29 mars 2024
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Bouteflika ou l’inventaire d’une dérive monarchique

DECRYPTAGE

Bouteflika ou l’inventaire d’une dérive monarchique

Depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962, Abdelaziz Bouteflika est aux commandes du pays, excepté sa « traversée du désert » de 1981 à 1998.

Une année comme ministre de la jeunesse et du tourisme puis seize années comme ministre des affaires étrangères (et numéro 2 du régime de Boumediene de 1965 à 1979) ; il occupe par la suite le poste de ministre d’Etat sous Chadli pendant une année. Depuis 20 ans, il est président.

Sous le règne de Boumediene, Abdelaziz Bouteflika était le second du grand dictateur. Ils ont fait de l’Algérie un Etat qui reposait sur un « bâton » en acier : la terrible sécurité militaire. Economie de la rente et chape de plomb : prends ton bout de pain et ferme ta gueule ! Pendant ce temps là, Messaoud Zeggar, Abdelaziz Bouteflika et quelques autres privilégiés faisaient fortune dans ce pays décrété socialiste pour les masses populaires.

Chadli Bendjedid réglera des comptes en mettant en prison le premier et en faisant traverser un grand désert au second en le faisant poursuivre par la cour des comptes (ce qui le poussera à l’exil).

En 1999, comme par miracle, Abdelaziz Bouteflika profite d’une alternance clanique et revient au pouvoir comme chef de l’Etat. On ne pourra pas citer toutes ses « grandes » réalisations durant ses vingt années de règne en quelques paragraphes mais on peut faire part, brièvement, de quelques-unes, à commencer par la corruption.

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La corruption est devenue une « valeur » sûre : ce ne sont pas les corrupteurs et les corrompus qui ont à craindre des sanctions pénales mais ceux qui essaient de s’y opposer. La délinquance gagne aussi sur le terrain des «valeurs». L’un des symboles de cette corruption, et délinquance, Chakib Khelil, totalise plus de 750 000 mentions «j’aime» sur sa page officielle de facebook. Et c’est un très proche du président.

Les services de sécurité et la justice semblent vivre en symbiose avec ces nouvelles « valeurs » sociétales. Après tout, c’est logique qu’ils se mettent à la mode : ils font partie du peuple.

Le système politique est d’ailleurs très performant en matière de corruption de masse. C’est ainsi qu’il a pu se constituer une clientèle importante qui « négocie » des avantages à l’approche de chaque élection, aussi bien au niveau de catégories sociales ou professionnelles, de secteurs, que dans une logique régionaliste ou confessionnelle. Même si des pans de cette clientèle semblent se réfugier ailleurs à l’occasion de ce cinquième mandat, il n’en demeure pas moins qu’une certaine clientèle continue de s’accrocher à ce qu’elle perçoit comme une source de profit.

La santé et la médecine ont déserté les hôpitaux : c’est un secteur complètement délabré. Cela fait les affaires des rabatteurs des cliniques privées. La nomenclature des médicaments importés ne cesse rétrécir, des pénuries à répétition. La secte au pouvoir s’en fiche : ils se soignent, eux, et meurent, même, en Europe ou en Amérique, pris en charge par la CNAS et l’Etat.

L’économie a pour oxygène la rente pétrolière et gazière. Cette dernière sert fondamentalement à maintenir le régime en place depuis l’indépendance du pays. Cette rente est essentiellement partagée entre ce qui sert à l’entretien de l’appareil de répression, le budget consacré à l’achat de la « paix sociale » et celui dévolu à la constitution d’une clientèle électorale, et ce qui est détourné par la caste au pouvoir. Des miettes pour le développement du pays. La courbe des prix des hydrocarbures représente le cardiogramme de l’économie algérienne.

Quatre mandats ont suffi à instituer et institutionnaliser les idées des islamistes qui ont gagné la bataille idéologique sans gagner d’élection présidentielle.

D’ailleurs, les zaouïas ont soutenu Bouteflika dans tous ses mandats et ont appelé à un cinquième mandat ! Grâce à toutes ces mosquées qui poussent comme des champignons, elles vont pouvoir continuer leur « œuvre ». D’ailleurs, on a l’impression que le pouvoir utilise de plus en plus l’« opium » (pour emprunter le mot de Marx) que le bâton pour mater les velléités de subversion dans le pays.

Pour réussir ses programmes, le président et ses « compagnons » ont misé sur l’éducation.

Avant, l’école était sinistrée, 20 ans plus tard elle est anéantie. Le peu de matière grise qui réussit à échapper, miraculeusement, au massacre est pompée par Campus-France à Alger même. Les universités forment des légions de diplômés en majorité incultes. Parmi ces lieux de savoir et de recherche, il y en qui se transforment en zaouïas qui ne s’occupent sérieusement que de la morale (islamique) de leurs étudiants. D’ailleurs, il n’y a que la dimension islamiste qui réussit dans ce système avec comme conséquence l’abolition du sentiment national. Islamisme et nationalisme sont incompatibles. La conscience sociale, quant à elle, s’est effritée au fil des années.

Pour ses performances intellectuelles, le système éducatif algérien a été l’avant-dernier du classement PISA en 2015.

A présent, ce n’est plus une école (et université) à réformer mais à fermer : ce sont les fondements même du système éducatif algérien qui doivent être refaits.

Quatre mandats ont suffi pour anéantir l’engagement idéologique en politique et asseoir l’hégémonie de l’opportunisme politique dans le pays. L’espoir d’alternance dans l’exercice du pouvoir est mort. L’opposition dite démocratique est laminée. On voit actuellement des femmes et des hommes qui se prévalaient de cette tendance se rallier à la candidature d’un général et se ranger derrière lui dans l’espoir de déloger Abdelaziz Bouteflika de la présidence.

Pourtant, il y peu de temps, personne ne connaissait ce général sorti du chapeau du grand magicien Toufik, l’ancien patron du DRS (qui a institué ce même Bouteflika). Le désespoir fait naître des mirages : voir en Ali Ghediri un «messie» alors qu’il ne peut représenter, au mieux, qu’une alternative clanique, avec, peut-être, un peu moins d’opium et plus de bâton. Il a servi le régime, et contribué à le sauvegarder, pendant des décennies avant de se découvrir une âme d’opposant après sa mise à la retraite. Pour la propagande électorale, ce sont les méthodes du système : ils n’essayent même pas de convaincre, ils veulent faire taire toute voix discordante. Les « candidats » ne sont pas en quête d’électeurs : c’est l’allégeance de la population qui est attendue. La police politique est déjà à l’œuvre dans les médias et les réseaux sociaux.

Une des « réussites » d’Abdelaziz Bouteflika est la sacralisation de son personnage. Le code pénal est éloquent : on ne parle pas d’«outrage» mais d’«offense» au président de la république. C’est le même terme qui est utilisé pour «le prophète et les envoyés de Dieu». Ces délits figurent dans le même article, 144 bis et 144 bis 2. Cette sacralisation est aussi dans l’après-Bouteflika : on parle de succession et non d’alternance démocratique. On peut penser aux monarchies mais dans ce mode de gouvernement, la succession est décidée dès l’accession au trône du monarque.

A la mort du prophète Mohamed, ses compagnons étaient tellement occupés à se battre pour la succession qu’ils avaient oublié de l’enterrer abandonnant son cadavre à la putréfaction dans son domicile pendant trois jours. En Algérie, la bataille pour la succession à Abdelaziz Bouteflika dure depuis des années mais aucun de ses compagnons n’a réussi, pour le moment, à s’imposer comme calife. Si jusque-là, on a empêché ce personnage «sacré » de se reposer ou de mourir, je crains que les prétendants au califat ne s’étripent encore pendant des années et oublient leur maître.

Abdelaziz Bouteflika a encore besoin de cinq ans comme chef de l’Etat (qu’il dirige déjà par procuration) pour asseoir définitivement au sein de la population la suprématie du fantasme arabe (les nombreuses vierges éternelles du paradis) sur le rêve américain ou l’idéal révolutionnaire français (qui a enfanté la déclaration de droits de l’homme). Il aura aussi le temps d’achever l’Algérie.

De toutes les façons, avec un calife ou un messie, on ne sera pas mieux lotis. Le mal est très profond. Il faut espérer un miracle et un véritable processus démocratique pour sauver le pays.

Auteur
Nacer Aït Ouali

 




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