26 avril 2024
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La gestion de l’économie et la question de la légitimité du pouvoir (*)

POINT DE VUE

La gestion de l’économie et la question de la légitimité du pouvoir (*)

Un système de gouvernance pathologique dans lequel personne n’est responsable de rien et où tout le monde est supposé coupable de tout .

Dans  leur signification profonde, « l’entreprise » et la « gestion » se présentent différemment selon les milieux socio-économiques et les époques dans lesquelles elles se situent, selon les systèmes politiques qui les sous-tendent et les hommes qui s’en préoccupent. L’entreprise publique algérienne constitue une réalité omniprésente dans l’expérience de développement et dans l’édification d’une économie se voulant indépendante menées par le pays depuis cinq décennies.

Elle se situe au point de rencontre des principaux problèmes  du monde contemporain, notamment dans un pays en pleine mutation, qu’il s’agisse du fondement et de l’exercice du pouvoir, de ses réactions face aux pressions internes et/ou aux contraintes extérieures. La construction de l’Etat était l’effort le plus important, le plus immédiat. L’Etat est souvent présenté‚ uniquement comme un organe au service d’une force sociale dominante dont il suivrait fidèlement les orientations.

Derrière le groupe social au pouvoir se constitue une sorte de bourgeoisie d’Etat qui valorise idéologiquement le secteur public et le prestige du grand commis de l’Etat. Le pouvoir a fondé la croissance économique et son dynamisme sur les formes d’un Etat autoritaire. Sous  prétexte de la construction d’un Etat fort, l’Algérie a renforcé le pouvoir central, une concentration excessive, une bureaucratie pléthorique …Au lendemain de son indépendance, les dirigeants algériens appelaient à l’unité nationale. L’option pour la centralisation était justifiée au nom de cet impératif suprême admis sans discussion.

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La concentration du pouvoir politique au profit du chef de l’Etat était présente comme un moyen  d’accélérer le processus étatique de développement économique. Le régime militaire issu du Coup d’Etat du 19 juin 1965, loin de rompre avec cette conception, se présentait comme le garant le plus efficace de l’unité nationale, de la consolidation de l’Etat, et du développement économique et social du pays.

Sa conception hiérarchique s’accordait parfaitement avec le modèle de l’Etat totalitaire. En cumulant les techniques d’encadrement du Parti Unique et de la discipline des armées, l’Etat militaire devient l’Etat militant. Cet Etat qui veut tout faire, tout entreprendre, tient à tout diriger, à tout imposer d’en haut ; tout doit passer par l’Etat, tout doit converger vers lui, tous doivent agir avec lui et sous son contrôle. La construction d’un Etat « un et indivisible » permet de justifier les méthodes les plus autoritaires.  

Les entreprises publiques vont devenir dans ce contexte des appareils de légitimation du pouvoir et des intérêts qu’il représente. La gestion des entreprises publiques en Algérie ne se pose, à notre avis, ni en termes de techniques de planification, ni en termes de restructuration, ni en termes de management, mais en termes de légitimité du pouvoir. Tout pouvoir puise sa légitimité dans un principe, et quand ce même principe se trouve contredit par la réalité ce pouvoir est amené à le modifier, afin de développer un nouveau discours légitimant son action. Selon quels principes, peut-on dire que tel pouvoir est légitime et tel autre ne l’est pas ? En d’autres termes quels sont les critères de légitimité ? Ces critères sont-ils à rechercher dans les sources du pouvoir, dans ses finalités, dans ses instruments ou dans les méthodes employées par le pouvoir ?

Plus encore, l’Etat ne refuse-t-il pas implicitement le principe d’une gestion efficace du secteur public pour le maintenir sous son contrôle ? Celui-ci n’évolue-t-il pas dans un environnement économique, social, politique et financier imposé par les pouvoirs publics ? Autrement dit, l’entreprise publique est-elle servie par une politique ou sert-elle une politique ? Quelle politique ? Et au profit de quel intérêt ? Quelle est la nature des relations qui lient l’entreprise publique … l’Etat ? Notre problématique s’appuie sur deux hypothèses intimement liées que nous tenterons de vérifier tout au long de  nos développements :

1) les relations Etat-Entreprises  sont fondées sur une double rationalité contradictoire que l’on peut qualifier schématiquement, l’une de politique, l’autre d’économique ; la première dominant la seconde. En effet, tout se passe comme si la rationalité économique était un discours, la rationalité politique, une pratique. L’orientation économique de l’Etat est soumise au pouvoir politique et de façon plus précise aux rapports de forces qui structurent ce pouvoir politique. Cela signifie en clair, que la prise en charge du procès de travail et/ou de valorisation du capital étatique est second par rapport à la maîtrise du pouvoir politique.

2) les rapports Etat-entreprises publiques sont fonction de l’importance de la disponibilité d’une rente pétrolière et gazière et des possibilités d’endettement externes qu’elle permet. Elle conforte  l’entreprise publique dans sa position de rejet de tout calcul économique et elle facilite la médiation et les arbitrages politiques de l’Etat en vue d’assurer la paix sociale permanente, enfin elle pousse à l’acceptation « docile » par la population de l’ordre établi.

Ce rejet du calcul économique par l’entreprise publique n’est-il pas  de nature politique par le fait qu’il privilégie :

– l’appel accéléré … de nouveaux investissements de l’étranger au détriment de la préservation et de l’exploitation des moyens de production disponibles localement ;

– le recours systématique… l’extérieur au détriment de l’intensification des échanges intra et inter sectoriels ;

– la réalisation planifiée de la production  au détriment de sa réalisation marchande.

De façon plus générale, cette problématique peut se résumer dans les termes de l’alternative suivante :

– doit-on persister … croire que le développement est seulement un processus d’accumulation économique et de transformation sociale dans lequel l’Etat se substitue… la société civile, en l’écrasant si besoin est ?

Ou

– doit-on admettre à la lumière de l’expérience des cing dernières décennies que le développement est précisément l’épanouissement de cette société civile le auquel l’Etat doit certes contribuer mais ne jamais entraver ? Il est vrai que l’essentiel de l’effort de développement est supporté par l’Etat, propriétaire exclusif,  entrepreneur dominant et puissance publique omniprésente. Ce cumul des fonctions n’est-il pas à la source d’abus, de gaspillage, et de détournements ? C’est peut-être une erreur que de concentrer l’ensemble des ressources et des pouvoirs entre les mains de l’Etat ? C’est peut-être également une gageure que de laisser supporter l’essentiel de l’effort de développement par l’Etat, et par l’Etat seul ? D’un autre point de vue, la société n’a-t-elle pas donnée‚ implicitement un mandat total et sans limite à ses dirigeants ? Ne leur a-t-elle pas signé un chèque en blanc ? Peut-on parler de société civile au sens moderne du terme ? L’Etat peut-il servir d’instrument de modernisation  en dehors des besoins et des valeurs de la société dont il est issu ? L’Etat peut-il faire l’économie d’une mobilisation des populations … des fins productives ?

L’existence précaire d’une rente énergétique peut-elle épargner la population d’une exploitation capitaliste en vue de dégager une plus value interne susceptible d’être investie localement ? N’est-il pas vrai qu’à la base de la stratégie de développement retenue, il y a une rationalité macro-économique globale et lointaine ? Ce calcul macro-économique ne s’oppose-t-il pas à l’application de critères micro-économiques compatible bien évidemment avec l’utilisation du coût minimum ou profit maximum comme critères de sélection des activités ?

Les relations « entreprises publiques-Etat » ont toujours été dominées par des ambiguïtés ; ces ambiguïtés ne sont-elles pas dues au système socioéconomique  dominant ? Les fondements de ce système ne résident-ils pas dans l’incontestabilité des hommes au pouvoir et l’impérativité de leurs décisions ? C’est dire l’importance du choix des alternatives et de la libre alternance ? Parce que à la fois propriétaire et bailleur de fonds, le rôle omniprésent et omnipotent de l’Etat ne se trouve-t-il pas privilégié ? Plus encore, un tel système n’avait-il pas la prétention de tout régir, tout entreprendre, sans encourir le moindre risque, la moindre sanction ? Si l’Etat et la société sont assimilables à une maison, il faut une première personne pour la « vouloir », une seconde pour la « concevoir », une troisième pour la « construire » et une quatrième pour « l’occuper ».

La viabilité d’un édifice dont le propriétaire, l’architecte, l’ingénieur, le maçon, le peintre, le plombier, l’électricien, le décorateur seraient une seule et même personne n’est pas toujours assurée, peu d’hommes en peu de temps peuvent réunir en eux l’ensemble de ses talents. Aussi conviendrait-il d’instaurer une certaine division de travail, chacun s’efforçant de bien faire son «petit métier».  

A. B.

(*) Extraits d’une thèse de Doctorat d’Etat en sciences économiques sur le thème de la gestion de l’économie nationale et la question de la légitimité du pouvoir en Algérie  soutenue par l’auteur au milieu des années de braise à l’Université Centrale d’Alger devant un jury présidé par le professeur Hocine Benissad. Pour des raisons qui lui sont propres, le professeur Goumiri a refusé de faire partie du jury

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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