25 avril 2024
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Dérives autoritaires scabreuses de l’Etat français

TRIBUNE

Dérives autoritaires scabreuses de l’Etat français

Comment un pays pionnier de la démocratie moderne et inventeur de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, exportateur des valeurs de la Révolution de 1789 en est-il arrivé là ?

Dans le classement mondial diligenté par The Economist en 2018, la France est classée dans le groupe des démocraties imparfaites (28è derrière le Bostwana), de quoi susciter des interrogations, voire des inquiétudes sur l’amenuisement des libertés qui cède progressivement le pas à un autoritarisme d’un autre âge. La coupe serait-elle pleine ? Il est permis de le croire au vu du mouvement des Gilet jaunes.

Le contexte politique et social de ce cher pays ne nous laisse point indifférents dans la mesure où les scandales d’Etat se multiplient, les lois répressives inimaginables dans une démocratie digne de ce nom se succèdent à la-va-vite quasiment à chaque événement démocratique émaillé de violence.

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Les révélations de la presse sur le mode de gestion des affaires et scandales qui éclatent, les fichiers occultes ou secrets de fichage des citoyens, les agissements des corps constitués comme l’instrumentalisation de la justice (les parquets aux ordres), la police, notamment celle qui agit dans l’ombre…ne sont pas de nature à rassurer les citoyens. Bien que ces derniers soient accoutumés à assister aux coups tordus depuis le début de la 5ème République, ils s’interrogent néanmoins, et à juste titre, sur le devenir de notre démocratie.

Ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui « l’affaire Benalla », la gestion des manifestations des « Gilets jaunes » avec son cortège de violences inédites (douze morts collatéraux et 2200 blessés ou amputés, plus de 1700 personnes jugées et condamnées et on ne compte plus le nombre d’interpellations, on parle de 5000, 6000… ?), la « loi anticasseurs » ou encore le fichage secret, m’amènent à établir un parallèle de ressemblance troublante avec d’autres régimes autoritaires dans le monde. Dans ce contexte précis, je ne peux m’empêcher, toute proportion gardée bien entendu, de penser au régime algérien.

Etant citoyen binational, connaissant bien les pratiques judiciaires et policières répressives de l’Etat algérien, les procédés auxquels a recours la police française rappellent à bien des égards ceux pratiqués sur l’autre rive de la méditerranée.

Le syndicat de police Vigi Mi, qui a franchi le pas en se constituant partie civile dans l’affaire Benalla, est révélateur de l’état de santé de notre démocratie. Le 14 février dernier, ce syndicat a demandé au procureur général près la Cour de cassation de dépayser et instruire l’affaire Benalla hors de Paris pour éviter toute interférence du pouvoir. Cette demande émanant d’un syndicat de police en dit long sur la porosité entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Cette démarche de protestation a été suscitée en raison notamment de la nomination controversée du procureur de Paris. Les médias rapportent que c’est bien Macron qui a œuvré pour que ce soit lui et pas un autre, celui, par exemple, choisi par la ministre de la Justice.

Aussitôt nommé, il s’est mis illico à accomplir les basses besognes (la tentative de perquisitionner les locaux de Mediapart restera longtemps dans les mémoires). Voilà un exemple qui rappelle, à bien des égards, les pratiques autoritaires des républiques bananières. L’ONU, sur la base d’un rapport établi par un groupe d’experts des droits humains, interpelle l’Etat français sur les excès de violence à l’égard des manifestants Gilets jaunes ces dernières semaines. L’aurait-elle fait si la gestion des événements sociaux était respectueuse des règles démocratiques et de la personne humaine ? Certainement pas.

« Les restrictions imposées aux droits ont entrainé un nombre élevé d’interpellations et de gardes à vue, des fouilles et des confiscations de matériels de manifestants, ainsi que des blessures graves causées par un usage disproportionné d’armes dites « non létales » telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense », ont écrit les experts dans leur rapport. Ces derniers expriment également « leurs vives préoccupations sur la loi dite « anticasseurs ». Ces deux entités qui interpellent l’Etat français, Vigi Mi et l’ONU, viennent emboiter le pas aux craintes exprimées et confirmer les dérives autoritaires de l’Etat remettant en cause, au passage, le non-respect de la séparation des pouvoirs. Ils expriment également leurs inquiétudes face à une certaine forme d’autoritarisme du gouvernement français.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, tire, à son tour, la sonnette d’alarme sur le « renforcement de la répression »en France (Le Monde du 13/03/19).Ces critiques multiples à l’adresse des autorités gouvernementales, ont conduit sans nul doute, entre autres, à faire réagir le président Macron. Celui-ci compte saisir le Conseil constitutionnel sur notamment trois articles de la « loi anticasseurs », à l’étude au Sénat, considérés comme portant atteinte aux libertés fondamentales incompatible avec la démocratie. Il s’agit en l’espèce de l’article 2 sur la possibilité de procéder à des fouilles, l’article 3 sur les restrictions de manifester et l’article 6 sur la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage (Le Monde du 12/03/2019).

La saisine envisagée du Conseil constitutionnel n’est certainement pas décidée par souci de protéger la démocratie, mais bien pour amortir le choc de la critique dont fait l’objet le gouvernement français par les observateurs étrangers et nationaux, mais aussi pour apaiser le mouvement de révolte.

Quand comprendra-t-on que la réponse à ce mouvement n’est pas dans l’accentuation de la répression mais elle est éminemment politique. Il n’échappe à personne que, depuis la présidence de Sarkozy (2007-2012), on assiste à une montée de cynisme, sans vergogne ni embarras, qui entre dans une nouvelle ère sous la présidence de Macron. On est loin d’une république irréprochable tant vantée et du nouveau monde, sinon celui où les inégalités sociales se creusent davantage, et où les régulateurs d’une société plus équilibrée, hérités de la Révolution française et du Conseil de la Résistance, disparaissent les uns après les autres au fur et à mesure que le gouvernement légifère à coup d’ordonnances faisant fi des débats démocratiques du Parlement.

D’aucuns diront que le président Macron est bel et bien le président des riches mais qui a la dent dure et est arrogant, voire condescendant envers la France d’en bas, c’est le sentiment dominant au sein de la population qui apparaît quasiment dans tous les sondages.

Comment est-il possible que l’appareil judiciaire et policier français ait pu franchir le pas en constituant un fichier secret des meneurs locaux des Gilets jaunes ? Aussitôt révélé, notamment par Le Canard enchaîné, les porte-parole du ministère de l’intérieur se sont mobilisés pour démentir l’existence de ce fichier avec un aplomb qu’on leur connaît.

En effet le ministère de l’intérieur a instruit ses troupes pour recenser nominativement « les personnalités exerçant une réelle influence sur le mouvement ou se signalant par des discours ou des commentaires vindicatifs ou subversifs trouvant de l’écho sur les réseaux sociaux… ». Subversifs ? Voilà qui est dit, ce terme qui rappelle bien des moments sombres de notre histoire, qu’on a cru révolus à jamais.

On se croirait en régime totalitaire où toute personne ou mouvement de revendication des droits ou libertés est considéré comme subversif et donc une menace directe au régime. C’est exactement les termes utilisés dans le jargon du régime algérien à chaque revendication de liberté même timide depuis l’indépendance en 1962.

Mais la preuve de l’existence de ce fichier apportée par l’hebdo Canard enchaîné, a conduit les autorités à l’admettre à demi-mot, estimant qu’elles se fondent sur le décret du 16 octobre 2009. Histoire de dire qu’elles n’ont rien inventé mais qu’elles n’ont fait qu’utiliser l’arsenal juridique existant. Lequel décret a vu le jour sous la présidence de Sarkozy, soit bien avant les vagues d’attentats qui ont conduit au durcissement de la législation répressive et pénale. C’est dire les tentations de contrôler la population et par ricochet limiter les libertés publiques par nos gouvernants.

Mais comme l’article 3 dudit décret ayant donné naissance au fichier PASP, rappelé par la Cnil, stipule qu’ « il est interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes », la direction du renseignement territoriale a décidé, avec l’aval sans doute du ministère de l’Intérieur (difficile d’imaginer des policiers agir de la sorte de leur propre chef), de contourner cet interdit en demandant aux agents de ne pas alimenter le PASP, mais de lui remonter les fiches numérisées libellées « Meneurs du mouvement GJ ».

L’infraction est sans appel. D’où, entre autres, ces similitudes troublantes avec les régimes autoritaires. Par cette politique répressive, qui induit l’usage controversé et contesté du LBD, de bombes lacrymo dangereuses, des bombes de désencerclement contenant du TNT, des méthodes de flicage d’un autre âge, des méthodes musclées et d’intimidation des citoyens qui ne font qu’utiliser ce que la loi fondamentale autorise, où le nombre de policiers mobilisés avoisine celui des manifestants, sous prétexte d’empêcher les débordements de casseurs, la France n’en sort pas grandie. Cela en dit long sur la volonté de réprimer.

Bizarrement on retrouve la même politique répressive sur l’autre rive de la méditerranée. Certains diront que la France coloniale est passée par là et a laissé bien des traces du caractère centralisateur et répressif de l’Etat. Quel héritage ! Il est grand temps que les pouvoirs publics français revoient leurs réglages pour assainir et refondre l’Etat de droit, redonner à la république française sa grandeur historique et un visage plus humain ; une république respectueuse des femmes, des hommes et des faibles, qui saura se réapproprier les règles dignes d’une grande démocratie renouvelée et moderne, apaisée et plus juste. 

Auteur
Hocine Bena

 




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