16 avril 2024
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Kamal Hamadi évoque Taos Amrouche

RENCONTRE

Kamal Hamadi évoque Taos Amrouche

Nous poursuivons ici la série d’articles sur le chanteur compositeur Kamal Hamadi. Nous vous livrons ici la 3e partie d’un long entretien accordé par cet immense chanteur-compositeur à Mehenna Mahfoufi.

M. M. : Quand es-tu venu en France ?

K. H. : En 1959, la firme Teppaz commence à faire des enregistrements arabes et kabyles. Saïd Rezzoug, responsable à la section kabyle de Radio Alger, était directeur artistique de la firme Teppaz pour l’Algérie. C’est à son initiative qu’un groupe de chanteurs et de musiciens kabylophones et arabophones avait été convié à Paris afin d’enregistrer une série de chansons algériennes. Moi, je composais déjà beaucoup de chansons.

Presque tous les chanteurs d’Alger chantaient mes chansons, tant en arabe qu’en kabyle. Mohand Rachid, Youcef Abdjaoui, Karim Tahar, Abdelkader Fethi, Boudjemaa El-Ankis, et d’autres encore, chantaient mes chansons. Youcef Abdjaoui était venu me demander de lui composer deux ou trois chansons pour l’occasion. Je lui avais composé entre autres, Yidem yidem (« Avec toi »), un duo, comme celle de l’opérette de 1954. Un soir Saïd Rezzoug était venu entendre les différentes chansons préparées par chacun.

Quand vint le tour de Youcef Abdjaoui il commence à chanter, Nnif nnif («Honneur, honneur »), une autre chanson composée pour la circonstance, et Yidem yidem qu’il n’avait pas encore bien apprise. Moi je lui donnais la réplique puisque c’était un duo. Alors Saïd Rezzoug me dit : – C’est toi qui devrais chanter cette chanson. Ce que je refuse tout en lui précisant que Youcef Abdjaoui la chantait bien mais qu’il ne la connaissait pas encore assez, ne l’ayant pas suffisamment répétée, c’est tout. Il me convoque pour le lendemain et me demande si j’avais d’autres chansons non encore chantées. Je lui dis oui et lui chantonne Anwa ar asseqsiɣ (« Qui vais-je questionner ? »).

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C’est ainsi qu’il m’a intégré au groupe d’artistes devant venir à Paris enregistrer chez Teppaz. Deux ou trois jours après, Cheikh Nordine vient me voir pour m’annoncer la nouvelle que je connaissais déjà. J’étais en train de faire mon émission Lesrar n eddunnit (« Les secrets de la vie »), lorsqu’il me faisait de grands signes à travers la vitre de la cabine de l’ingénieur du son. Moi je ne comprenais rien à ce qu’il voulait me dire. Bref, à la fin de l’émission, il m’invite au café et m’apprend que j’allais partir en France. Il me demande combien de chansons je possédais, car il en fallait une dizaine. Moi je n’en avais que quatre ou cinq. J’ai dit d’accord.

Arrivé en France avec le groupe, j’ai composé d’autres chansons. Je les ai enregistrées. Quelques-unes avaient fait un succès, comme Yidem yidem (« Avec toi »), Anwa ar asseqsiɣ («Qui vais-je questionner »), Taweṛddet yefsan (« Fleur éclose »), A m-mallen tizeṛqaqin (« Fille aux yeux bleus »), etc.

M. M. : A quel moment tes parents avaient-ils appris que tu menais une vie d’artiste ?

K. H. : Ils ne l’ont su qu’une fois mes disques sortis. Un jour, je venais de faire une pièce de théâtre intitulée Ul uqsih (« Cœur violent ») qui passe encore aujourd’hui à la radio. Nous l’avions montée pour la scène et Saïd Rezzoug nous demande de l’enregistrer pour la radio. Elle est annoncée dans le programme publié par les journaux et certaines personnes de mon village lisant les journaux découvrent l’annonce. Ils savaient déjà que Kamal Hamadi c’était moi, Zeggane Larbi. Kaci Aït Qardhi de notre village, va voir mon père qui habitait à El-Harrach à l’époque et lui dit : – Viens passer un moment avec nous. Il l’invite au moment où passe ma pièce de théâtre à la radio. Ensemble ils l’écoutent. Mon pauvre père n’était pas trop intéressé par le spectacle ou la radio, et encore moins par les chansons. Il aimait un peu Slimane Azem de loin, c’est tout. Il boit un café avec eux et écoute la pièce naïvement. A la fin ils lui révèlent que c’est moi l’auteur de ladite pièce. Il n’en croyait pas ses oreilles.

Le lendemain il vient à l’atelier où je travaillais et m’attendait. Moi je cousais, et lui, il attendait. A la fin de la journée. Il me dit : – Mon cher fils, j’ai appris une nouvelle, j’espère qu’il n’en est rien. – Qu’as-tu appris, lui demandais-je ? – Je ne sais pas ce que raconte cette boîte (le poste radio) mais il paraît que tu fais des choses qui ne conviennent pas à notre morale. Je lui dis : – C’est du théâtre mon père. Il me répond radical : – Non, cela ne se fait pas dans notre famille. Non, non. Alors mon fils si tu veux rester dans le droit chemin, dorénavant il te faut changer de conduite. Je t’avais averti de ne pas rester à Alger.

Tu sais que nous sommes une grande famille… Enfin, bref. Je lui explique que le théâtre était une bonne chose, que ce n’était pas du vol, etc. Mais rien à faire. Il me dit : – Ou tu arrêtes, ou à partir de ce jour tu ne m’adresses plus la parole. Je lui dit : – Soit, j’en prends acte. Sans me manquer de respect, il s’est montré intransigeant. On est resté un peu de temps sans relation puis tout est rentré dans l’ordre.

M. M. : La rencontre avec Madame Noura, que tu as épousée en 1959, après votre retour de Paris, comment s’est-elle faite ?

K. H. : Noura était employée dans un cabinet de sage-femme et moi je travaillais dans un atelier de couture à Bab el-Oued. Toute jeune elle voulait faire de la chanson. Des gens lui avaient dit que j’étais dans le milieu artistique. Comme on travaillait dans le même quartier, un jour on s’est croisé et comme tous les jeunes on s’est parlé. Assez rapidement elle me fait part de sa volonté de chanter. Je lui conseille d’aller essayer ses talents dans l’émission radiophonique des amateurs. Un jour elle s’inscrit au conservatoire pour faire de la comédie. Elle rentre au cours de Djelloul Bacharah chez qui elle se forme.

Parallèlement, elle apprend le solfège chez Jean Petit qui était déjà le professeur de Khortobi, Adelwahab Salim, Ali Chellali et probablement d’autres. Comme je viens de le dire, moi je cousais en face d’où elle travaillait. Un jour parait dans la presse une annonce de la télévision locale qui recherchait une présentatrice sachant parler français et arabe. Elle m’apporte le journal et me dit que cela l’intéressait. Je l’accompagne et elle se présente au service de la télévision.

Après m’être renseigné, j’apprends qu’elle doit se présenter à Saïd Rezzoug que je connaissais déjà. Elle prend rendez-vous et le moment venu nous y allons à deux. Il lui présente deux papiers, l’un écrit en français l’autre en arabe. Elle les lui lit. C’est là qu’il lui dit : – Mademoiselle, votre voix est douce, vous devriez plutôt chanter. Elle lui rétorque : – En fait c’est pour la chanson que je suis venue, mais je ne savais pas à quelle porte frapper… Il s’adresse à moi et me dit : – Vois mon fils un des musiciens, Amari Mâamar ou Mahboub Bati. Moi-même ne jouais pas bien encore d’un instrument à ce moment-là. Je vais à la recherche de Amari Mâamar que je trouve en train de répéter au studio avec Sahraoui Menouar. Je lui dis que Monsieur Rezzoug désirait le voir.

Aussitôt il arrive dans le bureau du responsable avec son violon à la main. Celui-ci lui demande d’auditionner Noura. Il s’adresse à Noura et lui dit : – Qu’est-ce que vous savez chanter ? Elle répond : – Je sais chanter Ya qalbi wac bekka-k, (« O mon cœur qu’est-ce qui te chagrine ? »). C’était une chanson que la jeune Warda El-Djazaïria chantait à l’époque. Ils font un essai de quelques instants et Saïd Rezzoug accepte. Il la confie à Amari Mâamar. Ainsi, une ou deux fois par semaine elle venait répéter avec Amari Mâamar.

Un jour Rezzoug lui demande des nouvelles, ce à quoi il répond qu’elle est prête à chanter. Ils décident alors de la faire passer dans l’émission des amateurs avec Ya qalbi wac bekkak qu’elle avait préparée. C’était formidable. Entre temps, Amari Mâamar avait composé une chanson pour Mohamed Laïd. Après l’avoir un peu modifié, il la donne à Noura. C’était Baâd ma caft âini… Rezzoug avertit El-Boudali Safir, responsable de la musique à la radio, qui la programme avec l’orchestre moderne placé sous la direction de Mustapha Skandrani. Elle interprète les deux chansons préparées.

Un mois après il la programme à nouveau. C’est là que Mahboub Bati lui compose la chanson Yamma guli-li. Amari Mâamar, vexé que Noura chante la chanson de Mahboub Bati, refuse qu’elle chante la sienne. Alors elle chante d’autres et le courrier des auditeurs n’en fini pas d’affluer et le succès suivit. Finalement Amari Mâamar avec Saïd Haïf lui compose Warda suda, Mahboub Bati lui compose Hlili ya hlili. Arrive alors la période du projet d’enregistrement chez Teppaz à Paris en 1959. Noura fut du voyage. A partir de là elle a eu beaucoup de succès.

M. M. : Ensuite vous êtes venus en France et là vous êtes restés ensemble pour la vie.

K. H. : Oui. Nous étions des gamins, on travaillait l’un en face de l’autre à Bab El-Oued. Et voilà, plus de 45 ans après nous sommes toujours ensemble avec nos enfants. Elle a mené une carrière artistique exceptionnelle. Je l’ai toujours accompagnée. Après avoir enregistré en France chez Teppaz nous devions repartir en Algérie. Mais, en ce qui me concerne, Radio-Paris m’avait fait appel. Mon ami Rabah Mahiout, journaliste à la section kabyle de Radio-Paris, est venu me dire que Jean Franco, le responsable de la section kabyle, cherchait quelqu’un qui soit capable de proposer des pièces de théâtre. Je rencontre ce monsieur et discute avec lui sur une éventuelle collaboration.

A la suite d’un essai, je devais attendre sa décision. Entre temps, avec Noura nous faisons deux concerts de chansons pour la radio qui nous rapportent de quoi payer l’hôtel ici à Paris pendant notre séjour.

Ensuite je rentre à Alger et là on m’écrit pour me dire que l’essai fait à Radio-Paris était concluant. Je reviens et propose plusieurs émissions dont Lesrar n eddunnit (« Les secrets de la vie ») At wexxam (« La famille »), Maamic (« Maâmiche »). Alors je fus introduit à la radio où j’ai fait ma place entre 1959 et 1962.

A ce moment-là Marguerite-Taos Amrouche – 1913-1976 – faisait une émission avec quelqu’un qui s’appelait Kamal aussi. C’était l’émission Adnemmekti tamurt («Évoquons le pays »). Un jour, elle vient me voir et me dit que je parlais bien kabyle. Je lui réponds que c’était normal car j’étais un Kabyle de la montagne. C’est alors qu’elle me proposa de faire avec elle l’émission « Évoquons le pays ». J’accepte. L’émission est programmée le mardi. Nous nous donnions rendez-vous à 11 h. pour enregistrer à 12 h. Chaque fois je lui demandais de me présenter le texte avant d’entrer au studio.

Elle disait toujours oui. Le moment venu elle me présentait le texte sur une feuille écrit en français. Je lui disais : – Mais Taos… – Ce n’est rien, me disait-elle. Tu connais bien le kabyle. Tu prends le proverbe en français et tu brodes dessus en kabyle. En fait le travail consistait pour moi à expliquer en kabyle le proverbe donné en français. Ce que je faisais. Avec une page on arrivait à tenir une demi heure d’émission. Cela lui avait beaucoup plu et on a ainsi collaboré pendant trois ans.

Elle était très fière du travail que nous faisions ensemble. Elle m’a toujours félicité pour le kabyle que je maniais bien, cela toute sa vie. À chacune de nos rencontres elle me le rappelait. C’était quelqu’un de formidable. Sa mort fut une grande perte pour notre culture. 

M. M. : A Paris, tu rencontrais des artistes à la radio, est-ce que tu sortais la nuit ?

K. H. : Bien sûr. A l’époque j’ai connu beaucoup d’artistes dont Amraoui Missoum que j’ai retrouvé à Paris et avec qui j’ai beaucoup travaillé par la suite. Chaque fois qu’il avait besoin de textes il me faisait appel. J’ai connu et beaucoup apprécié Mohamed Jamoussi, le fameux compositeur tunisien. C’est avec lui que j’ai appris des notions de musique et de modes orientaux. Avant de le rencontrer, je chantais et composais sans savoir dans quel mode je le faisais. J’étais ignorant des choses théoriques. D’ailleurs avant moi il y avait déjà Amouche Mohand et quelques autres qui prenaient des cours avec Jamoussi. M. M. : As-tu beaucoup travaillé avec lui pour tes cours de musique ? K. H. : Entre 1960 et 1962 nous nous voyions souvent. D’ailleurs nous avions fini par collaborer. Je faisais des paroles sur lesquelles il composait la musique et vice et versa.

M. M. : En ce temps-là allais-tu au cabaret ?

K. H. : Oui. Il y avait le cabaret El-Djazaïr, Le Bagdad, Les Nuits du Liban. Je sortais presque tous les soirs.

M. M. : Et les musiciens juifs, les rencontrais-tu ?

K. H. : Oui, c’est normal, car on travaillait ensemble. J’ai travaillé avec de nombreux musiciens juifs dont Kakino de Paz, le meilleur cithariste 36 de musique arabe de Paris, Albert Guez, Kahlaoui Tounsi, très bon percussionniste de derbouka, et d’autres. Il y avait des Tunisiens, des Marocains et des Algériens. Nous travaillions tous ensemble. (A suivre)

M. M.

Auteur
Mehenna Mahfoufi

 




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