23 avril 2024
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İnterroger les cendres et autopsier les crimes (I)

OPINION

İnterroger les cendres et autopsier les crimes (I)

Chapeauté par Abdelmadjid Tebboune, le Haut Conseil de Sécurité (HCS) du 18 août 2021 notifiait l’implication directe du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et Rachad (résidu historico-idéologique de l’ex-FİS dissous) dans l’instantanéité des incendies de forêt débutés le 09 août 2021 et l’assassinat (du 11) de Djamel Bensmaïl, deux événements censés faire partie intégrante d’une seule et même manœuvre subversive à laquelle seraient pareillement affiliés le Maroc et İsraël.

Aidés de quelques articles de journaux (critiques et de complaisances), nous allons contredire l’argumentaire à charge en allouant d’abord le prolégomènes de la tragédie à l’absence de préventions, à d’involontaires fautes humaines, à la mutation climatique et à l’usage changeant des terres cultivables, des modalités d’aggravation d’incendies à dissocier de l’exaction individuelle (crime de Bensmaïl) et des corrélations adjacentes que corroborent les autorités algériennes.

1) Maquiller incompétences et tergiversations en criant à la machination

Les 187.114 incendies répertoriés dans la seule journée du 08 août 2021 situaient un pic jusque-là inégalé, un record démontrant que cette fois presque toutes les régions de la planète était touchée. Les réguliers relevés sur le réchauffement climatique tempèrent à ce titre la démonstration d’une origine planifiée des feux de forêt démarrés le lendemain en Algérie.

Hormis les sphères ou officines politiciennes, seuls quelques incrédules parlent d’une maffia du foncier prédatrice ou, comme Arezki Ait-Larbi, de manipulateurs de l’ombre spécialistes des coups tordus accommodant « avec une précision chirurgicale » des embrassements criminels. Ces barbouzes initialiseraient « la mise à mort politique d’une région frondeuse et maudite (que) la pieuvre frappée à la tête le 22 février 2019 » aimerait ranger « dans le box des accusés pour l’obliger à faire contrition, battre sa coulpe, plaider coupable, baisser la tête, en attendant de mettre un genou à terre » (Liberté, 26 août. 2021).

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Le journaliste free-lance rejoint de la sorte les supputations de ceux arguant que « le bûcher dressé contre la Kabylie (ou) l’opération « Zéro Kabyle » » participe de l’action concertée et interlope de parrains peu enclins à intervenir aux premières heures de la surchauffe végétale et vociférant : « Ces gens boycottent les scrutins et cassent des urnes, qu’ils se démerdent ». Quelle vienne du côté de militants agacés ou d’ailleurs, l’affirmation d’une volonté délibérée et malsaine laisse perplexe la plupart des spécialistes locaux, lesquels préfèrent remettre les choses à plat, garder la tête froide et prendre du recul « avec des conjectures politiciennes (voire) une chasse aux sorcières suivie d’hystérie collective ».

La thèse de l’embrouille ourdie à divers échelons paraissant donc à plusieurs égards loin d’être évidente, il s’agit de mener pas à pas, moins chronologiquement que par recoupements temporels, la contre-enquête susceptible de rendre également caduque les élucubrations, descriptifs ou tapages médiatiques d’un pouvoir militaro-civil soutenant que les brasiers furent perpétrés par des individus mal intentionnés, tapis dans les grottes des sous-bois.

L’heure est à l’analyse sereine et à la lucidité concluait pareillement de son côté l’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi, cela dans une vidéo « balancée » sur sa page Facebook le mardi 17 août. À ses yeux, les incendies étaient « prévisibles et évitables (…) du fait de l’imprévoyance, de mauvais choix », d’atermoiements sur l’achat reporté de cinq canadairs. Aussi, n’écartait-il pas l’hypothèse, « possible et même probable, d’une provocation du pouvoir, ou de l’un de ses clans », non pas pour allumer des feux mais dans le souci de détourner l’opinion « sur l’incurie des pouvoirs publics », surtout suite à la solidarité manifestée à l’endroit de la Kabylie par les habitants des localités environnantes.

L’élan citoyen autonome et de générosité instantané aurait « précipité une manipulation de plus contre cette région pour faire diversion » sur l’incapacité criante, sur les carences mises en lumière et aggravées par la négligence institutionnelle ou l’incohérence des postes de commandement.

Travestir l’absence d’anticipations et de prévisions, les déficits en matériels et moyens humains, masquer le sous-équipement de la Protection civile ou de la Direction de la préservation des forêts, soit l’incurie ambiante, voilà, de l’avis de certains observateurs, les raisons introductives qui pousseront à plaider en faveur du coup monté et guidé par des forces étrangères.

Nombreux témoins oculaires remarqueront que les autorités habilitées tardaient en effet à réagir au point de laisser les villageois démunis devant les flammes de soixante-dix départs de feux simultanés, chiffre sur lequel s’appuieront les hautes instances pour justement valider la thèse de la conjuration bidimensionnelle. Après avoir hésité 48 heures, Abdelmadjid Tebboune acceptera finalement l’aide internationale et tentera concomitamment de renverser l’échiquier, de reprendre la main le jeudi 12 août au soir dans son discours à la Nation.

Face à des téléspectateurs en attente légitime d’explications tangibles et factuelles, il exacerbera l’inflation conspirationniste, admonestera les « ennemis intérieurs » de l’Algérie, certifiera, à l’instar du ministre de l’İntérieur Kamal Beldjoud, que l’essence des incendies demeure bien criminelle et confortera l’assertion en relatant le nombre de 22 suspects interpellés (dont dix en Kabylie). Pour endormir la vigilance populaire, détourner son regard, invalider la faillite des corps sécuritaires, il fallait aussi sortir l’artillerie lourde, notamment allumer des contrefeux médiatiques, tâche accomplie par l’encarté Le Jeune İndépendant (proche du ministère de la Communication) chargé d’évoquer la présence sur zone de drones de l’Armée israélienne, des octocoptère capables de lancer des grenades ou de tirer au laser sur l’archipel de broussailles ou bosquets.

Seulement, ces feux continueront ailleurs bien au-delà de l’arrestation des présumés pyromanes et du prétendu survole de Tikad-17. Ceux qui se sont déclarés dans la nuit de lundi 16 à mardi 17 août dans la commune de Chélia (Khenchela) provoqueront la destruction de dizaines d’hectares de couverts forestiers. D’autres mobiliseront les unités de la protection civile à Bejaia (14), Jijel (3), Ain Defla (2), Setif (2), Jijel (2), Guelma (2), Tizi Ouzou (1), Batna (1), Souk Ahras (1), Skikda (1), Médéa (1), Boumerdes (1) et Annaba. L’épisode caniculaire n’épargnera pas davantage une partie importante du mont Edough, non loin de Seraïdi, village perché sur les hauteurs de l’Ex-Bône, tout autant entouré par les flammes le 11 août.

Ce jour-là, indique le quotidien Liberté du 25 août, le thermomètre affichait jusqu’à 49°C et la bande de feu encerclait la forêt descendant jusqu’à la mer. Si tous les feux des années précédentes furent rapidement dissipés, impossible cette fois de circonscrire ce dernier tellement le site fut enserré d’un épais nuage noir, d’une constellation de cendres démontrant l’ampleur des dégâts occasionnés (végétation luxuriante, chênes-lièges consumés ainsi que ruches, bovins, vaches, moutons et chèvres). 48 heures plutôt (09 août), les incendies ravageaient donc le nord-est du pays, là où le bilan sera beaucoup plus lourd puisque on dénote à ce jour 192 victimes (chiffre encore provisoire), dont 34 courageux mais inexpérimentés militaires, et 460 blessés (315 gravement brûlés).

Les 810 habitations, la soixantaine d’établissements scolaires (collèges ou lycées), les 900 exploitations agricoles, les centaines de bovins (380 vaches), caprins ou ovins (plus de mille moutons, brebis et chèvres), poules et ruches, les dizaines de milliers d’hectares de ressources forestières, arbres fruitiers, pâturages, oliveraies décimés laissent maintenant place à une vision lunaire.

L’occultation des interrogations et réponses sur les lenteurs décisionnelles, l’impréparation ou le laxisme systémiques mènera donc, chez les hauts dignitaires, à privilégier une ligne accusatrice et des éléments de langage à faire gober à une large population encore anéantie par tant de malheurs. Bien que psychologiquement atteinte, cette entité non négligeable d’Algériens ne penche pas obligatoirement vers la thèse du complot qu’accrédite un pouvoir autoritaire cultivant souvent la condescendance et l’infantilisme : dormez bonnes gens, l’Armée nationale populaire (ANP), digne héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), veille sur vous et vos biens selon les principes inviolables de l’unité et de la souveraineté nationale, celles que souhaiteraient fragiliser des ennemis de l’intérieur qu’épauleraient financièrement ou techniquement le Maroc et İsraël.

Toujours disposé à faire du zèle, le quotidien L’Expression (véritable caisse de résonnance du mensuel des généraux El Djeich) abrite plusieurs « gratte-papiers » des services assermentés. À longueur de colonnes ou d’éditoriaux, ils s’appliquent à prouver que « les officines étrangères ont investi dans le projet de Grand Moyen-Orient (pour) reconfigurer et recomposer les zones d’influence selon la doctrine expansionniste et hégémoniste arc-boutée sur des moyens non conventionnels ».

Persistante via le net et les réseaux sociaux, la Grande domination équivaudrait à déstabiliser les peuples, à alimenter les « conflits et les divisions sur fond de démarches communautaristes et ethniques », à recourir à l’islamisme et l’identité, deux référents pourtant mis en exergue en 1989 et validant pernicieusement cette année-là le Front islamique du salut (FİS) de Madani et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Sadi. Les deux partis obtiendront un agrément ratifié en contradiction avec le contenu de la Constitution du moment déclarant que les associations à caractère politique ne pouvaient pas prendre en otage ces constantes (« thawabit el wataniya » ou « ettawabite el watania ») que sont l’islam, l’amazighité, l’arabité ou les valeurs de novembre que préemptait déjà continument le Front de libération nationale (FLN).

La révolte d’octobre 1988 ayant fissuré la chape de plomb de ce parti unique, les « Mani-tous » du sommet hiérarchique faisaient à l’époque déjà mijoter les ingrédients explosifs de la discorde permanente, et les voilà maintenant en train de faire avaler l’alliance de la carpe et du lapin. La France possède ses islamo-gauchistes et l’Algérie n’aurait plus rien à envier à l’ex-puissance coloniale puisqu’y germeraient à profusion des islamo-berbéristes ou islamo-séparatistes, contraction sémantique servant à désigner l’action couplée du MAK de Ferhat Mehenni (exilé en France) et du Rachad de Larbi Zitout (ou Mourad Dhina) (respectivement installé à Londres et Genève), à laisser croire à la coalition douteuse de deux organisations antagoniques à la remorque de boîtes noires exogènes accompagnant l’expansion des « Printemps arabes », disposées à cohabiter pour mettre sens dessus dessous l’Algérie, démembrer le socle national, semer le « chaos constructif ».

Hideuse et fasciste, l’hydre islamo-makiste viserait, en tant qu’émanation et prolongement de la nouvelle menace impérialiste, à faciliter la reconquête coloniale à travers « la création de micro-États à caractère ethnique et racial comme instrument idéal et idoine dans la perspective d’affaiblir les États nationaux et les disloquer » (L’Expression, 19 août . 2021). Les mercenaires rachado-makistes à la solde du sionisme et de la monarchie chérifienne, « base arrière de la planification d’une série d’agressions dangereuses contre l’Algérie », d’après Ramtane Lamamra, tisseraient les mailles d’un schéma machiavélique, tireraient les ficelles tentaculaires des accointances supranationales, coordonneraient l’agenda synchronisé de la suprématie souterraine et auraient à ce titre pris le soin méticuleux de brûler maintes wilayas, de souffler sur les braises de l’accident écologique.

L’improbable scénario sert sans doute également de dédouanement à la crise diplomatique entre l’Algérie et le Maroc, crise grossie par sur l’utilisation frauduleuse du logiciel « Pegasus » vendu au Makhzen et les bonnes relations qu’entretient celui-ci avec l’exécré İsraël (en hébreu, celui qui a lutté avec Dieu). Au cœur des reproches formulés par le ministre algérien des Affaires étrangères, figurent les condamnations de l’homologue juif Yaïr Lapid qui lors d’une récente visite chez Mohammed VI exprimera (le 12 août à Casablanca) ses inquiétudes au sujet d’un pays à la tête de la campagne « contre l’admission d’İsraël en tant que membre observateur de l’Union africaine » (UA), chef de file d’un axe négatif incluant l’İran et rejetant le « pragmatisme que symbolise la coopération maroco-israélienne ».

Pendant que l’Algérie renforçait ses partenariats du côté de la Chine, Russie et Turquie (avec laquelle le fils de Tebboune est en pourparlers affairistes), le Maroc devenait en 2020, après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, le quatrième nation arabe à se rapprocher d’İsraël, à normaliser des relations bilatérales et cordiales en contrepartie desquelles les États-Unis acceptaient sa tutelle sur le Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole qu’occupent des indépendantistes régulièrement financés par l’Algérie.

Le Front Polisario réclamant un référendum d’autodétermination, l’ambassadeur du Maroc auprès de l’ONU profitera d’une réunion virtuelle des pays non-alignés tenue les 13 et 14 juillet 2021 à New York pour encourager, en guise de réponse du berger à la bergère, le même droit au peuple kabyle, à fortiori au MAK. Considérée illégale en Algérie et basée à Paris, la mouvance de Ferhat Mehenni est née dans le sillage du « Printemps noir » (tafsut taberkant) de 2001, soit qu’après Abdelaziz Bouteflika, qui promettait de « mettre au pas la Kabylie, de dégonfler (son) ballon de baudruche », invoque dans l’article cité Arezki Ait-Larbi, ait ordonné de zigouiller le tas de barbares (vocable que l’ancien président Chadli Bendjedid accolait malicieusement à celui de berbères) osant contester le rapport de police rédigé à la suite du décès suspect de Massinissa Germah, un lycéen de 18 ans atteint de plusieurs cartouches sorties de l’arme d’un gendarme de Beni Douala (Ath Dwala en kabyle).

Élément déclencheur, ce drame alimentera du 23 au 28 avril 2001 une suite de rassemblements contestataires, de révoltes urbaines (bâtiments officiels assiégés et incendiés) réprimées dans le sang ; du corps à corps entre collégiens et forces de l’ordre tirant à vue et à balles réelles on dénombrera 128 victimes (et des centaines de blessés). Divers groupes exigeant en vain le statut de martyr aux premières cibles (alors une cinquantaine) à indemniser et le jugement des gendarmes de la répression, d’autres violences (tabassages, pillages de boutiques et habitations), d’autres actions-réactions suivies de représailles et de surenchères revendicatives aboutiront, fautes de médiateurs sérieux, à l’organisation de comités de villages ou de quartiers, à une nouvelle représentation dénommée « Coordination des âarchs, daïra et communes » (CADC).

Refusant de reproduire le fonctionnement improductif des traditionnels partis politiques, elle privilégiait une approche anthropologique basée sur la tajma’th ou djemaa (assemblée de citoyens exécutifs autorisés à porter les armes et à unir une communauté), elle-même couplée à différentes idharman (pluriel d’adhrum), structures composant l’ensemble d’un village (thaddarth) réuni en tribus (aârch). Les insoumis au centralisme renouaient ainsi avec une ancestrale démarche consensuelle, voire démocratique, et établissaient leur conseil liminaire à Larbaâ-Nath-İrathen (nom signifiant littéralement « Mercredi de la tribu des At İraten ou Ath İrathen »), là où, le mercredi 11 août, sera lâchement achevé, en pleine place publique, Djamel Bensmaïl. (A suivre)

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

 




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