raison des interrogations des algériens allant jusqu’à questionner sur le sens de leur propre existence : « pourquoi je vis ? » ;  « d’où viens-je, où vais-je ». Il s’agit là d’un véritable cri de détresse formulé par une jeunesse dépossédée de son quotidien et dont l’espoir repose davantage sur la solidité d’un rafiot de fortune, pour rejoindre l’autre rive de la méditerranée,  que sur la capacité de sursaut d’une classe politique largement discréditée.

Dans une pareille situation, les atermoiements font courir le risque de lourdes conséquences qui ne feront qu’aggraver la situation actuelle – situation qui fort heureusement tolère encore des solutions civilisées. Si nous sommes d’accord pour admettre que toute crise peut donner des raisons d’espérer alors il convient impérativement de souligner que cela ne peut passer, dans le cas présent, que par la mise en place d’un projet national en rupture totale avec le régime actuel.
 

L’inattendu cri de révolte

Alors que l’on pensait que la cause était entendue et que rien ne pouvait secouer la léthargie dans laquelle somnolait la société algérienne, voilà que l’inattendu se produisit un certain mois de février 2019 où un puissant souffle populaire bouscula l’ordre politique et ouvrit  le champ de l’espérance.

Plus qu’un acte de rébellion à l’encontre des « décideurs » (expression que les algériens utilisent pour nommer les tenants du pouvoir réel), se dessine à travers ces manifestations une volonté de rupture dont le slogan « dégagez ! » résume à lui seul la profondeur du rejet du système. Cet élan populaire, où toutes les couches de la société sont réunies (femmes, étudiants, chômeurs, bourgeois, ouvriers, algériens expatriés…) est-il l’expression d’une colère passagère que le mois Ramadan viendra peut-être  éteindre ou la naissance d’un peuple citoyen ? Si la prédiction de l’avenir est impossible dans le cadre de ces processus de soulèvement populaire, l’espoir est toutefois permis.

En dépit d’un chemin qui sera long et surtout incertain, il apparaît nécessaire de faire primer l’optimisme de la volonté cher à Antonio Gramsci. C’est ce que font actuellement les jeunes algériens qui honorent ainsi le legs historique de Hocine Ait Ahmed, dont l’unique tort fut d’avoir quelques longueurs d’avance sur l’histoire de son pays, en demandant que les fondements du nouveau projet national soient démocratiques et modernes.

Eviter les fausses pistes

Il faut malgré tout parler des illusions et pièges que pose la situation actuelle. La crise d’aujourd’hui ne peut se suffire d’une simple réforme politique qui s’apparenterait à la célèbre réplique issue du Guépard « tout changer pour ne rien changer ». Une telle option poserait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Les tenants de ce scénario n’ont conscience – ou feignent d’ignorer – ni de la nature de la crise, ni de sa profondeur. Loin d’être une mauvaise colère, le grondement actuel de la rue algérienne est l’expression d’un profond malaise politique et moral qui ne peut se satisfaire ni d’un ravalement de façade ni du piège d’élections « libres et transparentes ». Cette alternative que d’aucuns présentent comme l’unique solution pour éviter le pire à la société, participe d’une politique d’enfumage qui ne repose que sur la volonté de faire émerger une personnalité présentable tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays en vue de gagner du temps.

Quelles sont les chances de concrétisation d’une telle hypothèse ? Elles ne sont pas inexistantes eu égard à la capacité de manœuvre insidieuse du régime comme ce fut le cas au lendemain des événements d’octobre 1988 ou de l’avortement des élections de 1991.

La deuxième illusion est celle de la refondation du pays par le nationalo-islamisme ou la voie d’inspiration « turque ». Certes la violence des années 1990 a largement entamé l’option de la radicalité religieuse mais ne l’a pas rendue pour autant définitivement morte.

En retrait aujourd’hui pour des raisons potentiellement stratégiques, il faut se garder d’exclure la résurgence du radicalisme religieux d’autant plus que le pays réel ne lui a pas complètement tourné le dos. La ferveur religieuse n’est pas une vue de l’esprit car elle irrigue en profondeur le pays en témoignent les prières sur la voie publique, les accoutrements vestimentaires, l’édification de mosquées (30 nouvelles mosquées en 2017 uniquement pour l’agglomération d’Alger), le choix de la journée principale de protestation qui est celle du vendredi. D’ailleurs le choix de cette journée n’est pas sans nous rappeler « le vendredi de la colère » des Frères Musulmans égyptiens.

Si les chances de voir ressurgir le courant radical sont limitées, celles de son frère siamois modéré sont réelles et bénéficient d’un retour sur investissement auprès des couches bourgeoises et petites bourgeoises ainsi que le ralliement d’une bonne partie de l’opposition politique qui ne trouve pas mieux que de s’aligner derrière un imam de circonstance, pour implorer le ciel mais on ne sait pas si c’est pour gagner le Paradis ou le pouvoir !

Instruits par l’expérience de l’AKP turque, les islamistes pourraient négocier, à leurs conditions, la mise en place d’un « gouvernement consensuel »  pour reprendre l’expression d’un des leaders de cette mouvance, tout en prenant soin au préalable « d’arrêter toute opposition partisane et syndicale ». Bel exemple de démocratie qui commence par supprimer les libertés élémentaires ! Cette hypothèse dans le contexte actuel est tout à fait plausible en raison des affinités idéologiques et politiques qui unissent la mouvance islamiste aux forces politiques nationalistes.

La raison d’espérer

« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve», c’est justement dans cette prophétie de Hölderlin qu’il faut espérer l’issue de sortie de crise. Bien sûr la voie est étroite et problématique en raison des pesanteurs politiques, culturelles, sociales, idéologiques qui s’exercent sur la société algérienne et que les différents groupements d’intérêts (les oligarques, les trabendistes, les conservateurs…) tentent d’entretenir et de reproduire (ce qui est de bonne guerre)  mais également et surtout en raison de la fragilité de la mouvance démocratique qui en l’état actuel de sa culture, de son organisation, de son ancrage sociologique ne pourrait suppléer du jour au lendemain au régime en place, ni contrecarrer la mouvance islamo-nationaliste.

Ceci n’est nullement une surprise dans un pays qui a été régenté, des années durant, par une pensée unique. N’a-t-on d’ailleurs pas vu les Algériens renoncer « librement à leur liberté » selon l’expression de Jean Daniel le jour où on leur a permis « de choisir librement » leur destin lors des élections de 1991 ? En outre, la relative atonie des partis dits démocratiques à l’occasion des journées de protestation et surtout l’éviction de certains leaders de cette mouvance des rangs des protestataires n’attestent-elles pas que la culture de la démocratie est à ensemencer. Mais alors est-ce l’impasse définitive pour une solution civilisée ?  

Nous aurions certainement conclu ce papier sur une note défaitiste si nous n’avions pas présent à l’esprit le legs politique de Hocine Ait Ahmed pour qui l’Algérie a d’autres choix que la diabolique équation entre un état policier et une république islamique !

La lucidité de cet humaniste révolutionnaire, pariait déjà, il y a presque 60 ans, sur la démocratie « comme valeur et méthode à la fois, comme but doctrinal et moyen politique ». Il convient tout simplement de partir de ce postulat pour fixer le cadre de réflexion et de travail de la seule institution à même d’offrir une chance à l’Algérie de repartir sur de nouvelles bases : une assemblée constituante dont les membres s’engageraient à faire valoir sur toute autre considération ces deux principes : l’égalité des droits et la liberté de conscience.

«Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge», disait le vieux Churchill.

Salem Djebara
 

Auteur
Salem Djebara

 




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