25 avril 2024
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 « Hirak 2019 » : une caisse de résonance pour les sourds (*)

OPINION

 « Hirak 2019 » : une caisse de résonance pour les sourds (*)

L’organe officiel de l’Armée nationale populaire (ANP), El Djeich, atteste, via son éditorial du mois de mai, que les militaires du premier cercle n’entendent pas accepter la période de transition réclamée à cor et à cri, qu’ils sanctuariseront le ferment constitutionnel dans l’optique d’incuber la présidentielle fixée au 04 juillet, de faire passer la pilule amère, d’acclimater l’opinion à un cas de force majeure, de canaliser les leviers d’une cooptation suprême endiguée sur les rails des «solutions disponibles et possibles», traverses lissées que quelques comploteurs du chaos tenteraient insidieusement de piéger.

Commuter le scénario du pire incite les opérateurs de la manœuvre dilatoire à se servir de cet autre adjuvant psychologique qu’est le risque d’effondrement économique, lequel épouvantail entraîne, par psychoses interposées ou entraves manigancées (exemple, retards ou rétentions des paiements), des mouvements de grève, donc une déstabilisation en chaînes.

Confiné en zone de confort, Ahmed Gaïd-Salah surfe sur la moindre opportunité pour brandir le bâton de pèlerin en mesure de remettre sur le chemin de halage les brebis égarées, n’arrive en réalité pas à desserrer les boulons de son carcan mental, à se mettre au diapason de millions de marcheurs exécrant un système monopolistique aux déclinaisons réticulaires puisqu’évoluant, telle une pieuvre, sous couvert de ramifications d’obédiences maffieuses.

Ancrées en « État profond » depuis plusieurs décennies, les branches nébuleuses allaitent des circuits clientélistes transnationaux aux enjeux si colossaux, que le vice-ministre de la Défense en réfère d’abord au proche entourage militarisé avant de cautionner telle ou telle option.

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Ne symbolisant que la partie émergée de l’iceberg, il ne légifère pas seul de la traçabilité à suivre, ce qui explique aussi une posture ambivalente l’obligeant à pianoter sur deux registres contradictoires, à garder en quelque sorte deux fers au feu afin donc de contenter les gradés uniformes accaparés à tracer l’itinéraire constitutionnel. Celui-ci rassure d’une part leurs partenaires étrangers (avec lesquels ils se répartissent des intérêts communs) et d’autre part une communauté internationale prise à témoin et censée à fortiori décoder ce message protocolaire : «En maintenant le cap du processus institutionnel, nous respectons et structurons la trame légaliste ».

Ce positionnement rigoriste consolide l’assise d’un Haut commandement persuadé que la plupart des retardataires opteront en faveur de la date calendaire butoir. La fin justifiant les moyens, il emploiera la panoplie des subterfuges à portée de main, ce que ne comprend pas encore suffisamment le panel des leaders politiques, en premier lieu Louisa Hanoune. Convaincue que la négation du cinquième mandat n’est pas identifiable à « (…) un Hirak, (mais à) un processus révolutionnaire » (L. Hanoune, in L’Expression, 30 av. 2019), la pasionaria du Parti des travailleurs croit que « la majorité écrasante du peuple décide », que, par quantité unitaire et déterministe, elle pèsera sur le cours des choses, qu’il est vain et illusoire de rencontrer directement les ordonnateurs du sommet. İgnorer ce tête-à-tête constitue une des fautes cruciales de la récalcitrante trotskyste.

À la question posée «la solution réside-t-elle dans (cette) issue ? », elle répondra d’ailleurs, «pourquoi négocier avec l’armée ? (…). Qu’ils s’en aillent tous, et après on discutera de la solution (qui) réside dans l’élection d’une Assemblée nationale constituante (…).

En somme, c’est à la majorité de choisir ses représentants (et) aspirations démocratiques ». Ce cas de figure présage d’un long statu quo, d’autant plus pérennisé que les secondes consultations envisagées le 30 avril renvoient à l’échec cuisant de celles voulues sept jours avant du côté de l’intérimaire Président. Le vis-à-vis entre l’opposition plurielle et l’état-major est une proposition que nous avions émise antérieurement et à laquelle se sont depuis ralliés nombre de protagonistes, notamment Nacer Djabi et Soufiane Djilali.

Méfiant à l’égard des visages médiatisés et grimés en missionnés «(…) cachés du pouvoir», le président de Jil Jadid rejette la nomination de mandatés et préconise depuis le 07 mai de convoquer la hiérarchie militaire à la table des ententes cordiales. L’invité de la radio « Chaine 3 » admettait qu’«après 12 semaines de manifestations, il devient compliqué de trouver un rapide débouché» et osait en conclusion interpeller ces « Véritables détenteurs du pouvoir » que s’apprêteraient à voir également Abderrazak Makri, Ali Benflis et Abdellah Djaballah (une information d’Algeriepart, à vérifier car provenant d’un webzine aux scoops parfois fantaisistes, voire bidonnés). Ce n’est pas individuellement mais en collectif qu’il s’agit de faire plier des G.G (Grands Gradés) au dessus des lois ou décrets exécutifs et judiciaires, à l’intersection des dépouillements maquillés et des marchés générateurs de malversations ou trafiques en tous genres.

Sous couvert du Cadre (constitutionnel), ils s’appliquent à reconduire un régime que Nacer Djabi juge irréformable de l’intérieur, car son personnel rentier « (…) refuse tout changement, ne s’imagine pas en dehors du pouvoir (…)» (Nacer Djabi, in El Watan, 07 mai 2019). İl recommande par conséquent de voir «ceux qui (le) détiennent (en l’occurrence), l’état-major ». Perplexe, le sociologue doute que ses membres cèdent devant l’impulsion populaire, que celle-ci puisse entraîner le renversement attendu, eu égard à des médias contrôlés, magistrats ou procureurs caporalisés et fines fleurs de la pensée longtemps écartées, des entraves empêchant « (…) de trouver des représentants du mouvement du jour au lendemain ».

Néanmoins, l’analyste flaire une ère nouvelle, sent que «l’Algérie est à un moment d’éthique fort», que le mouvement commence à produire des émissaires suffisamment aguerris pour défendre les acquis des franges sociétales et arriver à une 2ème République débarrassée des vieux apparatchiks comme Abdelkader Bensalah. Bien que trouvant ce dernier non crédible, l’avocat Mustapha Bouchachi entrebâille néanmoins la porte des pourparlers puisqu’il rétorquait le mercredi 1er mai : «Oui au dialogue, mais pas (…) avec les restes (…) de l’ex-président Bouteflika ». Le militant des droits de l’Homme en appelle à une commission indépendante «(…) dirigée par des hommes et femmes acceptés par les Algériens (…)», s’en remet ainsi lui aussi à la compétence souveraine d’un « Peuple-Héros » apte à nommer les personnes idoines à même de le représenter, «(d’) élaborer une période de transition (…), les législations nécessaires pour organiser des élections présidentielles, (…) et un gouvernement neutre composé de cadres honnêtes ».

Cette feuille de route complète celles précédemment rédigées, se perd en conjectures et n’impactera aucunement le dénouement final. Constatant justement le 29 avril (à la Chambre de commerce et de l’industrie d’Annaba) que «rien n’a encore changé au sommet de l’État», Ahmed Benbitour incitait le « Hirak » à «(…) cristalliser ses revendications dans un programme et de désigner des personnes capables de négocier», estimait que la transaction entre le mouvement et le « système de pouvoir » signifie « (…) entrer dans une phase de changement et de concrétisation de la transition vers l’Algérie nouvelle (…) qui a besoin d’une vision et d’un leadership, pour sortir du néant » (in L’Expression, 30 av. 2019). L’ancien Premier ministre partage une vision préalablement exprimée via les textes « Focus sur des individus et événements contributeurs du Hirak 2019 » puis « Place à l’esprit affûté des pourfendeurs de statu quo ».

Le premier honorait les intellectuels, chroniqueurs, écrivains, cyber-activistes, caricaturistes, syndicalistes, militants associatifs, etc… ayant nourri (grâce à leurs différents engagements) la conscientisation d’une population algérienne mobilisée depuis le 22 février 2019 en vagues successives, ressacs que l’anthropologue Abderrahmane Moussaoui reliera au « (…) travail de fond mené depuis longtemps par certaines élites, (dont les) éclairages et dénonciations ont fini par être en phase avec une majorité aujourd’hui mieux préparée, plus réceptive et assurément disposée à la rupture » (A. Moussaoui, in El Watan, 20 mars. 2019).

Ce bilan partagé nous poussera à (hormis Nacer Djabi déjà cité) mettre également en exergue Amira Bouraoui, figure de proue du courant « Barakat » (ça suffit !), Hakim Addad, ex-secrétaire général du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), le professeur émérite ou ex-doyen de la Faculté centrale d’Alger, Madjid Benchikh et le chercheur Rachid Tlemçani, lequel écrivait le 05 mai 2019 (in Lematindalgérie) le « Hirak » dans l’histoire de la Guerre de libération et une période postcoloniale marquée par la destitution du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), la prorogation de la lutte de clans et la consolidation d’une police politique d’emblée habilitée à surveiller la société.

Agissant en « État profond », elle n’aurait pas « (…) réussi, deux mois après l’irruption de la colère salutaire, à contrôler et (…) orienter vers une direction particulière » l’élan populaire. Si, toujours selon l’enseignant en relations internationales et sécurité régionale, « La contre-révolution a infiltré dès le début l’insurrection citoyenne » ou encore, si elle « (…) s’est redéployée activement dans le hirak au lendemain du 30 mars 2019 », la raisonnement discursif présuppose que l’ex-DRS (Département du renseignement et de la sécurité) n’est en rien l’élément déclencheur de l’irruption du 22 février, comme le déduisait faussement le médecin Belaïd Abane désigné (un peu vite) observateur émérite.

Par le biais de la seconde intervention (« Place à l’esprit affûté des pourfendeurs de statu quo »), nous contesterons un tel raccourci organique que relaie promptement la propagande militaire, démentirons une hypothèse arguant que l’ample mouvance citoyenne « (…) ne ressort pas d’une émanation interne ou intrinsèque mais des ficelles souterraines des agents de l’ombre,», estimerons au contraire « (…) que l’apport intellectif de plusieurs lanceurs d’alertes a consubstantiellement servi de détonateur à retardement, que le fruit était suffisamment mûr pour que germe des entrailles du peuple une colère longtemps couvée ou contenue ». La coupe apparaissant suffisamment pleine pour déborder en raz-de-marée, la génération des réseaux sociaux est devenue l’essence primordiale d’une révolte ou résistance horizontale qui demeure l’instrument prépondérant d’une mutation radicale susceptible d’abattre « (…) les figures du système Bouteflika », tant elles n’ont pas vocation ou « (…) tendance à remettre le pouvoir aux civils».

Reconnaissant lui aussi que le « Hirak » «n’a pas réussi à instaurer un débat contradictoire », l’universitaire Tlemçani apostrophe des « Algériens intègres et compétents (…) » en mesure de définir les contenus, mécanismes, étapes et objectifs de la phase intermittente, de faciliter la naissance « de contre-pouvoirs structurels » (donc de relais médiatiques émancipés des diktats idéologiques et règles publicitaires), d’un nouveau modèle économique libéré de la logique rentière et des passe-droits ou influences nocives.

Des perspectives identiques animent la démarche d’un Ali Benflis disposé à aborder le dialogue en tant que prolégomènes «(…) de toute action politique responsable et constructive ». Considérant l’application de l’article 102 antinomique aux désidératas de la rue et, de surcroît, à la sortie de crise, il souhaite tout autant réunir des médiateurs crédibles. Cependant, en assertant (in L’Expression, 05 mai. 2019) que «les slogans du Hirak, depuis le 22 février, se focalisent sur la poursuite des pilleurs et des corrompus », le président de Talaie El Hourriyet se trompe d’argumentaire. Leurs initiateurs réclament en effet avant tout un mode de fonctionnement moderniste, point nodal que ne saisit pas davantage un général de corps d’Armée camouflé derrière le masque de Janus.

Sa double facette inspirera le titre « Entre Vice et Vertu, Ahmed Gaïd-Salah souffle le Chaud et le Froid », troisième introspection épistolaire servant de repère chronologique ou de boussole pédagogique car axée sur les discours d’un chevalier blanc en conflit ouvert avec les argentiers-prédateurs suspectés de corruption systémique. Zoubida Assoul, la présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), lui reprochera (pendant la conférence-débat du samedi 04 mai à Genève) ses déclarations hebdomadaires, tout en espérant qu’il annule le rendez-vous du 04 juillet, plante plutôt le décor du symposium national. La constitutionaliste soutient l’accompagnement de l’Armée et une gouvernance compactant les meilleurs esprits. Préférant laisser les autochtones trouver leurs délégués, formuler les rapports qui pèseront sur un pouvoir obligé, au bout du compte, d’abdiquer, la juriste proroge le propos de Belaïd Abane, quant à lui assuré qu’Ahmed GaïdSalah optera en faveur du processus transitionnel, instaurera les prémices d’une démocratie née « (…) d’une primauté populaire réelle et non frelatée » (Belaïd Abane, in L’Expression, 06 mai. 2019).

Nous désavouons évidemment, encore une fois, sa vision joviale et étriquée tant « Papi l’embrouille » s’embourbe dans l’impasse régalienne, ne renoncera pas au paternalisme condescendant biaisant un jeu trouble, est fermé à l’idée de déléguer des attributions, de restituer à une institution relevant d’une instance civile des prérogatives estimées revenir aux détenteurs autoproclamés de la légitimité historique, demande au chef de l’Exécutif, Noureddine Bedoui, de poursuivre les préparatifs du suffrage présidentiel, au chef de l’État de respecter les délais et échéances impartis, d’assurer, contre l’avis de la majorité des Algériens, le déroulé d’une fuite en avant à métamorphoser en voûte d’intelligibilité. Elle prendra forme lorsque s’établira la concertation entre le pôle militaro-policier et le collège rassemblant Djamila Bouhired, Mustapha Bouchachi, Ahmed Benbitour, Ali Benflis, Amira Bouraoui, Hakim Addad, Louisa Dris-Aït Hamadouche, Nacer Djabi, Mokrane Aït Larbi, Madjid Benchikh et Rachid Tlemçani (Mouloud Hamrouche n’est plus sollicité à cause d’une approche, à notre goût, trop figée). Bien que l’échange (ou scène parlementaire) ne garantisse pas de se hisser hors du culde-sac auquel mènent habituellement les « partis coquilles vides », le provoquer permettra de tester les décideurs, de savoir s’ils sont disposés, au bout du bout, à lâcher du lest.

Les jauger, c’est une façon de ne pas coincer au niveau d’une voie de garage ne conduisant nulle part, d’imposer les concessions suivantes : démission du Président intérimaire, du président du Conseil constitutionnel et du Chef de gouvernement, dissolution de l’Assemblée nationale, instauration d’une période de transition, nomination d’érudits chargés des affaires courantes, de la révision des listes électorales en prévision d’un scrutin espéré transparent.

Faute de résolutions consensuelles, l’étape suivante consistera à exercer des pressions sur les cabinets diplomatiques des ambassades étrangères, quitte à ce que les faucons en colère utilisent en ultime recours la politique de la terre brûlée, renouant de la sorte avec les méthodes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS).

İls auront alors perdu leur restant d’étoiles soudainement converties en médailles de l’indignité nationale ! (*) Cette intervention est la dernière consacrée à l’actuelle situation algérienne, cela suite à maintes collaborations (amorcées en 2014) lues et reprises en détails sans même, par déontologie ou honnêteté intellectuelle, que soit mentionné l’auteur. Or, lorsque les lecteursrépliques prennent la peine de citer les sources contributives, ils soudent, chacun à leur tour, les maillons de l’extrême synthèse, celle éclairant l’orchestration à privilégier en lieu et place des récurrentes conclusions entièrement vouées à la sacralisation du « Peuple-architecte ». L’étude de la Révolution française, et plus récemment celle du syndicat Solidarnosc en Pologne, démontre que la décantation résulte au final des fers de lance à la pointe du combat et non des approximations de chroniqueurs aveuglément acquis aux foules en liesses. À bon entendeur…nos bienveillantes salutations !

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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