23 avril 2024
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Démocrates algériens : où allons-nous ?

TRIBUNE

Démocrates algériens : où allons-nous ?

Nous sommes nombreux à nous poser cette question, atterrés et attristés que nous sommes par la communication des démocrates du Hirak. Il est incontestable que le peuple algérien, instruit de ses souffrances, a démontré son extraordinaire résilience par l’aspiration à un système démocratique malgré l’endoctrinement scolaire, la wahabisation de la société et la régression culturelle et politique des élites.

Il est certain aussi que le courant islamo-conservateur « hirakiste » tente de s’approprier ce mouvement populaire du Hirak. Les membres les plus médiatisés de ce courant le font intelligemment, avec un discours bien étudié, allant dans le sens de la volonté populaire, utilisant un ton rassembleur, rassurant, voire ouvert au dialogue et en opposition frontale au pouvoir.

Les slogans distillés restent dans le registre des revendications démocratiques même si on s’attelle à mettre en sourdine l’appel fondateur à une « Algérie libre et démocratique » et que sont testées des incursions prudentes de mots d’ordre favorables à leur doctrine. Il est regrettable que du côté du camp démocratique, mis à part une ébauche de discours en tout début de Hirak, on n’ait pas réussi à être à la hauteur de cette période historique qui nous est à l’évidence favorable. Donnant le sentiment d’être déconnectée de l’assise populaire de ce mouvement, la parole démocrate est hors-sol, confuse, péremptoire, voire agressive, obsolète et tournée vers le passé.

Souvent bloqués sur des débats anciens, les démocrates ont du mal à sortir de leurs divisions et à se déterminer sur une stratégie, sujet pourtant d’importance dans ce terrible rapport de force dont dépendra l’issue du Hirak. Se perdant dans les anathèmes, les règlements de comptes et dans des stratégies étroites et sectaires, la communication démocrate est le lieu d’expression de toutes les rancœurs accumulées, où l’on s’invective entre groupes – à qui s’est approché le plus près d’un responsable islamiste – à qui sera le premier à clouer au pilori des militants historiques du combat démocratique, etc.

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Le résultat est un discours anachronique, inaudible pour les nouvelles générations qui font pourtant l’essentiel du Hirak. Un discours portant souvent sa propre délégitimation en s’activant à mettre la lumière avec un « effet loupe » sur d’autres courants politiques que le sien, devenant contre-productif car sujet à une suspicion fractionnaire, piégeant ainsi de fait les démocrates, acculés à faire douter d’eux-mêmes et de leur rapport même au pouvoir.

Peut-on attendre de l’élite démocratique un discours renouvelé à la hauteur des attentes du peuple, transcendant, ambitieux, regardant vers l’avant, sans pour autant manquer de lucidité et de vigilance au vu des expériences et traumatismes du passé ? Peut-on tenir un discours rassembleur, généreux, inclusif et bienveillant au plus près des préoccupations des Algériens ? Peut-on rendre possible le pardon ? Car oui, il y a eu des erreurs, voire des fautes, et quasiment aucun démocrate actif dans les épreuves passées ne peut en être exempt.

Mais l’urgence aujourd’hui n’est-elle pas dans le dépassement de ces conflits ? Car les enjeux sont vitaux. Faute de quoi, le monde démocratique toutes tendances confondues sera perdant et l’espérance démocratique algérienne de nouveau remise en attente. Peut-on s’atteler à avoir une vision politique tenant compte des réalités d’aujourd’hui pour donner un espoir à la jeunesse en l’aidant à construire son avenir ? Un discours qui se recentre vraiment sur le politique avec ses concepts, ses valeurs démocratiques et de progrès, permettant d’ouvrir des chemins nouveaux comme viennent de le faire les initiateurs de la Conférence régionale de Kabylie, qui osent penser à d’autres paradigmes en explorant d’autres formes de démocratie plus adaptées à la réalité algérienne.

Ces militants travaillent pour répondre, en toute pluralité, aux deux grandes questions de l’heure, la question démocratique et la question nationale, laquelle est par ailleurs « zappée » par la plupart des démocrates contrairement au courant islamoconservateur qui en a une conception immuable et monolithique.

Peut-on surtout, en opposition au discours ambiant et dans l’intérêt des démocrates, oser le débat politique, y compris idéologique au sens noble du terme, absolument crucial dans ce moment de refondation. Comment donc résoudre un problème politique sans faire de la politique ? Le peuple algérien l’a fait, il a tranché sur un choix politique d’ordre idéologique, la démocratie, projet de société fondé sur la souveraineté du peuple adossée aux principes d’égalité citoyenne, de respect des libertés et de la pluralité.

La cohésion du Hirak qui ne serait garantie que par le « non-débat » révèle à mon sens la grande faiblesse du positionnement des démocrates. Bien au contraire, le traitement politique du Hirak et la consolidation de l’union dans la pluralité ne peut se faire que par le débat. Récuser les questions dites idéologiques au motif de risque sur le Hirak comme l’assènent certains démocrates est antinomique même de leur combat et participe à leur propre disqualification. Cette attitude promeut le populisme, entretient la confusion et favorise la désinformation, les manipulations, la suspicion et les procès d’intention. C’est cette démarche qui lézarde les solidarités et met en péril la cohérence du mouvement.

Laisser penser que toute différence est un obstacle, une aberration, voire une trahison et entretenir le culte absurde du « ni, ni, ni » (ni kabyle, ni chaoui, ni oranais, ni amazigh, ni arabe, ni islamiste, ni laïque, etc.) traduit la peur de l’autre et conduit à son exclusion. L’union ne se construit pas dans le déni ou l’évitement, elle se fera avec ces différences et pas autrement. Elle ne sera possible que par leur reconnaissance pour les assumer et les traiter équitablement dans un cadre démocratique. Le débat permet de donner une chance au politique, seul lieu de clarification des visions afin de trouver les points de convergence pour rendre possible une communauté de destin car l’union ne saurait être un préalable mais le résultat d’une construction pour le vivre ensemble.

Cette nécessaire construction se fait en marchant, et c’est une affaire du présent et non pas une affaire de l’après. Toutes les tendances politiques du Hirak veulent la chute du système, la question est de garantir le remplacement par un système démocratique comme le demande souverainement le peuple. Comment le faire sans ouvrir un dialogue large et sans interdits pour avancer sur les règles et préalables qu’exige l’exercice démocratique ?

C’est cette démarche qui clarifiera les positions des différents courants politiques qui se réclament tous aujourd’hui de la démocratie, quant au respect de ses fondamentaux, notamment de la part des islamo-conservateurs. Les craintes et appréhensions liées au passé sont normales et compréhensibles, nous obligeant à un comportement vigilant et surtout à la nécessité d’accompagner et de favoriser l’engagement politique de nouvelles générations moins traumatisées par les tragédies vécues. Il est souhaitable que les questions mémorielles soient traitées dans un cadre apaisé avec une justice indépendante mais elles ne doivent pas, aujourd’hui, entraver la recherche de solutions politiques.

Certes, la tâche des démocrates algériens n’est pas facile. Contrairement aux militants de pays d’Europe et d’Amérique latine qui ont réussi leur transition démocratique face à des dictatures, le combat algérien se complique, comme dans tous les pays musulmans, par la présence de mouvements de l’islam politique qui n’acceptent des valeurs de la démocratie que le suffrage universel qui leur permet d’accéder au pouvoir, conquis habituellement par la violence. Se surajoutent dans le cas algérien, les accointances ne seraient-ce qu’idéologiques de ce courant avec le régime algérien.

Le constat aujourd’hui est que tous ces comportements conflictuels de la mouvance démocratique, son absence de vision et son refus du débat conduisent à ce paradoxe : devant le boulevard ouvert vers la démocratie en février 2019 par le peuple algérien reprenant à son compte le cri de ralliement des démocrates des années 90, il se peut que ce soit le courant islamiste « hirakiste » réadapté à la nouvelle donne, qui réussisse progressivement à asseoir son influence et son projet sur le mouvement populaire.

Il faut dire que ce courant très discret au début du Hirak a bien grandi, aidé en cela par le pouvoir qui en a fait son principal opposant pour induire un effet repoussoir. Mais les démocrates y ont également largement contribué, soit en travaillant à rendre visibles des membres de différents tendances de la mouvance islamiste en faisant d’eux des partenaires privilégiés dans les forums et rencontres alors que le Hirak n’était aucunement dans cette demande, soit en en faisant le sujet principal de leurs préoccupations au point de négliger de développer leur propre message politique.

Ainsi cette perpétuation de l’échec de la démocratisation de l’Algérie, après tant d’occasions ratées dans notre histoire, sera imputable certes au pouvoir et au courant islamiste mais sans nul doute aussi aux démocrates qui ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, pour avoir manqué à leur responsabilité historique. Ce propos qui ne prétend pas traiter de toute la complexité du problème est peut-être naïf mais il traduit un sentiment de douloureux gâchis.

Espérons que la nouvelle génération s’affranchira des démons des aînés, qu’elle puisse croire en elle pour travailler à la constitution d’une nouvelle classe politique à même de prendre son destin en main. Qu’elle fasse en sorte que ce beau slogan « khawa khawa » ne soit ni creux ni démagogique. Qu’on s’attelle à lui donner du contenu pour signifier la reconnaissance de ce qui nous unit, essentiellement cette terre d’Algérie, mais également la prise en compte de ce qui fait notre richesse, nos différences à traiter en toute fraternité et démocratie.

Auteur
Malika Baraka

 




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