19 avril 2024
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El Milia : les enfants des revenants Ouled Aidoune

REGARD

El Milia : les enfants des revenants Ouled Aidoune

Tenter de ressusciter l’histoire lointaine de Kabaïl Hadra, une région meurtrie par ses combats incessants et héroïques contre les envahisseurs de l’Afrique du Nord, relève d’une action, certes risquée, mais courageuse.

Certains, on le voit déjà d’ici se presser pour évoquer, avec ironie, le caractère chimérique. Le début de l’invasion des Arabes de la terre sacrée des territoires berbères, mérite que l’on s’y penche davantage, pour rapporter les prémices d’une histoire écrabouillée par les vicissitudes volontaires d’une politique de l’oubli.

Retirer la poussière des siècles sur l’histoire de la région, d’Ouled Aidoune, longtemps ignorée et ravagée par des blessures indélébiles, n’est pas une démarche aisée, à cause du manque manifeste d’écrits historiques. Même pour ceux d’entre nous, dotés d’une volonté résolue ; tenter de faire sortir de l’ombre l’histoire des Ouled Aidoune, semble, à juste titre nécessaire, même si les éléments de base reposent sur des bribes des rares récits et des légendes écornées par le temps et l’imprécision de la tradition orale. 

La tradition orale est un outil d’expression qui forgea la mémoire culturelle des berbères et qui de surcroît fut un support de communication de la vie quotidienne et du transfert d’idées entre les tribus. Mais la tradition orale ne suffit pas pour cerner la vérité avec la justesse exigée que demande la véracité et la validation des faits historiques.

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La formulation du contenu des légendes, certes, élégante, lumineuse, raffinée et souvent lyrique, reste généralement souvent évasive et pauvre en détails. La seule certitude que nous tirons de ces légendes, c’est la célébration et glorification des moments d’héroïsme, de courage et d’amour.

Il suffit, alors, de créer un filtre pour exposer les légendes à la lumière de leurs contextes en comparant, minutieusement, les faits historiques connus et avérés, pour aboutir à une crédibilité évidente et probablement sans conteste. C’est sur cet évident procédé que le mot «El-Harika» nous est apparu et finalement sorti du lot.

Le mot « El-Harika » n’est, donc, pas un terme banal, il authentifie, certes, les incendies en arabe, mais associe et véhicule, avec plus ou moins de certitude, des événements qui eurent pesés sur un quotidien dramatique et tragique des tribus d’Ouled Aidoune. Le mot « El-Harika » a traversé les siècles pour arriver jusqu’à nous parce que sa symbolique avait marqué durablement les esprits de l’époque. Mais, que signifie-t-il ?

Par le passé et encore aujourd’hui, à Constantine ce mot est utilisé pour désigner les tribus des Ouled Aidoune et plus précisément les habitants de la région d’El-Milia. L’actuelle Constantine qui fut la capitale de la Numidie orientale sous le nom de berbère de Kirtha, puis celui de Cirta sous la domination des Romains, avait gardé des rapports anciens et parfois conflictuels avec les peuplades montagnardes et mitoyennes des tribus rebelles de la région d’El-Milia d’aujourd’hui.

Le terme « El-Harika » est avéré et semble être crédible, venant apporter un témoignage sur un fait qui eut marqué les esprits de l’époque. A tel point que les berbères de Constantine le mémorisèrent pour faire un fanion de mépris. « El-Harika » a été certainement écorché, sublimé de son sens et même travesti aux goûts des circonstances. Mais c’est le seul mot qui nous est parvenu de si loin. 

Arrêtons-nous un moment pour séparer le bon grain de l’ivraie. Aujourd’hui, la signification de «El-Harika » communément reconnue par les Constantinois, semble désigner la caractéristique particulière de prononciation du Q et le K des El-Miliens. La remarque sur l’accent nasillard et sur le mot « El-Harika » comme insulte n’enchante pas, particulièrement, les El-Miliens. 

Il est perçu par ces derniers, jusqu’à nos jours, comme une méprise et une insulte qui signifie au sens péjoratif : « le montagnard bouseux » aux yeux des citadins Constantinois. Mais, revenant à la prononciation phonétique citée ci-dessus. En effet, le K prononcé en Q n’est pas spécifique uniquement aux El-Miliens. Cette façon de parler est commune à toute la région de Jijel. Et pourtant les Constantinois persistent à désigner par cette appellation de « El-Harika » les seuls habitants d’El-Milia.

Certes, El-Milia est le centre des Ouled Aidoune et par conséquent, on peut déduire que le terme « El-Harika » ciblait uniquement un événement marquant, relatif à la spécificité, des tribus de cette région. D’ailleurs, El-Milia n’existait pas à l’époque. Force est de constater que « El-Harika » conduit à désigner, en toute logique, un événement historique qui a bouleversé la région de Ouled Aidoune qui fut un ensemble de tribus indépendantes les unes des autres, perchées sur des montagnes avec une forêt dense et sauvage. 

La seule explication qui semble crédible, et à laquelle il faudra attacher le mot, reste sans doute, la référence au terme de « terre brulée » imposée par les tribus des Ouled Aidoune pour stopper l’invasion galopante des armées conquérantes arabes, qui déferlèrent sur l’Afrique du nord au 7eme siècle après J.C.

Les documents historiques existent et confortent cette explication. On se souvient à cette époque, que la reine berbère El Kahina (Dyhia) et Koceila (Aksel), menaient une résistance des plus farouches aux envahisseurs arabes. Ils ordonnèrent aux tribus berbères de pratiquer la terre brûlée, comme modèle de défense, afin de contrecarrer l’avancée de l’invasion arabe. Cette résistance dura 53 ans.

Dont acte, même si les arabes furent vainqueurs, après une résistance héroïque menée par les tribus berbères de Ouled Aidoune, cette tactique priva les arabes des ressources comme le blé, l’orge ou le foin, freinant leur logistique de guerre et bloquant pour un temps l’avancée de leurs troupes.

Face à cette résistance et grâces aux barrages imposés par d’immenses incendies, durant tous les mois de juillet et d’août, dans les forêts, les troupes arabes se replièrent sur la Tunisie et revinrent à Kairouan pour un temps afin de contrer cette tactique à laquelle, ils n’étaient pas préparés, et de reconsidérer leur logistique de guerre. Ceci fait, ils revinrent en force pour écraser avec une violence, sans scrupule aucun, la résistance des tribus Ouled Aidoune.

La bataille fut des plus féroces et finit par un carnage qui avait littéralement vidé les territoires de la région de ses hommes. Puis, vint l’occupation actée des territoires conquis par les troupes arabes, de Okba ben Nafaa, en perpétrant un génocide qui n’a jamais dit son nom. Si les têtes coupées peuvent témoigner, aujourd’hui, El-Milia serait un grand cimetière.

Cette victoire des arabes sur les Ouled Aidoune, n’a été possible que grâce à la prudence des chefs arabes, de mettre en garde leurs troupes, afin d’éviter le piège de « El Haraïk », terme qui signifie en arabe les incendies. Dans notre cas précis, il s’agissait, certainement, des feux virulents des forêts denses, riches en chêne liège et des champs de récoltes, sciemment provoqués comme stratégie de défense : « La terre brulée ». Imposée par El Kahina et Koceïla. Une stratégie payante car elle a permis, dans un premier temps, de faire barrage à l’invasion arabe de l’Afrique du nord.

Les tribus berbères des Ouled Aidoune, pour avoir résisté courageusement à l’occupation de l’Afrique du nord et surtout pour avoir défié les arabes afin de préserver leurs biens, leur liberté, leur culture et leur modèle de vie, se heurtèrent à une violence barbare de la part des conquérants arabes. Une vengeance irraisonnée par son caractère barbare. Ces derniers éliminèrent tous les hommes adultes et enfants âgés plus de neuf ans.

Un génocide qui détruisit tout sur son passage, les hommes, les biens, les champs, les oliveraies…. Un massacre qui avait créé pendant longtemps un grand vide et plongea les tribus des Ouled Aidoune, retranchées sur les flancs escarpés des versants des montagnes, dans une misère sévère. C’est finalement cet événement qui a marqué les esprits et fut désigné par les berbères constantinois du « Drame des El-Haraik ».    

Le premier nom désignant les tribus berbères, de ce qu’on appelle aujourd’hui, El Kabail el Hadara, fut celui « d’El-Haraik », avant qu’on lui attribue dans un deuxième temps, toujours par les arabes, le nom de « Kabail-El-Hadara » et finalement Ait Aidoune (Ouled Aidoune). Après avoir martyrisé, dépossédé et mis à genoux les tribus berbères de la région d’El-Haraik. Les envahisseurs arabes découvrirent avec étonnement le mode de vie des vaincus, avec des infrastructures importantes mises en place par ces berbères.

Les Arabes allèrent de surprise en surprise face au savoir-faire des hommes et des femmes berbères, à l’instar du génie de la gestion de l’eau basée sur des systèmes simples et efficaces d’irrigation des champs.

Les magnifiques réseaux de la gestion des eaux usées des toilettes, dont les canalisations enfouies sous terre, avec la facilité de l’écoulement des eaux, par la descente des flancs des montagnes, qui se déversaient sur les bords des Chaâba et des Oueds en occurrence Boussiaba et Oued El Kébir. Cette façon de cantonner les femmes à l’intérieur des maisons en préservant leur intimité fascina, outre mesure.

Le hammam, avec des procédés intelligents des chaudières, l’idée de discrétion des toilettes et leurs canalisations, la gestion intelligente de l’irrigation des champs, les sciences agricoles et l’organisation d’un système social basé sur la solidarité. Toutes ces découvertes, finirent par faire admettre aux arabes la supériorité d’un peuple pour lequel, ils fondèrent à tort, au départ, des jugements ubuesques et méprisants à son égard. Un peuple ignare, païen, méconnaissant les vertus de leur religion : l’islam.   

Aux yeux des arabes, le degré de compétence de ce peuple méritait, plutôt, une grande reconnaissance. Les techniques et savoir faire des berbères n’étaient pas tombés, comme ça, du ciel. Ces connaissances étaient, notamment, le fruit d’un héritage, essentiellement transmis, par la présence romaine qui datait du premier siècle av. J-C.

Les ruines romaines de la plaine de Bellara, des montagnes de Sidi Maarouf et celles de Tanefdour attestent d’une forte présence romaine dans les régions d’El-Milia et Collo.  

Ainsi, les arabes apprirent beaucoup des Amazighs et finirent par les considérer à leur juste titre jusqu’à les désigner de « Kabail El Hadara » : Les tribus civilisées dont les limites se situent dans la partie orientale de la petite Kabylie. 

C’est ainsi que les tribus berbères des Ouled Aidoune, affaiblies par la virulence des batailles, appauvries par la perte massive de leurs hommes et réduites à l’état d’esclavage par leurs soumissions à la pratique des lois imposées aux mécréants, se voyaient pourtant glorifiées d’un nouveau nom flatteur : « Kabail El Hadara » en hommage à leur génie et leur courage. Ils passèrent de « El-Haraïk » à « Kabail El Hadara ».

Pour la première fois une région d’Afrique du nord a été surnommée de « EL-Kabaïl», en arabe cela veut dire les tribus, en berbère Adchor. Le terme Lkbail ou plutôt kabyle, version française, a été attribué pour la première fois, par les arabes, à l’entité berbère de Ouled Aidoune. Le terme Kabyle était, véritablement, né à Ouled Aidoune dans les confins de la région qui englobe, aujourd’hui, tout le territoire de la ville d’El-Milia, la partie des territoires allant jusqu’à l’Est de Collo et enfin une partie de la région vers l’ouest jusqu’à Jijel. 

La violence et l’acharnement avec lesquelles les arabes et les nouveaux convertis à l’islam, leurs commis, avaient entrepris les compagnes d’arabisation, ajoutèrent une hostilité sous forme de résistance masquée, des tribus de Ouled Aidoune. Ces compagnes avaient duré 12 siècles, pour s’achever, enfin, au 19e siècle. La résistance de ces tribus mérite un grand respect et une grande reconnaissance quand on constate que les tribus des Ouled Aidoune avaient conservé, jusqu’à nos jours, la spécificité de l’accent de leur langage. Certes, leur langue d’origine le Tamazight a été vidée de sa substance et réduite, désormais, à quelques bribes de mots berbères, beaucoup de mots arabes et enfin des mots Français. 

L’appellation des Ouled Aidoune viendrait de l’arabe qui veut dire « Oua ya idoune » : En français « Ils reviennent ».

La légende raconte que sous la dynastie des fatimides créée, en petite Kabylie actuelle en Algérie, par l’association des tribus berbères des Kotama et des chiites partisans de Ali le gendre du prophète Mohamed (SSSL), aux environs de 969 après J.C, cette dynastie déménagea pour aller s’installer en Egypte. Lors du départ d’Afrique du Nord, ils emportèrent beaucoup de jeunes berbères de Kabail El Hadara dont la qualification était architectes, constructeurs ou maçon afin de participer à la construction de la nouvelle ville du Caire en Egypte.

Afin de rassurer l’inquiétude des familles de l’exil des jeunes architectes et maçons, berbères. Les arabes de la dynastie fatimide promettaient leurs retours des lors que leurs missions de transmission du savoir seraient achevées : « Oua ya idoune ». Cela signifie ; et ils reviennent. A partir de ce moment on appela les descendants des berbères exilés en Egypte : « Ait Aidoune » ou « Ouled Aidoune » ; Les enfants des revenants. 

Cet article rend hommage à ce premier peuple berbère, pour sa résistance, pour son courage, pour son dynamisme, pour son savoir-faire, pour sa fierté, pour sa culture ancienne depuis le temps des Numides et jusqu’à leurs descendants, les Kotama. Il faut aussi lui rendre justice pour son rôle dans l’engagement avec bravoure dans des rébellions déterminantes pour la défense de l’Afrique du Nord et particulièrement dans la résistance héroïque menée par la wilaya II, pour le recouvrement de l’indépendance de son pays : l’Algérie.

Auteur
Boucherit Abdelaziz 

 




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