19 avril 2024
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Crânes de résistants algériens : science et idéologie

DECRYPTAGE

Crânes de résistants algériens : science et idéologie

C’est pourquoi l’idéologie est à la fois interprétation du réel et obturation du possible. Paul Ricoeur.

C’est à double titre (enseignant à l’école d’anthropologie de Paris de 1986 à 1996 et engagement politique) que je me sens concerné par l’émoi et la conternation que suscite le rapatriement des crânes algériens déposés au MNHN.

Il va de soi que sans la colonisation française ces crânes ne se retouveraient pas dans les musées français. C’est cette part entremêlée de la science et de l’idéologie colonialiste qui me faire réagir.

Pour rappel, c’est dans le cadre des activités de  la société d’anthropologie de Paris sous l’instigation de Paul Broca que furent exhumés ou importés des colonies des restes humains dans l’ultime but était, aux yeux des anthropologistes du XIXe siècle, le développement l’anthropologie comme science de la race. Ce même Paul Broca exhuma des restes humains pour établir l’ordre d’appartenance raciale des Basques alors paradigme dominant de l’anthropologie de l’époque.

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Une part importante de la « mesure de l’homme » fut la craniométrie domaine dans laquelle Paul Broca inventa de multiples instruments qu’il fournit aux amateurs et autres professionnels qui fréquentèrent le musée du savant français. Finalement,la craniométrie  perdit petit à petit de sa crédibilité avec le début de la sérologie comme outil de la classification de la population.

Ainsi et loin s’en faut de croire à la fin de la raciologie qui reste utile pour la classification des espèces, cède la place à l’anthropologie physique qui forte de nouveaux instruments « mesure » toujours la pluralité de l’espèce humaine considérée comme seule unité de l’Homme.

Avec le développement de l’anthropologie physique relayée par l’anthropologie culturelle (ethnologie), il y a au moins un domaine de cette branche qui ne peut pas échapper au laboratoire, nous voulons parler de études crâno-faciales représentées en Algérie par Djillali Hadjouis. Nous rappelons que c’est Anne Dambricourt-Malassé qui a développé en France ce genre d’analyses. Du reste, le plus important dans le domaine scientifique c’est la réaction d’Yves Coppens paléoanthropologue français qui lui réserva une séance de travail au Collège de France.

En définitive, il se pose toujours le probléme de la connaisance du corps, de ses organes et des fonctions physiologiques pour que le corps échappe au scapel du medecin. Dès lors,la question du devenir de l’anthropologie se pose en Algérie. Avec le poids de la religion faut-il interdire aux élèves medecins des universités algériennes de faire leur apprentissage en étudiant le corps humain et aux rares chercheurs en anthropologie physique de poursuivre leur investigation scientifique. Nous pensons à l’héritage des professeurs de médecine de l’université d’Alger dont parle le docteur Leblanc. A toute fin utile, la nécessité du recueillement ne doit pas laisser place à la manipulation politique ou à l’obscurantisme.

Malheureusement, le pouvoir d’Alger utilise en outrance la propagande pour asseoir sa légitimité politique alors qu’il n’en a pas. D’une façon générale, il n’y a pas que les restes humains qui doivent être restitués mais c’est tout le pillage des pays colonisés qui doit être réévalué par une instance internationale indépendante afin que les objets volés soient après restitution mieux protégés dans leur pays d’origine.

F. H.

Quelques références:
 
CL. Blanckaert, De la race à l’évolution, Paul Broca et l’anthropologie française (1850-1900), l’Harmattan, Paris, 2009.
N. Dias, Le musée d’ethnographie du Trocadéro (1870-1908), Anthropologie et muséographie en France, Editions du CNRS, Paris, 1991.
S. Jay Gould, La Mal-mesure de l’homme, Editions Odile Jacob, Paris, 1997.
Ch. Laurière, Paul Rivet, le savant et le politique, Publications scientifiques du Muséem, 2008. A ma connaissance, toute la collection du musée Broca ainsi que les archives de l’école d’anthropologie ont été regroupés au moment de la fondation par Paul Rivet du musée de l’homme. Par ailleurs lors de la rénovation du musée de l’homme, la partie anthropologie physique a été entreposée au muséem d »histoire naturelle et la deuxième partie, l’ethnographie, au quai Branly.
Le Savant et le Berbère, Histoire de l’anthropologie du Nord de l’Afrique, AFEMAM, 1990.
P. Topinard, la société, l’école, le laboratoire et le musée Broca, G. Chamerot éditeurs, 1890.

 

Auteur
Fatah Hamitouche, ethnologue 

 




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