24 avril 2024
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Le défi perdu de Gaïd Salah, par Mohamed Benchicou

REGARD

Le défi perdu de Gaïd Salah, par Mohamed Benchicou

Les vendredis n’en finissent pas de se transformer en d’éclatants désaveux pour le chef d’état-major Gaïd Salah. 

Hier encore, le général qui s’est donné la mission de diriger l’Algérie a échoué lamentablement à interdire le rassemblement dans la capitale. La situation a même inspiré un slogan corrosif aux manifestants, : »Nous sommes venus en harragas à Alger ! », une façon de tourner en ridicule le dispositif qui devait les dissuader de marcher dans la capitale. Pire : des centaines de milliers de manifestants ont exigé le départ de Gaïd Salah.

Ce dernier pensait pourtant en avoir fini avec les manifestants et aurait même annoncé à des proches que ce 31e vendredi, sous l’effet des derniers emprisonnements d’étudiants et de cadres supposés du hirak auxquels s’ajouteraient le blocage des voies d’accès à Alger, serait le dernier vendredi du hirak. La cause était entendue : la révolution populaire était enterrée. Bien des amis, gagnés par le pessimisme, le croyaient. Inutilement arrogant, Gaïd Salah s’était même amusé à réduire le hirak à une « chardhima », une « horde égarée », qui perturberait « la quiétude du citoyen », des « agissements » orchestrés par « les relais de la bande, aux intentions malveillantes ».

Fièrement, il savourait à l’avance son triomphe, revendiqua la paternité d’un tel succès, dans un communiqué du ministère de la Défense [«j’ai donné des instructions à la Gendarmerie nationale pour faire face avec fermeté à ces agissements, à travers l’application rigoureuse des réglementations en vigueur, y compris l’interpellation des véhicules et des autocars utilisés à ces fins, en les saisissant et en imposant des amendes à leurs propriétaires »]. Ces décisions fermes, ajoutées au climat de terreur qu’avaient installé les arrestations arbitraires, étaient censées dissuader les manifestants de marcher dans Alger. Ce fut le contraire qui se produisit : la « horde égarée » est venue en nombre, ce 31e vendredi, criant des slogans hostiles au chef d’état-major dont le discrédit grandissant risque, hélas, de déteindre sur l’institution militaire.

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Ahmed Gaid Salah a-t-il conscience de la rivalité qu’il dresse entre le peuple et son armée ? Des millions d’Algériens ont envahi la rue dans une quarantaine de wilayas, ne redoutant ni les arrestations ni les bombes lacrymogènes. Rien n’a impressionné les manifestants, ni le cordon de sécurité entourant la capitale, ni les mises en garde du chef d’état-major, ni les interdictions de pénétrer dans Alger, ni les arrestations, ni encore moins les provocations de l’appareil policier…Ce 31ème vendredi, ils sont sortis en nombre, partout dans le pays, des millions d’Algériens qui ont crié leur opposition à aux élections présidentielles du 12 décembre, ce fut la grande défaite de Gaïd Salah.

Pendant des heures, les manifestants ont rappelé que l’avenir ne se décidera pas sans eux, exigeant la démission du chef d’état-major affichant une détermination intacte à aller jusqu’au bout de leurs revendications : le départ des dirigeants qui ont servi dans les régimes passés, un Etat rénové, moderne et impartial, un Etat de droit débarrassé des corrompus et des mandarins illégitimes.

La question se pose lourdement : Gaïd Salah est-il l’homme de la situation ? De toute évidence, le vice-ministre de la Défense, mal conseillé, n’est pas au fait de la situation. Son discours velléitaire et surranné, ses professions de foi inconstantes, son opportunisme et, surtout, sa façon de formuler une chose et son contraire, en ont fait un personnage versatile et peu crédible. Le chef d’état-major de l’armée ne répugne pas, en effet, à retourner sa veste autant de fois que cela est nécessaire.

Avant le mois de mars 2019, il était un des plus grands soutiens du cinquième mandat et du clan Bouteflika dont les agissements ne semblaient pas l’embarrasser outre mesure.

Trois mois avant la démission de l’ancien président, il proclamait solennellement : « Que tout le monde sache qu’il n’est autre tuteur pour l’Armée Nationale Populaire, digne héritière de l’Armée de Libération nationale, que les orientations de Son Excellence, le Moudjahid, Monsieur le Président de la République, Chef Suprême des Forces Armées, Ministre de la Défense Nationale. » On ne peut mieux exprimer son allégeance.

A ce titre, il s’en était pris aux premiers manifestants du 22 février, dans une sévère diatribe à partir de Tamanrasset avant d’enfoncer le clou une semaine plus tard dans un discours à Cherchell où il déclara voir dans les manifestants des groupes manipulés par la main de l’étranger. En avril, il se dédit et déclare sa flamme pour le peuple qui manifeste. Pas pour longtemps. En septembre, le voilà qu’il qualifie le hirak de « troupes égarées » et annonce avoir donné des instructions pour leur interdire de manifester dans la capitale.

L’institution militaire ne saurait persister dans cette inconstance qui retomberait nécessairement et négativement sur elle et sur le pays.

Regardons les choses en face : la gestion cahotante, arrogante et unilatérale de la crise politique par Gaid Salah a échoué. Les présidentielles du 12 décembre s’avèrent, d’ores et déjà, être une aventure aux conséquences incalculables. On l’a vu, le passage en force est ruineux. Il faut changer de stratégie sous peine d’être emporté par le tsunami. Ignorer la force du mouvement populaire, le mépriser ou l’infantiliser, ne servirait à rien. Le peuple est mûr et il s’agit de l’écouter avant de penser à le contourner ou à l’abuser. Il ne croit pas au Père Noël. Pourtant c’est ce qu’on lui dit à longueur de journée : « N’oublie pas de poser tes chaussures près de la cheminée !

Dans la nuit du 12 au 13 décembre prochain, le père Noël passera pour faire cadeau aux Algériens d’une société démocratique, pas une de celles, en toc, qui ne résisterait pas à la mauvaise humeur du premier Napoléon venu, non, mais une vraie démocratie, toutes options, avec Etat de droit, séparation des pouvoirs, élections transparentes et tout et tout. Bien des amis, en sont convaincus, en tout cas, au point de vilipender ce peuple ignare qui n’a aucune conscience de ses intérêts, communauté d’idiots qui s’apprêtent à boycotter un scrutin qui va les propulser dans la galaxie des démocraties. »

Tant pis pour vous », semblent nous dire les augustes membres de l’éphémère panel. On a toujours su à la place de l’Algérien ce qui est le mieux pour lui. Votez donc le 12 décembre, puisqu’on vous dit que le vote sera régulier et transparent, et que le régime converti à une soudaine probité se fera hara-kiri le 13 décembre à l’aube.

Pour ceux qui ont raté les derniers épisodes du hirak rappelons que ce régime dont on parle est celui-la même qui a mis en prison les étudiants et les jeunes manifestants dont le seul tort est d’avoir exhibé le drapeau amazigh ; ce qui convenons-en, n’est pas à proprement parler l’attitude d’un régime disposé à quitter la scène.

Mais faisons confiance à Slimane Benaissa, autre associé dans le panel, qui nous a tant enchanté avec sa pièce Babour Eghreq où l’on apprenait que jusqu’ici, les poissons votaient avec les électeurs pour nous expliquer par quel phénomène ces mêmes poissons ne voteront pas le 12 décembre prochain. 

 

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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