16 avril 2024
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Du mot harki et de l’urgence de briser les chaînes de l’ignorance

Débat

Du mot harki et de l’urgence de briser les chaînes de l’ignorance

M’tourni, harki, simple querelle de mots ou bien fêlure profonde du ‘’je’’ narcissique et du ‘’nous’’ collectif.

Les joutes idéologico-sémantiques entre Abdellali Merdaci et Kadour Naïmi sont-elles un simple Je(u) narcissique ou bien un sous produit d’une fêlure du nous collectif. Mais avant de développer cette interrogation, il n’est pas inutile pour les lecteurs qui ne connaissent pas ‘’l’histoire’’ de ces deux mots, de leur fournir quelques infos pour savoir si ces deux mots méritent d’accéder au statut de concept sociologique, comme le sont violence légitime, éthique de responsabilité, lutte des classes etc…

Comme tout Algérien j’ai fait la ‘’connaissance’’ de ces vocables dans la langue populaire. Plus tard, en réalisant le film sur Isabelle Eberhard, j’ai lu sous la plume de cette grande écrivain le mot M’tourni dans une de ses brillantes nouvelles(fin 19e siècle). Je n’étais nullement étonné car je savais que les mots ont une histoire propre. Et certains d’entre eux qui traversent les tempêtes de l’histoire entrent dans une langue avec une connotation méprisante. Mais pour mériter ce ‘’mépris’’, il faut avoir la ‘’caution’’ de la culture populaire ou bien celui d’un locataire d’un Panthéon de la littérature. Comme le mot de Balzac qui affubla son personnage du prénom de Rastignac. Et depuis, dans la langue française, on ne dit pas un ‘’arriviste’’ mais un Rastignac, un ambitieux qui n’économise pas ses penchants veules ou serviles pour se constituer un ‘’capital social’’ dans la société bourgeoise naissante et triomphante. Chez nous les mots M’tourni et harki ont été engendrés par l’histoire coloniale avec ses cortèges de souffrances, de mépris et d’aliénation que le peuple a subi sans jamais rompre avec le socle de son être historique.

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En plus du sens de mépris que nous lui donnons, ces deux mots révèlent les tentatives vaines et infantiles du colonialisme qui a cru que la trahison d’individus allait faire tache d’huile dans la société. C’est le pêché mignon de l’idéologie biberonnée aux ‘’délices’’ de la métaphysique, de se raconter des contes de fées. Passons.

Avant de dire deux ou trois choses (1) que je sais de la fêlure du ‘’Je et du Nous’’, il faut savoir que le mot M’tourni nous est venu de la locution française ‘’tourner sa veste’’ signifiant changer d’avis, de position sociale. Chez nous, M’tourni en raison de l’histoire, c’est carrément trahir non pas sa religion mais son appartenance nationale. Car la France qui a connu des guerres de religions et inventé la laïcité, laissait les indigènes pratiquer leur religion et mêmes régler leurs affaires de mariage et d’héritage selon leurs coutumes religieuses. En revanche, embrasser le drapeau français pour prétendre à un poste dans l’administration, la France donnait avec parcimonie la nationalité française au plus méritant ,c’est-à-dire aux fidèles serviteurs (serviles) de l’Etat et de la nation, cocorico….

Quant au mot harki dérivé de l’arabe harakat (mouvement), c’est une trouvaille des services psychologiques de l’armée française qui voulaient avec ses bachaghas créer un mouvement antinationaliste pour contrer celui qui réclamait l’indépendance en l’occurrence le mouvement national (harakat el watania). Les têtes pensantes de ces services psychologiques ont pour nom Antoine Argoud et autre Yves Godard qui ont importé d’Indochine la notion de contre-insurrection après avoir lu et mal digéré les écrits sur la guerre révolutionnaire de Mao Tse Toung et du général Giap. L’origine de ces deux ‘’mots’’ (M’tourni et harki) et le contexte historique sont à l’évidence des obstacles pour accéder au statut de concept. En revanche, leur utilisation dans la langue populaire et même littéraire, c’est un hommage au peuple qui cultive la mémoire pour combattre ainsi l’oubli d’une période qui a généré des blessures que nous portons encore. Blessure, fêlure, crise de l’identité ont très vite surgi sur la place publique une fois le rêve d’indépendance s’est peu à peu évaporé.

La polémique entre Merdaci et Naïmi n’est donc pas une nouveauté. Elle renoue avec des débats où les protagonistes évitaient de sortir l’artillerie de la subjectivité égotique pour se concentrer sur les paramètres et autres variables des faits historiques, sociaux et culturels pour comprendre d’où nous sortons et où nous allons, ( »où va l’Algérie » titre prémonitoire écrit en prison par Mohamed Boudiaf au lendemain de l’indépendance). Il est plus intéressant, s’agissant de la fêlure du ‘’Nous’’ collectif  de cerner les facteurs qui vont servir de moteur à la société que de s’appesantir uniquement et lourdement sur ses propres mérites et les erreurs du protagoniste. Oui plus intéressant de se focaliser sur le tourbillon d’un présent cadenassé par une certaine logique politique et des formes de ‘’pensée’’ handicapante. Ce tourbillon et ces handicaps ont produit leurs effets qui ont pour nom sociologique (émigration de bras et cerveaux), poétique (dur métier que l’exil) roulette russe (haragas) etc…

Orphelins d’une histoire que nous lisons avec des yeux désabusés (2) par le spectacle que nous offrons à nous-mêmes et qui nous désignent comme des parias à chaque passage d’une frontière étrangère. Pour nous éviter ce triste spectacle, ne faudrait-il pas regarder notre société et le monde autrement ? Nous regarder pour faciliter la (re)construction de notre image. Dans cette tâche titanesque, se débarrasser des archaïsmes politiques, sociaux et du charlatanisme comme sève de la ‘’culture’’. Comme dirait Jean-Luc Godard, faire en sorte que la métaphore de ‘’c’est juste une image’’ devienne ‘’une image juste’’. J’utilise la métaphore de Godard car dans le cinéma une image juste est une image très travaillée pour qu’elle ait du sens. Et ce travail est tributaire du regard de l’auteur, regard alimenté par une vision du monde lequel va déteindre sur le savoir faire technique…

Position de la caméra, cadrage des images, lumière, musique et sons, montage etc… C’est cette dialectique entre les éléments de l’image juste qui nous fait défaut. Et dans ce désert à la fois politique et culturel, nous sommes désarmés. Alors on se hasarde dans des contrées lointaines et on voyage dans des histoires qui n’ont rien à voir avec la nôtre. C’est cette image abimée qui empêche beaucoup d’entre nous de cerner sereinement mais aussi rigoureusement ce qui se cache véritablement derrière les notions de l’exil, du changement ou de l’acquisition d’une autre nationalité (3).

Pourquoi nous rencontrons des Américains, des Anglais, des Italiens s’installant dans un autre pays et prendre sa nationalité sans que cela devienne un drame pour eux ou pour leur entourage ?  Et l’inverse est tout aussi vrai. Tout le monde pensait que le grand comédien Lino Ventura était français jusqu’au jour où il déclara à la télé devant le journaliste ébahi qu’il était Italien et qu’il n’avait l’intention de changer sa nationalité. Pourquoi n’avons-nous pas la même ‘’chance’’ que ces nationalités auxquelles je fais allusion ? Ces dites nationalités ne sont pas regardées en France comme nous le sommes, l’histoire évidemment est passée par là. Mais la seule explication qui vaille, c’est de faire appel à l’intelligence de l’histoire, c’est-à-dire comprendre le pourquoi des murailles qui bouchent notre horizon. Oui comprendre pour briser les chaînes de l’ignorance et sous la lumière de cette intelligence de l’histoire, nous avançons sans peur pour reprendre une image chevaleresque. Oui l’intelligence de l’histoire pour apprendre à mieux naviguer dans la tempête. Et au milieu des vagues déchaînées, il n’est pas interdit de faire la différence entre le nationalisme qui vire au chauvinisme et le patriotisme comme rempart contre tout voleur de terre. Il n’est pas interdit non plus de cultiver l’utopie du citoyen du monde en évitant le dogmatisme qui obscurcit le ciel et empêche l’être humain de naître sous une belle étoile.

A. A.

Notes

(1)   ‘’Deux ou trois choses que je sais d’elle’’ film de Jean-Luc Godard où l’héroïne du film se prostitue pour arrondir ses fins de mois et profiter des délices de la société de consommation.

(2)   Les attitudes désabusées, on le voit dans les commentaires de lecteurs qui vivent mal cette fêlure, la leur et celle de la société. Leurs réactions, ironiques ou violentes et parfois méchamment vulgaires nous indiquent la profondeur du mal qui ronge le pays.

(3) je laisse de côté le cas des ouvriers venus gagner leur vie et dont les enfants nés en France bénéficient automatiquement de la nationalité française en vertu du droit du sol.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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