24 avril 2024
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Identité : entre imposture et déni de soi

TRIBUNE

Identité : entre imposture et déni de soi

« Ils convinrent honnêtement que le grand malheur de l’Abistan était le Gkabul: il offrait à l’humanité la soumission à l’ignorance sanctifiée comme réponse à la violence intrinsèque du vide, et, poussant la servitude jusqu’à la négation de soi, l’autodestruction pure et simple, il lui refusait la révolte comme moyen de s’inventer un monde à sa mesure, qui, à tout le moins, viendrait la préserver de la folie ambiante. » Boualem Sansal 

Aujourd’hui je suis heureux de revoir mon coiffeur. Des retrouvailles pleines d’émotions après une pause involontaire, due à la crise sanitaire du corona. Plus dynamique que d’habitude, Salam fait partie de cette jeunesse têtue à la recherche d’un monde auguste, clément avec les vulnérables. Il s’en était allé à sa quête quittant le berceau d’une grande civilisation. 

Sympathique, jovial, d’une trentaine de printemps , il n’aimait pas voir sa clientèle déambuler d’un salon à l’autre, cela le rendait désespéré. Il manie les ciseaux comme l’artiste qui cisèle ses joyaux.

À mon arrivée, je m’attendais à payer les frais d’une très longue « queue », pensant que ce serait la ruée vers les salons, un peu comme le « black Friday » en Amérique du Nord où les gens se bousculent à l’entrée des grandes surfaces pour des rabais alléchants. Il n’en fut rien, il n’avait personne sur le fauteuil. C’est plus tard que j’ai fini par comprendre « qu’il liquidait » ses clients en dix minutes. il me chuchota: « I need to catch up, my wallet is empty – je dois récupérer le retard causé par le confinement, mon portefeuille est vide».

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Content de m’y installer sur un siège de couleur rouge vif, à la forme d’un trône royal fastueusement cousu , car pendant  des semaines j’ai subi les tentatives maladroites tantôt de ma fille et tantôt de ma femme . Je devais, à mon corps défendant, accepter leurs coupes « artisanales » pour ne pas avoir l’air d’être sorti d’une grotte du néolithique.

Pendant les dix ou quinze minutes qu’il avait passé à écourter mes cheveux et débarrasser ma crinière rebelle du cou et des oreilles, je m’étais adonné à l’exercice de mémoire pour me rappeler des  échanges que nous avions eu il y a trois ans , sur nos parcours avant d’atterrir au pays de l’érable. On s’était permis quelques excès d’orgueil latent, camouflé dans notre ego d’êtres humains de ce bas monde. 

Lui et moi nous portons les germes d’identités millénaires, et sommes les échantillons d’une singularité en danger. Avons-nous le même destin ? le destin d’une étoile qui brille au firmament que l’on suit des yeux et file vers l’horizon lointain. Sa lumière nous la percevons avec un temps de retard et nous renvoie les ombres des civilisations mésopotamienne et numide.

Aujourd’hui elles sont menacées d’extinction tel un artefact archéologique que les sables mouvants ont fini naturellement par recouvrir. 

Le premier jour où je l’avais rencontré avant que la pandémie n’était venue frapper à la porte de l’humanité, il m’avait décliné fièrement sa nationalité irakienne et me dit , audacieusement, qu’il était arabe de confession catholique. J’ai tout de suite eu un doute qu’il ne pouvait pas l’être, car les Arabes, les vrais, le revendiquent rarement, sauf les ultras de la nomenklatura nationaliste affiliée idéologiquement au sinistre Aflaq. 

J’écoutais les bruissements de ses lèvres comme les sifflements d’un champs de roseaux chaloupant sous un climat venteux lorsqu’il s’adressait à ses pairs de la même communauté.  C’était une langue dont je ne pouvais deviner ni le nom, ni l’origine. Je me sentais inculte de ne pouvoir dépister une sonorité du pays de l’Euphrate. Rien ne ressemblait à de l’Arabe lorsqu’ils bavardaient entre eux. Ça devrait être un de ces dialectes arabes épars dans cette région du monde, me disais-je. 

Ne pouvant plus résister, un jour j’ai décidé de rompre avec mon ignorance et faire appel à mon audace de montagnard aguerri. Je dois tout de même avouer que la curiosité et moi avions fait bon ménage et ce , depuis toujours. C’est alors que Je lui demanda de m’éclairer sur le nom de la langue qu’il parlait à chaque fois qu’il murmurait quelques choses à l’oreille de son assistant, un adolescent qui voulait sans doute se lancer dans le métier de la coiffure.  

Il me fixa des yeux et sourit. C’est la langue assyrienne me confia-t-il d’une voix basse comme s’il craignait que quelqu’un l’entende. Ses joues rouges m’ont fait penser à l’érythème infectieux communément appelée cinquième maladie ou celles de la population russe dans le grand Caucase, endurcies par le froid glacial des montagnes. Elles trahissaient l’inconfort dans lequel il s’est gouré lorsqu’il s’était présenté de culture arabe. C’était révoltant, insoutenable. 

Ce n’est pas de l’Arabe alors? lui ai-je répliqué. Il avoua , enfin , que c’est une toute autre langue. Elle est antérieure à la révélation coranique, elle était là avant le monde. À travers des siècles de domination musulmane on a fini par s’intégrer disait-il. Intégration !

Le mot est lâché. Je n’en revenais pas de ce que je venais d’entendre, l’incongruité vous abîme les neurones. Une histoire non revendiquée. C’est une reddition mal assumée. Ceci contredit substantiellement les règles des processus de construction, de reconstruction des identités à travers les temps. Sa réplique interroge la sociologie et les phénomènes sociaux relatif à « l’identité et la citoyenneté, l’intégration sociale et la discrimination, la migration des populations, la transformation des mœurs sociales » et j’en passe. 

Mais pourquoi diable les êtres humains aussi différents que leurs ADN s’oublient, se fondent dans un contenant identitaire hégémonique ? Je m’interroge sur cette prédisposition atavique qui accorde fatalement la prééminence de la religion, ce remède qui tue , à la réalité sociale, culturelle et les expose à l’anéantissement et le déni de soi. Quelle supercherie grotesque de sauvegarder sa foi au détriment de son être ?! 

Si tel est est le sort des peuples minoritaires je crains qu’il soit le mien et celui de mon peuple aussi. Je risque de finir coiffeur et me présenter martien aux habitants de la planète.

Auteur
Cid Kacioui

 




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