19 avril 2024
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La constituante (II)

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La constituante (II)

2. Par des propositions sur le fond

Dans le premier volet de cette contribution, nous avions évoqué le processus qui fondait l’apparition d’une « Assemblée nationale constituante », véritable expression historique. C’est à chacun, lors du débat, d’exprimer les principes fondamentaux qu’il rêve de voir régner en Algérie. Ce texte consiste à présenter les miens. Ils n’auront que cette très modeste valeur.

Dans les réseaux sociaux, de très nombreuses personnes me proposent une multitude de points, dans un enthousiasme débordant, ce qui me ravit. Deux remarques préalables avant de  proposer les miens, à mon tour.

La première consiste à  se rappeler que les dictatures ont toujours eu des constitutions magnifiques. A l’exception de quelques points, radicalement éloignés de ma position personnelle notamment la référence à Dieu, la constitution algérienne est la parfaite copie de très nombreuses constitutions de pays démocratiques, notamment francophones.

Il ne faut donc pas  perdre son temps avec des expressions qui y figurent déjà et qui ne posent aucun souci : liberté, égalité, justice, etc. Ces notions ne sont pas à remettre en cause.  Il faut seulement les rappeler dans le débat pour se convaincre de ne jamais s’en séparer mais ils sont acquis

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Ma proposition se focalise sur des points fondamentaux qui créent un changement par rapport à l’existant et qui sont suffisamment forts pour être l’objet du débat actuel.

La seconde remarque consiste à rappeler qu’en communication politique, c’est la concision qui est retenue. Les points sur lesquels la communication doit porter doivent être forts et peu nombreux. Le reste est important, bien sûr, mais il n’est pas trop l’affaire d’une foule. Et, en même temps, ce n’est pas seulement une affaire de juristes, certainement pas.

Proposition 1 : Laïcité

La religion doit être sortie de la constitution où elle n’a rien à y faire sinon des dégâts irréparables. La religion est l’affaire des consciences personnelles et la laïcité représente la défense de ces convictions, pas leur ennemi. Si elle la sort du champ collectif, c’est pour la préserver des autres libertés concurrentes. Ainsi, moi, l’athée, je ne pourrais pas lui faire de mal (ce n’est vraiment pas mon intention mais ça me titille parfois, je dois être retenu par la laïcité qui me l’interdit).

Des religions, il y en a beaucoup, de toutes natures, il est impossible que l’une soit légalisée au détriment des autres qui seraient frustrées et opprimées. Demandez aux catholiques algériens ce qu’ils en pensent ? Car personne n’est dupe, si vous déclarez la « liberté de conscience et de culte », c’est hypocritement la religion majoritaire, soit l’Islam,  qui écrase toutes les autres consciences.

Si les citoyens croient en quelque chose d’invisible, grand bien leur fasse, qu’ils organisent leur regroupement et le finance avec la protection des lois républicaines et donc, qu’ils respectent les autres, tout autant protégés par ces mêmes lois.

Proposition 2 : citoyenneté entière aux femmes

Que les religieux croient librement en leur religion mais il n’est plus possible de laisser la moitié de la population sous une tutelle moyenâgeuse insupportable et contraire à toutes les règles de l’humanité moderne.

L’abrogation de l’épouvantable code de la famille n’est pas d’ordre constitutionnel mais il rend la proclamation de l’égalité hommes-femmes, inscrite dans la constitution, sérieuse et réelle.

La page de cet égarement atroce de la société algérienne doit être tournée et oubliée à jamais.

Proposition 3 : le fédéralisme

Une langue et une culture présentes durant des siècles sur un territoire ne se discutent pas. Elles sont les nôtres, un point c’est tout. C’est, bien entendu, la raison de cette proposition qui pourrait avoir d’autres vertus par ailleurs.

Pour avoir milité pour cette cause depuis tant d’années, je sais que le mal est profond et que la légalisation du Tamazight, loin d’avoir réglé le problème, menace son emprisonnement.

Raison pour laquelle il faut risquer autre chose, déjà proposé il y a trente ans, soit le fédéralisme. Une langue et une culture doivent posséder une base anthropologique solide pour perdurer lorsqu’elles deviennent minoritaires au fil de l’histoire (qui n’est de la responsabilité d’aucun contemporain).

Le fédéralisme est le meilleur moyen de leur donner cette base anthropologique dans les régions où il est possible de la décréter comme langue des documents et des rapports publics administratifs (en même temps que les autres). Reste l’épineuse question du découpage territorial. Pour une fois, pourquoi ne pas se baser sur l’existant, soit celui des wilayas en concevant des regroupements, par exemple.

C’est un pari risqué, je le sais bien. L’exemple catalan nous est rappelé et je ne milite pas pour un séparatisme.

Mais si on ne peut pas construire une nation avec un fédéralisme qui permette l’épanouissement de nos compatriotes, c’est que cette nation n’a pas de bases solides et il faut en tirer les conclusions.

Proposition 4 : construction du grand Maghreb

C’est un enjeu fondamental pour l’Algérie. Il faut que les Algériens arrêtent de tomber dans les pièges de la dictature militaire dont le fantasme de « l’ennemi extérieur » est le plus florissant de tous.

Construire le Grand Maghreb n’est en rien la dissolution des peuples en une seule entité, certainement pas. Ce chantier serait le pari le plus optimiste qu’il soit possible de construire. L’Algérie a besoin de rêves.

Proposition 5 : abolition de la peine de mort

C’est certainement la proposition la plus symbolique mais tellement marquante d’un pays qui veut rejoindre l’humanité.

Il y a des symboles forts qu’un peuple peut proclamer, la suppression de la peine de mort en est un des plus attendus.

Proposition 6 : juger le régime militaire et les milliardaires offshore

Ce dernier point n’est pas à intégrer dans la constitution. Mais nous parlons du processus constituant et non seulement du texte final.

La justice n’est pas la vengeance. Tous les pays qui ont mis cette question sous le tapis l’ont vu resurgir avec une force destructive. Juger les officiers supérieurs de ce régime (de toutes les époques) et les barons politiques qui l’ont couvert et servi ainsi que les milliardaires qui se sont gavés avec son appui, c’est la garanti d’un futur apaisé pour une société qui a été spoliée et terrorisée. La justice des démocrates n’est pas celle d’un régime militaire, aux ordres, les magistrats feront la part des choses.

Et puis, il ne faut jamais l’oublier, l’un des outils des démocrates et des juristes humanistes pour apaiser les plaies d’un passé douloureux, c’est l’amnistie (pour les moins responsables).

L’amnistie, oui, mais après le passage de la justice. Sinon qu’aurions-nous à dire, pour la construction d’un droit pénal légitime, aux futurs délinquants et meurtriers. Quelle base solide aurait le système pénal de la seconde république ?

En conclusion générale, chacun aura peut-être un sentiment que le texte constitutionnel n’est jamais la solution miracle. Mais chacun le sait depuis un demi-siècle, ne pas se risquer au pari est la garantie d’une perpétuation de l’existant.

Dans ce cas, pourquoi autant de chahuts dans les rues, encore une fois ?

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene, enseignant de droit

 




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