26 avril 2024
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La colère de la jeunesse doit rectifier son erreur originelle

DEBAT

La colère de la jeunesse doit rectifier son erreur originelle

La situation algérienne n’est pas inédite dans l’histoire des pensées et institutions politiques. La nature institutionnelle a horreur du vide, elle s’inclinera toujours face à l’entité organisée. Or, pour avoir commis une erreur originelle, nous nous trouvons face à l’éternelle organisation au droit divin, stable et sécurisante, l’armée et ses généraux.

Le mouvement de la jeunesse fut et reste extraordinaire, aux qualités de maîtrise et de calme relevées par le monde entier. Mais cela ne suffit pas face aux monstres qui jouent leur pouvoir et leurs fortunes considérables. Dès le départ, nous étions un certain nombre à le prévoir car, tout simplement, nous l’avions vécu.

Chanter, danser et braver le système jusqu’à le fissurer, c’est effectivement, au départ, exactement ce qu’il fallait faire sans entrer dans la violence, une compétence exclusive du régime militaire qui s’en serait servi car c’est dans son ADN et sa puissance.

Mais il fallait absolument, dans le même temps, s’organiser dans le fond car il ne s’agit pas d’une révolution, c’est le moins que l’on puisse en dire. Je ne cesserai jamais de répéter que les principaux identifiants d’une révolution sont la mise à bas des institutions, le retrait des anciens dirigeants ainsi que l’établissement d’un nouveau paradigme de pensée sociale et politique.

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Faisons le point après de longues semaines de manifestations. Un Président à vie est chassé, ses proches sont inquiétés et l’institution militaire vacille un peu par des têtes qui tombent. Oui mais on nous place un Président par intérim et le calendrier de la vie politique reste éternellement entre les mains du chef d’état-major de l’armée.

Si cela est une révolution, je suis le prophète des terres invisibles.

Pourtant, il ne s’agit pas de propos pessimistes, cette jeunesse m’a rendu une partie de mon âme algérienne que j’avais perdue. Elle est magnifique et elle peut encore gagner car elle possède la foi en ses rêves. Et les rêves, c’est une irrépressible puissance de l’être humain à aller de l’avant.

La condition est simple pourtant, revenir à la notion de révolution. Elle ne peut en aucun cas être seulement la conséquence d’une rage et d’un projet de renverser la table. C’est une attitude qui peut paraître impressionnante mais elle finit toujours par une déception qui ramène à l’état initial, dans le meilleur des cas.

Les jeunes Algériens, spontanés et enthousiastes, n’ont jamais vécu dans la démocratie et pensent qu’elle est le fruit d’un basculement populaire. Il n’en est rien, en tout cas pas seulement. La démocratie est un très long et très dur chemin qui nécessite un projet mûri et une organisation de pensée et d’action. Elle n’est visiblement pas naturelle dans la culture algérienne car étouffée depuis bien longtemps, bien avant la naissance de ces jeunes et admirables algériens.

Il aurait fallu que ces jeunes s’organisent, dès le début, hors institutions. Il aurait fallu que naissent mille forum pour produire un texte commun avec quelques idées fondamentales, débattues, après de nombreuses concertations et même de batailles, de rudes confrontations si cela est nécessaire.

La démocratie, c’est difficile car ses débuts peuvent être chaotiques, tumultueux et on a toujours l’impression que c’est le désordre et les chicaneries qui l’emportent. C’est pourtant cela qui est sa naissance, une gestation dans la douleur.

L’Algérie a trop longtemps vécu dans un ordre de pensée stable, immuable et doctrinaire. Le débat démocratique, c’est souvent de l’empoignade verbale, des déchirures et des mots qui dépassent parfois la pensée. La démocratie, c’est la gestion des différences et des oppositions dans un climat apaisé au mieux possible.

Les jeunes Algériens ont perdu des mois et des mois en ne prenant pas ce risque et n’ont produit aucun texte, pas la moindre base qui aboutirait, au fil des mois à venir, à un éventuel minimum de consensus pour cette 2è république, tant évoquée.

Il en est de même pour l’émergence des hommes capables de représenter un mouvement diffus et lui donner une certaine incarnation. Comme pour les gilets jaunes, aucun débat, aucune manifestation de paroles n’a pu faire émerger ces hommes.

Au final, une certaine peur du désordre s’est emparée d’une partie du peuple algérien, c’est à dire la majorité qui n’a pas manifesté, celle qu’on n’a pas vus, pas entendus. Et lorsque la peur du néant est perceptible, que font les êtres humains ? Ils se réfugient entre les bras de ceux qui possèdent assez de force pour la stabilité et la protection. En clair, encore et toujours, les militaires.

Ce mouvement a permis à l’état-major de se débarrasser de clans qui les gênaient, c’est pour le moment la seule victoire tangible, celle des généraux.

Il est encore temps que fleurissent des milliers de débats entre les jeunes afin de construire une idée de ce qu’ils veulent, une feuille de route posant les nouvelles valeurs de la seconde république. Tout le reste s’écoulera naturellement avec l’émergence des hommes qui les porteront haut, au nom de cette jeunesse.

Que veulent-ils comme valeurs ? Quelle est leur opinion sur un régime militaire qui gouverne ? Quelle est leur conviction sur l’égalité hommes-femmes, sur la laïcité et les différences entre les êtres humains en tous identifiants de leurs choix et de leurs cultures ?

Tout cela est essentiel avant de vouloir combattre un régime militaire, bien installé et auquel on redonnerait les clés d’un nouveau bail si ces grandes questions ne sont pas débattues.

Chanter, danser et hurler ses convictions, c’est le propre de la jeunesse et c’est magnifique. Il faut cependant qu’elle se rende compte que la démocratie, c’est avant tout un exercice intellectuel par lequel il faut rechercher au plus profond de son instruction et de son âme les mots, les réflexions et les attitudes qui s’imposent pour la construire.

Autrement, leurs slogans sont sympathiques mais j’ai crainte que cela se soit déjà vu mille fois dans l’histoire sans que les régimes autoritaires ne basculent définitivement.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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