20 avril 2024
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Le contrepoids de 24 crânes posés sur la balance de l’illégitimité

TRIBUNE

Le contrepoids de 24 crânes posés sur la balance de l’illégitimité

İnvité le dimanche 26 janvier 2020 à la radio Europe 1, l’historien français Benjamin Stora laissait entendre que le mouvement contestataire amorcé le 16 février 2019 en Algérie s’apparentait à une « Révolution » parce qu’il montre une direction, gage d’un dépassement se caractérisant par la libération de la parole.

Conjointement à celle-ci, les « hirakistes » voudront abattre certaines frontières mentales ou cognitives et briseront à ce titre les arrières portes de la mémoire pour revoir en profondeur les séquences magnétoscopes d’une hagiographie lissée sur les palliatifs du mensonge historique. En immersion ontologique, ces marcheurs sortiront des placards les portraits oubliés ou minimisés de Héros de la Guerre d’indépendance, brandiront des icônes que les dévots encartés de l’ « algérité pure » récupéreront dans l’optique de renouer avec l’affect des supers moudjahidine, de réactiver par là-même les sirènes de la repentance. Si les dizaines de déambulations rétroactives des « Vendredires » furent marquées du sceaux et saut éthique de la juste réhabilitation révisionniste, surfant sur les vagues rétrospectives ou aperceptives, quelques rentiers de la morale mémorielle, ou opportunistes du « Devoir de mémoire », s’attèleront à extraire des sables mouvants les souvenirs récursifs de la rédemption symbolique, plaideront en faveur d’une lecture spécifiquement interne des sources événementielles afin de combler à leur manière les « manques à être » du récit patriotique. Faire de celui-ci une chasse gardée, demeure le souci des gardiens de la commémoration martyrologique tant sa réappropriation identificatoire leur permet d’effectuer une nouvelle préemption, notamment en poussant Abdelmadjid Tebboune à décréter le 08 mai 1945 « Journée nationale de la mémoire ».

En capitalisant sur le massacre de Sétif, le chef de l’État délivrait une piqûre de rappel à son homologue Emmanuel Macron, sortait des dossiers polémistes sa déclaration algéroise de février 2017, lorsqu’il assertait que la colonisation fut un «crime contre l’humanité».

İnsistant pour sa part, le dimanche 02 février 2020, sur le fait que les Français avaient eux aussi « besoin d’avoir sur le sujet un moment de rappel historique et de vérification », qu’il « faudrait que nous ayons ensemble un travail de mémoire », Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, remettait sur pieds un Tebboune privé de légitimité historique et démocratique. En mauvaise posture, le locataire d’El Mouradia peut pareillement remercier son homologue français car leur échange téléphonique du 27 juin 2020 certifiait le transfert des restes mortuaires de 24 combattants algériens décapités entre 1838 et 1865 et jusque-là conservés au Musée de l’Homme à Paris. İl lui offrait, une semaine avant le 58ème anniversaire de l’İndépendance, une « sacrée assise », rien de moins qu’un piédestal panthéique confortant parallèlement le corps hiérarchique de l’Armée.

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Attaché à manœuvrer les leviers de la reconnaissance, à institutionnaliser par décret les séquences phares de la Guerre de Libération nationale, à faire de la mémoire un enjeu de pouvoir, il tente maintenant d’empêcher le rembobinage des compteurs de l’Histoire au point zéro, d’insérer ses pièces maîtresses dans la machine des anxiétés psychologiques, celles confinant depuis Juillet 1962 les autochtones aux bornages de l’ »isolationnisme victimaire ».

Beaucoup d’entre eux réclament un État civil et non militaire (Dawla madania, machi askaria), donc la primauté du peuple souverain, pensent que la dynamique de changement enclenchée avec la démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika ne se rapporte pas uniquement à ses deux décennies égocentrées. C’est bien les cinquante-huit années d’un régime rétif à toute autocritique et consolidé en vertu de l’unanimisme ou de la « thawabit el oumma » (l’assiduité de la communauté) qu’ils convoquent sans pour autant faire table rase des méfaits de la colonisation.

En découvrant en mars 2011, dans le cadre de ses travaux de recherche, les résidus sépulcraux des résistants algériens préservés dans les sous-sols du Musée de l’Homme de la capitale française, puis en réclamant à la suite leur restitution à l’Algérie, l’anthropologue Ali Farid Belkadi ne savait pas que le retour programmé (au vendredi 03 juillet 2020) sur le sol des ancêtres servirait à remettre en selle un homme en perte de vitesse en raison certes de la crise sanitaire et de la chute gastrique du prix du baril de pétrole mais aussi parce qu’il incarne lui-même un système finissant.

Cherchant à le régénérer, galonnés et civils du sérail ou de la nomenklatura vont utiliser à bon escient un rapatriement de crânes que facilitaient les antérieures 300.000 signatures obtenues à la suite de la pétition ouverte le 18 mai 2016 par l’enseignant en physique Brahim Senouci, lequel se réjouira sur les réseaux sociaux d’une « conclusion heureuse au bout d’une lutte acharnée de quatre années ».

Dans sa joyeuse allégorie, il signalera aussi que «l’affaire ne doit pas s’arrêter là. Les crimes de la colonisation doivent absolument être révélés au grand jour (…). İl faut que nos compatriotes soient conscients de l’ampleur de la tragédie qu’a été la présence française dans notre pays. Ce rappel des crimes abominables est rendu nécessaire pour que les Algériens retrouvent l’estime d’eux-mêmes et qu’ils intègrent dans l’imaginaire collectif la nécessité d’un regard apaisé, mais ferme, sur la tragédie qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui ».

Sûr que les décideurs du Haut commandement militaire recevront cinq sur cinq un message incitant les Algériens à « réfléchir à cette noble tâche qui leur rendra un sentiment de fierté ». Seulement, plutôt que de confronter les points de vue en compagnie d’analystes français, de trouver avec eux les éléments factuels de l’historiographie, les scribes de la sanctuarisation mythologique raviveront probablement les braises de la contrition de manière à ce que la « Famille révolutionnaire » puisse, après l’OPA opérée sur l’Histoire et la Mémoire, concrétiser celle visant le « Vrai-Hirak » algérien : dès lors, elle se fera valoir comme la génitrice de la « Nouvelle Algérie ».

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de la culture et de l’art

 




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