28 mars 2024
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Joséphine Baker au Panthéon : mythes et réalités

Joséphine Baker

Joséphine Baker, durant l’année 1956 en pleine guerre d’Algérie, adopte dans un orphelinat d’Alger deux poupons prétendument arrachés lors de l’embuscade de Palestro, dont Brahim (Brian Bouillon-Baker), le petit Berbère, orphelin à la suite de la guerre d’Algérie, et Marianne Bouillon Baker, née sous X d’une mère de colons français d’Algérie.

Joséphine Baker n’a jamais vraiment critiqué la domination coloniale française ni d’ailleurs la guerre d’Algérie qu’elle a pourtant vécue, contrairement à une vraie militante anticolonialiste et féministe, en l’occurrence Gisèle Halimi. Fervent soutien du général de Gaulle pendant la guerre d’Algérie, elle s’est battue contre l’Allemagne nazie, la ségrégation raciale et la défense des droits civiques aux Etats-Unis, mais n’a pas directement condamné le colonialisme français de l’époque ni le racisme qui sévit en France envers les noirs et les arabes et dans les colonies. On panthéonise toujours pour de mauvaises raisons à quelques mois de la campagne présidentielle. Et c’est quoi ce choix très politique d’un Président de décider de panthéoniser qui il veut, en cherchant quoi, en espérant quoi ?

Le président Macron préfère l’entrée au Panthéon, le 30 novembre 2021, d’une résistante franco-américaine, chanteuse, danseuse de cabaret, espionne, sous-lieutenant des Forces françaises libres en Algérie, à d’autres femmes noires anticolonialiste issues de cette République française. La France qui applaudissait Joséphine Baker était aussi celle qui opprimait les peuples colonisés, les exhibait dans des zoos humains et pratiquaient toujours la torture, la guillotine et les travaux forcés dans les colonies. 

Pourtant si l’on devait honorer des femmes de l’ombre, la mulâtresse Solitude : icône très célébrée en Guadeloupe et figure emblématique de la résistance des esclaves noirs, a bien mieux sa place au Panthéon car française, au lieu de Joséphine Baker, franco-américano-africaine. Des femmes noires de France à panthéoniser, on peut en citer aussi : Heva héroïne marronne de la Réunion, Claire marronne de la Guyane, Sanité Belair lieutenante haïtienne, Paulette Nardal ou les sœurs Nardal et Suzanne Césaire. Ce sont des femmes noires françaises oubliées de l’histoire qui ont lutté pour la liberté face au système esclavagiste, elles ont combattu contre la France colonisatrice, mais on ne sait pas grand-chose de ces combats.

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Mais non on préfère l’image des Afro-Américains en France aux Noirs français de la métropole. Joséphine Baker préfère s’intéresser au racisme contre les Noirs et les droits civiques des Américains, ce qui n’est pas le cas lorsque ce racisme se déploie en France hexagonale ou en terre coloniale.

Joséphine Baker va animer de belles soirées de chants sous les paillettes et les costumes extravagants dans ce triste monastère qu’est le Panthéon, faire danser à demi-nue, vêtue d’une ceinture de bananes, des illustres personnages, des penseurs, des scientifiques, des généraux d’Empire, côtoyer bientôt Jean Moulin, Marie Curie, Germaine Tillion, et serrer dans ses bras le chantre de la négritude Aimé Césaire. 

C’est dommage de gâcher cette panthéonisation pour cette femme extraordinaire qui a marqué le XXe siècle par son talent, son dévouement et son engagement pour avoir dénoncé la montée du racisme, la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Sans oublier son rôle durant la Résistance, son antinazisme, l’icône des Années folles de la ville-lumière, «la Perle noire» ou «la Vénus noire», la bisexuelle ayant adopté douze enfants, des orphelins et des orphelines qui composent la «tribu arc-en-ciel», de nationalités et de religions différentes venus du monde entier. 

Le 15 janvier 1941, Joséphine quitte la France pour l’Algérie, où l’attend un certain nombre de «missions». A Alger capitale de la France, sous la présidence du général de Gaulle, Joséphine va donner sa première soirée en terre libre. C’est son amant et couverture Jacques Abtey, chef du deuxième bureau du contre-espionnage français qui va l’engager comme «honorable correspondante». Titulaire d’un brevet de pilote, elle rejoint, pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, les IPSA (Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air).

Engagée le 23 mai 1944 pour la durée de la guerre à Alger dans les formations féminines des Forces aériennes françaises libres en Algérie. Elle devient alors sous-lieutenant, rédactrice première classe, échelon officier de propagande. Abtey rapporte la rencontre de Joséphine Baker avec le général de Gaulle en octobre 1943 lors d’un gala à l’Opéra d’Alger : «A l’entracte, de Gaulle aurait fait venir la chanteuse dans sa loge et lui a remis une petite croix de la Lorraine, cadeau du général.» On rapporte aussi qu’il a été sensible à ses charmes et que par la suite ils ont entretenu une «relation particulière». 

Octobre 1944, Joséphine Baker est de retour à Paris, où elle fera des galas au secours des sinistrés et pour remonter le moral des soldats. 

En 1966, à l’invitation du gouvernement algérien, une réception est donnée à l’ambassade de France à Alger en l’honneur de Joséphine Baker. Brian (Brahim, l’enfant adopté) rapporte dans son livre Joséphine Baker l’universelle : « Le président Boumediene, sourire carnassier à la Rastapopoulos, entouré de sa garde rapprochée d’officiers au faciès tout droit sortis d’une bande dessinée. Le toast porté par ce dernier en son honneur, ‘’à la grande artiste du tiers-monde’’, tout de même un peu compromise avec des représentants de l’Etat gaulois-gaulliste lors d’événements’’ passés ayant abouti à l’indépendance du pays.» Ainsi Boumediene qui reçoit avec tous les honneurs sa maman, Brian, l’Arabe indigène, le café au lait sorti tout juste des mechtas, le considère en le comparant au personnage fictif de Tintin Rastapopoulos d’être le génie du mal, le riche criminel…

Brian préfère Emmanuel Macron qui lui dit, au cours de leur entretien à l’Elysée, que c’est sa «grand-mère chérie qui l’a initié au music-hall… et connait même tes films qui ne sont pourtant pas de sa génération ». Boumediene n’a connu que la guerre, ses aïeux étaient de farouches cavaliers ayant participé à la révolte de 1871 et sa famille, issue de paysans pauvres, est guerrière. Il n’a connu ni music-hall, ni cabaret, ni films pornos, à part les événements sanglants du 8 Mai 1945 à Sétif.

Joséphine aurait honte de son fils et de sa description du président algérien, lui l’adopté sorti de la misère d’une mechta devenu grand lecteur de Tintin !

Jean-Claude Bouillon-Baker, le frère de Brian, rapporte dans son livre Un château sur la lune : « Le soir même, une réception est donnée à l’ambassade de France en l’honneur de maman. Le président Boumediene est là. Visage chevalin, osseux, avare d’expressions, malgré le costume et la cravate, il a gardé cet aspect maquisard du djebel qui se fond dans le décor. Il y a un côté passe-muraille chez cet homme de 47 ans. Il sourit, montre des dents jaunes, allongées comme son visage. Il lève son verre de jus de fruit et propose son toast à la ‘’grande artiste’’, au tiers-monde, puis finalement à la ‘’grande artiste, depuis très longtemps, du tiers-monde’’… » 

« Le passe-muraille et les dents jaunes allongées comme son visage » est un président de la République algérienne à qui on doit respect et ne mérite nullement cette hideuse description, lui qui vous a invité et reçus avec tous les honneurs et son admiration à l’égard de votre maman. Osez critiquer le président Macron qui pour des raisons électorales va permettre à votre maman son entrée au Panthéon et surtout n’oubliez pas qu’elle devenue une SDF par une France indifférente à son sort et non reconnaissante, lors de son expulsion du château des Milandes. Votre mémoire est défaillante pour un orphelin de la République, juste de l’opportunisme et un manque d’humilité et d’honnêteté intellectuelle.

Son entrée au Panthéon n’est pas « incontestable » ! Sixième femme à y accéder et première femme noire. De la ceinture de bananes au cabaret. Du cabaret au Music-Hall. Du Music-Hall au SDF. Du SDF au Panthéon. Trop triste son ascension et sa déchéance ! Abandonnée par la France. Le symbolique et le beau n’ont pas de raison d’être, même si elle a été une militante des droits civiques des Afro-Américains, son soutien à Martin Luther King, la Résistance, son amour pour la France et son silence sur les peuples colonisés et les « événements de la guerre d’Algérie ».

 Triste aussi la fin de cette grande à dame de terminer SDF le jour de son expulsion du château des Milandes au cœur de la Dordogne. Il faut voir la «photo de la misère» prise en février 1969, on découvre à la place d’une immense artiste, une femme sans âge, vieille, des cheveux crépus clairsemés, assise sur le perron, en robe de chambre, anéantie sur les marches de sa maison dont elle vient d’être expulsée avec quelques affaires, un carton détrempé (une pluie fine ce jour)… C’est l’image la plus terrible de son existence. A la rue avec sa smala adoptive, Joséphine Baker trouve refuge à Roquebrune-Cap-Martin, l’ancienne égérie de Hitchcock devenue l’épouse du prince Rainier III de Monaco l’installant «à vie» avec ses enfants, dans une villa, à deux pas du Rocher.

Aucune réponse de la part de ses nombreux amis pour l’aider, sauf de Brigitte Bardot qui a apporté un soutien moral et financier. Son idéal d’une France reconnaissante est foulé aux pieds, elle la résistante, l’icône et déesse du music-hall, la militante des causes perdues. Aucune aide ou réaction de la France pour cet honorable espion au service du colonialisme français.

On peut se demander comment la première star noire à l’échelle mondiale, l’une des plus extraordinaire de son époque, qui a connu la gloire, proche du général de Gaulle et qui a côtoyé des chefs d’Etat, des artistes, des anticolonialistes, en est arrivée là et jetée en pâture à tous les «voyeurismes». L’ingratitude, la cupidité, la méchanceté ont eu raison d’elle. Son message universel de fraternité, d’antiracisme, de résistante et son amour pour la France n’ont servi à rien !

 La «fille de l’air» déposa définitivement les armes le 12 avril 1975, à l’âge de 68 ans. La seule récompense aux services rendus à la France : un écriteau au cimetière marin de Monaco spécifiant : «Concession en voie d’abandon».

Joséphine Baker est panthéonisée par le président Macron le 30 novembre 2021. Trop triste son histoire pour cette femme qui a toujours défendu la Fraternité Universelle. Sa panthéonisation ne va pas la faire revivre, ce n’est que du politique masqué et du music-hall pour un Président déjà en campagne pour une nouvelle réélection, en cette période d’incertitude, de tensions et de gravité.

Joséphine Baker au Panthéon, l’instrument idéal qui permet à la France d’effacer les problèmes de 2021, de toucher à la question noire française, tout en l’évitant avec toujours un pas de côté, de biais, de ne trouver aucune solution aux crises sociales suite aux vagues de protestations extrêmement fortes dans les Antilles françaises qui durent depuis plusieurs mois, d’éviter toute discussion  l’indépendance des pays outre-mer. 

Le symbole n’est ni fort, ni beau, ni suffisant plutôt ambigu. Un choix qui interroge mais « pratique pour la France » qui peut susciter des interrogations ? C’est dans l’air du temps, comme l’a si bien dit mon fils, préférant écouter la chanson culte du rock français de Alain Bashung « Osez Joséphine », un hymne à la liberté et au féminisme.

Omar Flici, Docteur en médecine, gynécologue-obstétricien

Bibliographie

Jacques Pessis : Joséphine Baker, inédit. Éd. Folio, 2021.

Catel Muller et José-Louis Bocquet : « Joséphine Baker » BD biographique. Éd. Casterman, septembre 2021.

Brian Baker : Joséphine Baker l’universelle, Ed. Du Rocher, novembre 2021

Brian Bouillon-Baker avec Gilles Trichard : Joséphine Baker : Le regard d’un fils.    Ed. Patrick Robin, 2006

Jean-Claude Bouillon-Baker : Un château sur la lune Les rêves de Joséphine Baker. Ed. Hors collection, 2012.

Jacques Abtey : La guerre secrète de Joséphine Baker. Éd. Paris, Siboney, 1948.

Jacques Abtey : 2° bureau contre Abwehr. Éd. La Table ronde, 1966.

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