24 avril 2024
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Dater le calendrier amazigh : l’impératif de l’anthropologie historique

REGARD

Dater le calendrier amazigh : l’impératif de l’anthropologie historique

C’est à l’anthropologie, à l’ethnographie et à la linguistique d’élucider ces questions(de groupes) que l’histoire démunie de tout document sérieux, ne saurait résoudre. G. Marçais

Il y a de cela quelques années nous avons jugé utile de présenter aux lecteurs les différents calendriers connus de l’Afrique du Nord et du  Sahara. Cette présentation a pris la forme d’une actualisation d’un cours donné à l’Ecole d’Anthropologie de Paris dans les années 80/90. 

Il en résulte que si le calendrier berbère rythme la vie des paysans il en va autrement de la date retenue par les activistes berbères qui coïncide avec la prise du pouvoir par un militaire d’origine libyenne nommé Chechong qui est à l’origine de la XXe dynastie égyptienne. 

Il va de soi que la figure de Chechong est une caractéristique de l’histoire des Pharaons d’Egypte qui n’a rien à voir avec l’histoire proprement dite du vaste territoire à l’ouest du Nil qui était alors occupé par les Amazighs. Par ailleurs, si nous retenons que le calendrier agraire est une pure oscillation des travaux et des jours des paysans sédentaires, il en serait autrement pour les communautés de pasteurs nomades.

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Du coup, il nous revient de droit de requalifier les datations du rythme des paysans sédentaires et des tribus nomades du Sahara. Ainsi d’après les données ethnographiques, le premier calendrier agraire des paysans nord-africains remonte au début de l’agriculture qui est elle-même issue d’un long processus de la néolithisation des populations préhistoriques de l’Afrique du Nord qui étaient rythmées par l’inclinaison du soleil.(1)

A l’appui de ces données ethnographiques, nous pouvons considérer que le paysage préhistorique du 7e millénaire BP que décrit Colette Roubet relève des mêmes conditions de vie partagées par des communautés agricoles et pastorales.(2) Par conséquent, la datation du calendrier amazigh doit être soumise non seulement à l’apport de l’ethnographie mais aussi à l’histoire événementielle qui, hélas, réduit la durée à une spatiotemporalité proprement égyptienne.

Pour en finir avec les amalgames, il y aurait mieux à distinguer l’entame de la différenciation ethnique des anciens Amazighs et des antiques Egyptiens qui à l’aube de l’histoire se sont dans certaines circonstances alliés ou combattus. A l’épreuve des faits, nous allons réexposer les quelques connaissances que nous avons de la préhistoire, de l’ethnographie et de l’histoire des premiers Amazighs. 

1- La préhistoire

Quoiqu’étant une science jeune, la préhistoire de l’Afrique du Nord et du Sahara, nous fournit des éléments culturels convaincants sur la mise en place du monde amazigh.

Les récents travaux sur la période charnière du paléolithique supérieur-néolithique est l’objet de beaucoup de controverses sur les datations et la nature des civilisations préhistoriques qui se sont succédé en Afrique du Nord et au Sahara. Si la date de 50.000 ans préconisée par Malika Hachid (Les premiers Berbères, entre Méditerranée, Tassili et Nil, Editions INA-Yas- Edisud, 2000) pour déterminer le commencement de la civilisation amazighe semble obscure, il n’en demeure pas moins que la filiation entre l’Ibéromaurusien et le Capsien est une fixation ethnographique qui promeut l’idée d’une continuité  anthropologique qui remonte à 20 000 ans.(3)

L’intérêt porté par le collaborateur de Colette Roubet à l’inclinaison du soleil comme déterminant du cycle de vie des hommes préhistoriques (et des Troglodytes ?) qui habitaient des abris sous-roche (grottes) en est une des démonstrations de l’existence d’un comput au temps de la préhistoire. Certainement, ce comput préhistorique des Aurasiens ne peut être le même que celui des groupes nomades qui habitaient à la lisière du Sahara.

Les échanges entre les deux populations sont le signe d’une spécialisation économique des deux communautés  qui ipso facto induit un rythme différencié lors des contacts au cours de la transhumance. A cette donne économique et sociale, s’y ajoute la problématique de la linguistique préhistorique des Amazighs qui reste à jusqu’à ce jour inconnue sauf la formulation aléatoire du préhistorien Iddir Amara alors que pour beaucoup de ses pairs, la linguistique préhistorique est une  donnée heuristique fondamentale dans l’émergence du langage articulé des hommes préhistoriques (4).

Malheureusement dans le court article en question, la supposition de l’auteur cité se réduit à l’évocation de possibles relations entre les figures et les gravures rupestres avec quelques déclinaisons des racines verbales exposées par le linguistique Salem Chaker.

Cette orientation de la recherche est réaffirmée par ce dernier dans un article consacré aux « origines berbères ».(6) Même si le caractère aléatoire de la classification des langues est un problème épistémologique pour l’ancienneté du berbère, il n’en reste pas moins que dans les travaux cités précédemment, il ne s’agit que des signes (sémiologie) et de l’écriture et non du langage des Préhistoriques nord-africains et sahariens

2- L’ethnographie

La qualification d’un vieux peuple méditerranéen est abscons si l’on s’en tient aux seules caractéristiques culturels des Amazighs. La qualification méditerranéenne est un malédiction « épistémologique » qui  scinde l’espace des Amazighs en deux aires culturelles  qui servent à la sempiternelle opposition des nomades aux sédentaires. la portée idéologique d’une telle distinction contribue à des élaborations théoriques plus que contestables qui ont largement présidé à l’écriture de l’histoire nord-africaine et saharienne. Ainsi, la théorisation de l’histoire à partir de cette opposition induit une frigidité historique proche des sociétés froides constamment ébranlée par les influences venues d’Orient et d’Occident.

Alors que l’ethnographie n’est plus depuis fort longtemps la « science des sauvages », elle est devenue au tournant de la moitié du 20e siècle, une des pièces maîtresses des techniques archéologiques qui permettent de mieux saisir l’écosystème des populations préhistoriques. (6) Il est certain que les techniques des fouilles archéologiques ont évolué progressivement pour donner un tant soit peu une consistance grandissante pour  déterminer la vie sociale des hommes préhistoriques. Si le néolithique marque une étape importante dans l’évolution des sociétés humaines, donc, il est porté à croire que cette phase évolutive de l’homme nord-africain et saharien n’est pas seulement marquée par des « emprunts technologiques » mais elle est le cadre d’un long processus interne de la mise  en place de la ruralité capsienne et peut-être ibéromaurusienne.

A la faveur du paysage tel que le décrit C. Roubet, il est fort envisageable de décrire les mécanismes sociaux-culturels et économiques de ces communautés humaines. Plus qu’une autre discipline scientifique, l’ethnologie est la mieux adaptée pour faire l’inventaire de la société préhistorique nord-africaine et saharienne. Certainement le calendrier berbère est une des formes d’invention de la mesure du temps dans la succession des âges de l’histoire. Du reste, il est fort possible de déduire que le calendrier agraire des paysans a succédé à celui des hommes préhistoriques sans qu’il ait nécessairement par le biais de la théorie des influences et  accessoirement par le diffusionnisme l’importation d’un modèle externe aux communautés agropastorales de l’Afrique du Nord.

Du coup, il est possible de déduire de la dynamique interne des néolithisées nord-africains et sahariens le remodelage des apports étrangers dans les domaines des techniques agricoles ou de la domestication des animaux sans pour autant les  réduire à un simple réceptacle des grands courants technologiques de la préhistoire. Il en serait de même des calendriers agraires  rédéfinis selon les besoins des communautés agricoles et pastorales.

3- L’histoire 

On y arrive presque au dilemme de l’histoire des Amazighs si l’on s’en tient à l’historiographie gréco-latine et arabo-musulmane. Nous avons déjà souligné le « piège de cette  historiographie » mais toujours est-il qu’indépendamment de l’enjeu des points de vue de l’histoire, il faut bien reconnaître que ce sont ceux des vainqueurs qui président à la périodisation de l’histoire de l’Afrique du Nord et du Sahara. Par ricochet de la périodisation historique, les différents calendriers en dépendent au point qu’un syncrétisme
culturel s’est accaparé de la mesure du temps des populations.

Il va de soi que c’est l’histoire des Etats qui est la plus impactée par ces mesures de la temporalité. Sans aucune répartie, les deux traditions historiographiques imposent des modes d’emploi  qui au fil du temps ont progressivement transformé non seulement le cadre de vie des citadins mais aussi celui des ruraux et des pasteurs nomades. Il va de soi qu’un approfondissement historique s’est imposé de lui-même lorsque les activistes berbères se sont approprié le problème identitaire.

Ces derniers à l’appui des travaux scientifiques ont repris les données de la documentation égyptienne pour faire coïncider le nouvel An amazigh avec le début de la XXIIe dynastie égyptienne. A partir de cette accaparement symbolique du IXè siècle A.-J, des almanachs, des calendriers se sont enrichis d’une datation en complément du rythme des communautés agricoles. Il va de soi que ni la  date ni le symbole ne correspondent à la réalité amazighe telle qu’elle se définit autrement par rapport à l’Egypte pharaonique.

Eu égard au coup épistémologie opéré apr Cheikh Anta Diop, nous croyons qu’il est adéquat d’utiliser la documentation égyptienne sans tomber dans un excès idéologique. Pour le faire, il suffit de distinguerl’ethnisation des groupes tribaux du Nord de l’Afrique pour établir une historisation des rapports entre les Pharaons et les Amazighs.

S’il semble qu’une souche paléoanthropologique comune est partagée par les deux ensembles, il  est maladroit de considérer que les Pharaons sont d’origne amazighe (B.Lugan, Quand l’Egypte était amazighe, internet) ou d’affirmer que le calendrier égyptien daté de 3150 A.-J est d’origine berbère ( M. Khelifa). Si nous sommes critiques envers B. Lugan sur son incapacité à définir l’ethnie, nous le sommes aussi pour M. Khelifa (L’An I du calendrier amazigh (berbère) journal El Watan du 22 janvier 2019) qui « berbérise » la culture des Pharaons sans pour autant avoir des connaissances suffisantes en Egyptologie. Toutefois, nous souhaitons qu’un programme de recherche soit mis en place pour l’étude de la période pharaonique qui concerne les Amazighs.

Indépendamment de ces critiques, nous ne savons pas si dans son ouvrage intitulé les « jours  des Amazighs » (Ayyam al Amazighs) l’Egyptienne Zini a pris en compte cette période qui s’étale du IVe millénaire au Iè millénaire A.-J. Quant à nous, nous sommes plus que vigilants sur les amalgames et surtout sur la question des origines qui relève du mythe et non de la science.

En définitive, nous sommes plus enclins à prendre en considération les données historiques comme par exemple, la date des guerres libyennes (-1180 A.J.-C) pour établir une trame des événements.Il reste qu’à partir de connaissances actuelles, on peut conjecturer l’existence de deux  espaces-temps nord-africains et sahariens, l’un à l’Est et l’autre à l’Ouest qui sont successivement marqués par les événements historiques de la Méditerranée orientale et par l’incertitude (faute de connaissances suffisantes) de l’état social des Protohistoriques occidentaux de l’Afrique du Nord.

Fatah Hamitouche, ethnologue, Paris
                                      
Bibliographie sommaire

1- B. Ferré, Etude sur l’ensoleillement de la grotte Capéletti dans C. Roubet, Economie pastorale préagricole en Algérie orientale, le néolithique de traditions capsienne, exemple l’Aurès, Editions du CNRS, Paris, 1979. – Le temps de la préhistoire, Tome 1, Archéologie comparée et premier calcul du temps, Société Préhistorique Française, Paris, 1989. 
2- C. Roubet,  » Statut du berger » des communautés atlasiques, néolithisées du maghreb oriental, dès 7000 BP, L’Anthropologie, 107, 2003.
3- S. Hachi, Aux origines des arts premiers en Afrique du Nord, Les figurines et les objets modelés en terre cuite de l’abri-sous-roche préhistorique d’Affalou, Babors, Algérie (18000-11000 ans BP? CNRPAH, Alger, 2003. –  S. Chaker, Aux origines berbères. préhistoire et linguistique, Allochtonie/ Autochtonie du peuplement et de la langue berbères voir: le peuplement de l’Afrique du Nord-Sahara: les données actuelles de la préhistoire, pp 236/237, OPHRS, Paris, 2006.  
4- I. Amara, Et si la tamazight était une langue préhistorique, Actualités et Etude berbères no 27/28, Paris, Hiver 1998/99.- R. Viers, langues et écritures en Méditerranée, Editions Karthala, Paris, 2006.  
5- S. Chaker, Idem.
6- A. Leroi Gourhan, Le fil du temps, Ethnologie et préhistoire, 1920-1970, Editions Fayard, Paris, 1983.

 

Auteur
Fateh Hamitouche

 




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