28 mars 2024
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Le jour se lève et le peuple se soulève au cri de Barakat !

REGARD

Le jour se lève et le peuple se soulève au cri de Barakat !

« Ce cri, en forme de pierre aigüe et son entêtement à bourgeonner… (poème de Tahar Djaout).

22 février 2019, Précoce et bienvenu printemps. Le jour se lève sur Alger baignant dans la lumière du pays si belle et si particulière. C’est vendredi, jour hebdomadaire de repos. Contrairement à l’habituel silence dans les rues de la ville, l’ambiance urbaine ne respire pas la torpeur des week-end. Mais en milieu de journée, au loin, sur les hauteurs de la ville, on entend des bruits qui, peu à peu se rapprochent du centre-ville. Le roulement sourd de ces bruits n’est autre que celui des foules bigarrées et joyeuses qui se dirigent vers des lieux emblématiques de la capitale, la Grande Poste et place Maurice Audin.

Les foules grossissent à vue d’œil, les rues noires de monde, les drapeaux, banderoles et autres pancartes flottent au-dessus des manifestants surpris par leur propre courage. Ils viennent de briser le mur de la peur, ils viennent de conquérir un espace public interdit, ils ne sont plus des anonymes au milieu de la foule, ils sont le Peuple qui se lève pour la même cause, ils ressentent et souhaitent les mêmes choses pour leur pays.

Femmes et hommes, jeunes et vieux, ils sont tous des enfants de ce pays à qui on a refusé le droit de rêver et de respirer. Ils ont gardé l’âme généreuse de l’enfance et en dépit de l’insondable temps qui passe, quelque chose tapi dans leur inconscient les fait sortir ce vendredi-là.

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Oui ce 22 février n’est pas un jour comme les autres. C’est une journée d’une divine surprise, rythmée par une jeunesse qui offre son sourire radieux pour nommer leur mouvement inédit et émouvant. Un peuple que l’on croyait converti à la passivité car tétanisé par la peur, inflige son premier coup de griffe à un système agonisant qui s’accroche aux basques d’un homme malade. Pareil coup de semonce dans tout le pays par des millions de manifestants devenait une nécessité pour un peuple qui veut rester debout, un peuple qui n’en pouvait plus de subir les oukases des hagarines. Sa réaction subversive et salutaire était la bienvenue dans notre pays devenu orphelin. Pays livré à la hogra, cadenassé derrière des murs, sevré de lumière et de souffle de la vraie vie, terre désertée peu à peu par sa jeunesse avide d’aventures… chez elle, hélas poussée vers des horizons à haut risque pour sa vie.

Oui ce 22 février est, fut pour tous un choc d’ivresse. Car tous, nous avions le sentiment d’habiter dans un trou noir. Personnellement j’avais une connaissance approximative du trou noir qui était pour moi un simple lieu obscur et profond. Mais quand j’ai su par la science que le trou noir de l’univers aspirait la lumière et le temps, je fus pris de panique. Peur que nos zombies n’entrainent le peuple dans ce trou noir, synonyme d’un voyage sans billet de retour.

C’est pourquoi le 22 février, comme tant d’Algériens, j’ai crié quelle chance, le peuple a arrêté la machine diabolique des zombies. Ce jour béni, la comète Algérie a été déviée de sa trajectoire, évitant ainsi de se faire avaler par le sinistre trou du néant qui appâte les ignorants. Pourquoi cette métaphore entre le 22 février, une date de la temporalité des hommes et le trou noir de l’univers ? Car à peine sortie des affres de la parenthèse coloniale, un système ‘’sans visage’’, au lieu de ranger dans le musée de l’histoire les armes et les manières de la clandestinité de la guerre de libération, les perpétuait pour contrôler et apeurer le peuple.

Au nom d’une légitimité dévoyée, le système persista dans la logique d’une gouvernance archaïque engendrant en son sein des zombies. L’un de ces zombies poussa le culot jusqu’à vouloir changer nos habitudes alimentaires d’une gastronomie millénaire et si délicieuse, celle de cette Méditerranée bordée de tant civilisations.

Devenus par le nombre des hordes, ces zombies s’attaquèrent à un peuple qui voulait vivre avec son temps et le revendiquait par mille et une petites choses. Nos zombies sentirent un ‘’danger’’. Pour conjurer cette menace fantasmée, ils passèrent à l’attaque. Des menaces de mort anonymes envoyées, des listes de victimes à abattre furent établies, des femmes et des hommes égorgés, abattus au coin d’une rue, tel était le décor de leur abattoir pour genre humain.

J’étais à Paris où me parvenait des échos de cette sale et lâche guerre qui frappait un peuple doublement épuisé. Par les atrocités coloniales encore fraîches dans sa mémoire et par les effets d’un système qui ne supportait que la soumission pour jouir de sa tranquillité.

A Paris, dans un estaminet du quartier Saint Lazare je rencontrais chaque semaine, Mourad Bourbonne, grand écrivain, un Jijeli dont le pays est fière, et un autre écrivain de passage dans la ville dite des Lumières. Des années plus tard, j’ai appris l’assassinat de cet écrivain qui était revenu vivre dans son terroir. Son nom est Tahar Djaout, un jeune homme doux comme le délice des mots de sa poésie. La nouvelle de sa mort me fit entrer dans le cercle des pessimistes et me fit douter durant des années de la puissance de l’art face aux nuisances de l’âme noire des zombies. Je me souviens de Tahar qui lui, puisait son optimisme dans son écriture enracinée dans une terre qui a connu tant de tragédies.

Voici un néologisme vendredire fabriqué, inventé par le 22 février qui aurait plu à ce poète arraché à sa femme et ses enfants mais aussi au pays…

Le peuple vendredira le temps qu’il faut

pour abattre le royaume des ténèbres

Avec la pierre aigüe et son entendement à bourgeonner. * (1)

Ali Akika. Cinéaste.

Note

(1) Un ver d’un poème de Tahar Djaout

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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