23 avril 2024
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L’Algérie, Novembre et la Bastille

Novembre ou ce qui nous reste

L’Algérie, Novembre et la Bastille

Le voilà qui récidive, félicitant Hollande d’avoir su « reconnaître les sacrifices du peuple algérien et son attachement aux idéaux de liberté qui lui ont permis de recouvrer chèrement son indépendance et sa souveraineté et de participer au recouvrement de la liberté du peuple français ».

« Participer au recouvrement de la liberté du peuple français » ! Le président algérien reprend à son compte l’interprétation officielle française de l’évènement que nous évoquions hier. : les martyrs algériens de la Grande Guerre ne deviennent plus, sous la plume du chef d’Etat algérien, que des auxiliaires offrant leur vie pour la « liberté » d’une nation qui colonisait la leur !

Abdelaziz Bouteflika, « brillant ministre des Affaires étrangères », « brillant chef d’Etat », relaie la formulation de la diplomatie française – laquelle est dans son rôle – et condamne ses martyrs à figurer dans l’histoire comme écuyers de l’armée française, alors que tout l’invitait à la retenue. Tout : l’égard dû à nos morts, la considération de la nation, le respect de sa fonction et, bien entendu, les faits historiques. La Grande Guerre n’a pas été une guerre pour « la liberté du peuple français » mais un conflit entre deux blocs (la Triplice et l’Entente) qui s’affrontaient pour la suprématie coloniale. L’Allemagne voulait sa part des conquêtes coloniales, Guillaume II rêvait d’un destin mondial et tout cela a donné naissance à une guerre meurtrière commandée par l’orgueil du Kaiser et la vanité du tsar, une guerre causée par les mauvaises humeurs royales, soutenue en Allemagne par des intellectuels, artistes, philosophes, médecins, et même des prix Nobel, qui apportaient leur caution à l’empereur Guillaume II au nom de la défense de la civilisation allemande et de « l’héritage de Goethe, de Beethoven et de Kant ».

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Il ne suffit donc pas que nos Djilali, nos Mohamed, fussent livrés à un enfer commandé par la folie, la folie de Guillaume II, défiant son cousin Nicolas II de Russie ; la folie des empires ressuscités, la folie ottomane, ou celles aux couleurs française, italienne et britannique ; il ne suffit pas qu’ils soient abandonnés dans Verdun, fosse commune de la vanité humaine ; il faut encore qu’un siècle après leur mort, ils soient la proie d’une malhabile rhétorique diplomatique, semblable à ce lyrisme de croque-morts qui avait accompagné leurs derniers jours, quand Pétain, rivalisant de métaphores, encourageait l’hécatombe en glorifiant « Verdun, boulevard moral de la France ».

Notre ignorance de l’histoire nous a fait calomnier notre temps, a dit Flaubert.

Alors laissons l’histoire se faire et ne profanons plus la solitude de ces soldats. Ils ne sont pas de ce monde politicien, même si la tentation est grande de vouloir les récupérer au profit d’une chapelle, d’une stratégie de l’instant ou d’une ethnie politique.

Ces hommes sans patrie et sans destin n’appartiennent à personne.

Ils sont de la race des libérateurs du monde : éternels, anonymes, généreux. Ils ne sont pas accessibles aux intrigants ni aux excités qui, eux, ne comprendront jamais rien à la profondeur du dévouement. Retenons de Bachelard que l’histoire humaine « peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. »

Il faut alors aux prêtres de la xénophobie parisienne et aux muftis algériens de la « pureté révolutionnaire », ceux-là qui suffoquent d’indignation que trois officiers algériens paradent sur les Champs-Élysées, « chez nous ! », hurlent les uns, « chez eux ! », crient les autres, il faut à ce petit monde de camelotiers de la politique, ajouter un peu de légende pour supporter leur propre histoire. Oui, la supporter telle qu’elle rayonne sur l’humanité, pas telle qu’ils l’imaginent.

Il faut aux uns et aux autres, à ceux qui s’indignent de « la profanation du sol français » comme à ceux qui parlent « d’atteinte aux chouhadas », il leur faut admettre qu’il n’est ni scandaleux ni hérétique de marquer le 14 juillet 1789 parce que cette date n’est pas qu’une date française, encore moins un vestige colonial : c’est un legs pour l’humanité qui avance, depuis, vers la liberté. La prise de la Bastille, dépôt d’armes et symbole de l’absolutisme royal, c’était le signe de la prise de conscience par le peuple de sa puissance et sa capacité à imposer sa volonté lorsqu’il est uni. Du 14 juillet 1789, nous avons gardé que “pour la première fois, le peuple est apparu plus fort que les rois »(Mistler) ; nous avons retenu de la Bastille que le roi cessa d’être souverain “par la grâce de Dieu”, mais par la volonté du peuple et que la volonté du peuple devait se traduire par une Assemblée constituante, élue par le peuple, qui rédigerait une constitution conforme aux vœux du peuple et désignerait un Etat juste et démocratique.

C’était cela la révolution : le pouvoir passait juridiquement des mains du Roi à celles de la Nation. Ou du colonisateur à un Etat indépendant et démocratique. Nous, Algériens, ne l’avons jamais oublié : C’est de cela, des leçons du 14 juillet, de la Bastille, de la révolution de 1789, que s’est nourri le premier parti indépendantiste algérien, six ans à peine après la Grande Guerre. L’Etoile nord-africaine revendiquait l’indépendance mais aussi une Assemblée constituante afin que l’Algérie libérée ne retombe pas entre les mains des maquereaux.

A Bruxelles, en 1927, quand Messali lut la revendication d’indépendance rédigée avec sa compagne Emilie Busquant, fille de syndicaliste se revendiquant de la Révolution de 1789, et à qui l’on doit le drapeau algérien, il définissait ainsi la future Algérie : une nation moderne et musulmane, fondée sur le modèle de la Révolution française de 1789. Ce qui était clairement revendiqué, c’est le départ des institutions coloniales, les délégations financières, et leur remplacement par un Parlement élu au suffrage universel, une Assemblée constituante souveraine qui désignera un État démocratique.

Emilie avait aidé Messali à bâtir une organisation nationaliste révolutionnaire qui soit à cheval sur la Révolution française de 1789 et de la Commune et l’islam, un mouvement nationaliste révolutionnaire dont ils seraient, en tant que couple, la préfiguration, eux que tout paraissait opposer, elle la Française, lorraine, venant d’un milieu ouvrier anarchosyndicaliste et lui, sujet colonial, indigène, turcophile et musulman.

Mais en luttant pour l’indépendance d’un pays colonisé par sa propre patrie, Émilie contribuera à créer cette France républicaine, antifasciste, anticolonialiste ! Elle ressentait comme un lourd embarras d’appartenir à un peuple amnésique, celui-là dont les aïeux s’étaient soulevés pour la liberté et l’indépendance en 1789 et qui acceptait de voir soumettre un autre peuple à l’abaissement. C’est devant des milliers de personnes qu’elle le déclara, en novembre 1934, dans un meeting à la salle de la Mutualité, organisé par l’Étoile nord-africaine en réaction à l’incarcération de ses dirigeants. « Le peuple français n’a plus le droit de rester indifférent au sort de 15 millions de Nord-Africains sur qui pèse une exploitation honteuse. Je parle en connaissance de cause : je suis allée en Algérie, je suis restée trois mois, j’ai vu la misère, j’ai vu défiler par centaines des mendiants, femmes, enfants, vieillards, malades squelettiques, comme des morts vivants. Il y a près d’un million d’enfants qui ne trouvent pas de place à l’école et qui sont livrés à la rue. Le rôle de l’indigénat, les mesures d’exception font du peuple algérien une proie livrée pieds et mains liés au colonialisme. Cela, le peuple français ne l’acceptera pas, lui qui a fait la révolution de 1789 pour briser les chaînes monarchiques qui l’étouffaient et pour donner la liberté à tous les peuples. »

Du reste, la France révolutionnaire et les Algériens colonisés se sont souvent rencontrés. C’est dans la maison du chef communard Eugène Mourot, dans le vingtième arrondissement de Paris qu’a vécu, jusqu’à sa mort, l’insurgé algérien Aziz Haddad, le fils du chef de la confrérie religieuse qui avait déclenché l’insurrection d’El-Mokrani de 1871 en Kabylie ? Ils s’étaient connus au bagne de Nouvelle-Calédonie.

L’histoire nous enseigne que durant la Commune de Paris (1871), bien des Turcos, ces tirailleurs algériens enrôlés au sein de l’armée française que les stratèges bourgeois recrutaient en masse dans l’espoir d’avoir des troupes dévouées qui lui assureraient la « maîtrise de la rue », ont préféré les gens de leur classe à ceux qui les avaient armés, et avaient basculé de l’autre côté des barricades.

Et c’est à une L’histoire de ce jeune homme venu de Tlemcen et de cette demoiselle débarquée de Lorraine, fille d’un ouvrier anarcho-syndicaliste, c’est le prototype des petites histoires fondatrices de la grande histoire, les histoires d’amour souvent, ou de camaraderie ou d’amitié dont on ne parle jamais mais qui sont à l’origine de tout. Sans cette rencontre de ce soir-là de 1923, peut-être le cours du mouvement national aurait-il été tout à fait autre.

C’est tout cela que les trois militaires algériens paradant un certain lundi 14 juillet à Paris, ont croisé sous cet arc de triomphe où était inscrite, depuis le 14 juillet 1790, un an après le déclenchement de la révolution française, cette magnifique bravade :

« Nous ne vous craindrons plus

Subalternes tyrans

Vous qui nous opprimez

Sous cent noms différents »

C’est ce cri qui résonna, plus de deux siècles plus tard, aux oreilles de la jeunesse tunisienne qui, à son tour, revendiqua l’Assemblée constituante, la fin des privilèges…Elle l’obtint en 2011. On raconte que le roitelet Zine-Eddine Ben Ali, tel Louis XVI revenant de la chasse, s’était angoissé :  » C’est une révolte ? »

 » Non, sir, c’est une révolution »

M.B.

 

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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