18 avril 2024
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Berbérophones, mes frères !

COUP DE GUEULE

Berbérophones, mes frères !

Cette affaire du drapeau amazigh m’a personnellement bouleversé car c’est au-delà de la rage qu’elle me fait réagir, dans une forme extrême de l’abattement. Alors, je prends ma plume, comme depuis des décennies, pour dire encore et encore, inlassablement, ma peine que cette force plurielle de ce pays, celle qui définit mon identité de naissance et lui donne cette grande beauté, soit entre les mains de bigots en phase terminale de dégénérescence.

Comment vous dire, vous expliquer ce sentiment ? Il a toujours été le mien depuis que je me souviens de mes pensées autonomes, celles que la bêtise collective n’atteint jamais lorsqu’elles sont protégées d’une muraille puissante, de celles que seule l’école sait en construire.

Je n’ai jamais compris pourquoi on inflige cette blessure, ce sentiment de déni du droit légitime de mes frères de Kabylie. Moi, j’ai envie de hurler au monde que cette Kabylie est mon pays et que si elle a mal, c’est moi qui ressens la douleur car la Kabylie est mienne autant que mes deux lions de la place d’armes d’Oran.

J’ai envie de crier à la planète entière que je me fiche totalement des différences linguistiques et autres apparats régionaux distinctifs. Ce qui compte c’est la nature profonde des êtres humains qui partagent ma terre natale.

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Si c’est pour être confronté à des absolutistes, alors je ne reconnais pas ce pays comme étant une part importante de mon identité. Ce qui m’importe dans les différences culturelles, c’est l’apport de l’intelligence, de la fraternité et du projet commun si cher et exprimé dans le merveilleux discours d’Ernest Renan.

De mes frères Kabyles, je n’attends ni une explication de la différence ni un effort de la gommer. Si un jour il en était ainsi, j’aurais alors perdu ma Kabylie, celle de mon pays, on me l’aurait arrachée.

Moi, je me suis toujours fendu de rire à écouter l’accent de Kabylie lorsqu’il est porté à l’extrême. De ces rires qui font la fraternité et le sentiment d’une douce tonalité du pays. Je sais qu’on se moque du mien, le fameux accent guttural d’Oran, et c’est très bien ainsi. Lorsqu’on aime on peut rire de ses différences, elles sont le chant de la nature humaine.

Pourtant, géographiquement, la Kabylie fut toujours lointaine pour moi car j’ai vécu une enfance dans un pays où on ne voyageait pas sinon à être fonctionnaire ou en mission professionnelle. Mais cela n’a pas d’importance car j’ai vu pour la première fois de ma vie le désert lors de mon voyage à Las Vegas lorsque mon premier salaire me l’avait permis. Pourrait-on alors penser que le désert n’est pas partie intégrante de mon pays natal ? Ce serait une absurdité de le prétendre.

Et puis, avec ce rire fraternel qui est le mien, je souhaite les prévenir qu’en ce qui concerne la JSK, un jour Oran finira par lui mettre une bonne raclée sur le terrain. Mon grand militantisme pour l’union nationale ne me fera pas dévier de l’idée que l’hégémonie scandaleuse de cette équipe de Kabylie doit cesser. Et puis, depuis que je suis parti d’Algérie, quel est cette incongruité qui a fait tourner les choses au football. Depuis quand nos frères kabyles savent-ils jouer au football ?

Et pourquoi pas Adrar, championne de surf ? Et Tiaret, de ski alpin ? Non mais… !

Je souhaite tellement que mes compatriotes berbérophones sachent que je les aime autant qu’ils auraient parlé n’importe quelle langue au monde. Ce n’est pas de ma faute si je ne la comprends pas mais qu’ils sachent que je la ressens être une partie de mon identité nationale et de l’histoire de ce pays que j’ai tant aimé. La première historiquement, je m’en fiche totalement car ce qui compte chez l’humaniste, c’est l’instant présent, pas le classement dans l’antériorité.

Je n’ai pas plus rejeté ce pays natal lorsque des écevelés ont essayé de m’apprendre une langue étrangère, l’arabe classique, qui fut un drame absolument cauchemardesque pour le francophone que j’étais.

Je ne sais plus quoi dire, quoi écrire pour persuader mes frères berbérophones qu’ils doivent enfin ressentir l’amour national envers eux et qu’ils se décontractent en vivant leur langue et leur culture avec une fierté que nous voulons être une force collective dans ce pays.

La langue n’est rien en soi, elle est pourtant tout lorsqu’elle véhicule l’éducation, la culture et l’intelligence. Je ne vois pas pourquoi je serais privé de l’éducation, de la culture et de l’intelligence de mon pays sous le seul prétexte que je ne comprends pas cette langue.

Cette affaire du drapeau, je l’ai déjà dit, m’a mis dans un état profond de dépression car je ne sais plus quoi dire ni faire pour qu’enfin cette fracture nationale se résorbe. C’est pourtant si facile, si simple.

Il est vrai qu’un drapeau national est constitutionnellement une identification avec des conséquences juridiques. Mais d’une part, quel mal y a-t-il à défiler avec les couleurs qui portent la marque identitaire et culturelle d’un pays ?

La solution est simple, changeons de drapeau afin d’y reconnaître toutes les marques identitaires et historiques du pays. Ce n’est pas plus grave que cela et, franchement, l’unité nationale, c’est dans les cœurs et les esprits qu’elle se façonne, pas exactement sur un bout de tissu qui n’est que sa conséquence symbolique.

Je suis un inconnu, isolé, mais pour ma part je ne vois pas quelle serait la force au monde qui m’empêcherait de dire aux berbérophones : « Vous êtes mes frères, je vous aime et je ne veux plus que vous souffriez ! ».

Aucune force au monde et certainement pas les zélés du régime militaire. Mais si la JSK continue à gagner Oran, je reviens et mets un maillot pour venger l’affront. J’étais un excellent ailier droit, il y a cinquante ans.

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene, enseignant

 




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