24 avril 2024
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Les cadres en Algérie : « Le téléphone sonne toujours deux fois ! »

REGARD

Les cadres en Algérie : « Le téléphone sonne toujours deux fois ! »

Le téléphone ? Un instrument qui vous sonne comme on sonne les domestiques .

L’accélération des évènements politiques en Algérie continue d’entretenir la confusion et l’inquiétude. Les regrettables voltes faces des uns et des autres contribuent gravement à accentuer les interrogations et à conforter l’écœurement généralisé. La dérive dans l’expression quotidienne touche aussi bien les discours que les concepts.

Que font ceux qui se sont investis dans le génie de la plume et des idées. Est-ce le regard qui s’éteint ou la plume qui se brise ? Pourtant ni la creuse magie du pouvoir, ni les vraies chimères des nantis du régime et encore moins le pathétique réveil des héros de la révolution ne doit nous faire renoncer à élucider un peu mieux les raisons de ce désarroi.

Trop proche de l’Etat et fort éloignée de la société, l’intelligentsia toutes tendances confondues a mis son savoir au service du pouvoir et ayant cédé aux attraits des fonctions d’autorité matérielles et symboliques, elle n’a pas cherché à formuler des questions esquivées par le discours d’autorité. Transformant sa réflexion en simple sous-traitante des décisions politiques, elle est devenue en revanche incapable de fournir des pensées libres et lucides, aptes à rendre compte de l’imaginaire collectif et des pratiques sociales.

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L’histoire recèle tant de leçons dans lesquelles bien de vérités ont déjà été énoncées, il suffit de se réformer dans ses attitudes et dans ses comportements. Il suffit de se regarder dans la glace sans rougir. Se remettre en cause et enquêter soi-même sur les avantages et les acquis d’une carrière artificiellement prospère que la jeunesse découvre et met à nu la mort dans l’âme puisque s’agissant de ses aînés que peuvent être ses parents ou ses grands-parents. C’est pourquoi la réhabilitation de la dignité de l’individu ne peut être restaurée que par la dépersonnalisation des rapports dans le travail c’est-à-dire le primat du professionnalisme sur le clientélisme voire le tribalisme. Pour que l’esprit de la civilisation moderne s’épanouisse, il faut qu’il y est une relation entre le travail et sa rétribution. Il faut que l’entrepreneur ou le travailleur ait le sentiment qu’une augmentation de ses efforts se traduira par une amélioration de son sort.

Or dans un pays où les revenus sont distribués selon des critères de proximité du cercle du pouvoir et/ou d’adhésion à une communauté d’intérêts, il devient difficile sinon impossible à un individu quel que soit son travail ou ses aptitudes d’accéder à un minimum de confort matériel sans prêter allégeance au prince du moment.et/ou sans donner des gages de compromission. En effet, tant que les relations personnelles avec la hiérarchie sont intéressées et donc intéressantes, nombreux peuvent être les avantages, les faveurs et les privilèges. Les techniques d’approche sont personnelles, la stratégie est commune. Le bénéfice est individuel mais le risque est collectif. « tu me prends par le ventre, je te tiens par la barbichette ». Il y a une solidarité de groupe.

Il y a point de réussite sociale en dehors du groupe. La personnalité de chaque individu se fond et se confond avec le groupe et devient un élément d’un tout disparate, précaire et révocable. Lorsque de telles relations envahissent tous les espaces et neutralisent toutes les fonctions, le pouvoir rentier distributif devient par voie de conséquence le régulateur exclusif de la société dans son ensemble.

La vie politique, économique, et sociale, s’organise autour de la distribution de cette rente à travers des réseaux clientélistes et de soumission au pouvoir politique. La société algérienne est fondée sur la négation de l’individu libre et elle fonctionne au commandement. Or une des défaillances de l’économie nationale réside dans l’irresponsabilité des vrais décideurs. Elle s’observe d’une manière presque caricaturale en Algérie. En effet, s’il existe un lien étroit et automatique entre autorité et responsabilité dans la logique d’un système libéral où la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est de rigueur. Il y a dictature, chaque fois que l’autorité est concentrée entre les mains d’un homme ou d’un groupe qui l’exerce sans responsabilité, sans contrôle, sans sanction positive ou négative.

De cette dialectique autorité/responsabilité résulte l’équation suivante : Autorité sans responsabilité se nomme dictature, responsabilité sans autorité se nomme anarchie, l’idéal démocratique serait de conférer l’autorité optimum assortie d’un maximum de responsabilité compatible avec l’intensité du pouvoir exercé.

Après plus de cinquante ans de gestion sans responsabilité, deux enseignements à tirer : la première, c’est que l’absence de toute  forme de responsabilité juridique de l’Etat vis-à-vis des opérateurs économiques privés ne pouvait aboutir qu’à un retrait voire une paralysie des interventions économiques privées ; la seconde c’est que la recherche tout azimut de l’engagement de la responsabilité de l’Etat débouche nécessairement sur une paralysie des opérateurs économiques publics d’où le gel en définitive par l’Etat du mouvement historique de la formation économique et sociale.

Minées d’emblée, et à tous les niveaux par des comportements plus proches de la jouissance individuelle de privilèges acquis par le réseau de cousins que de la déontologie professionnelle, protégées de toute concurrence par leur situation de monopole, les entreprises publiques devinrent rapidement des machines à distribuer des salaires plutôt que des entreprises chargées de produire des biens et service de qualité tout en dégageant un profit.

Ces entreprises publiques furent donc en réalité le cadre de la redistribution de la rente pétrolière et gazière répondant ainsi aux vœux immédiats des Algériens et conférant aux entreprises publiques, malgré leur caractère autoritaire et arbitraire, une certaine légitimité qui ne devait pas survivre à l’adoption de mesures de rigueur et de discipline.

Comme, on le constate, l’Algérie indépendante s’est avérée impuissante à mettre en place des institutions économiques jouissant de la légitimité nécessaire pour fonder un principe hiérarchique et le respect de l’autorité. A tous les niveaux, ces entreprises publiques et les règles qu’elles édictaient furent incapables de s’imposer aux réseaux de solidarités fondées sur les liens de parenté. Profondément ancrés dans les esprits, ces réseaux se reconstituèrent très vite derrière le paravent des organigrammes qui demeurèrent les véritables canaux d’accession au pouvoir sur les ressources et sur les hommes c’est à dire au pouvoir de signature des recrutements, des commandes d’achats, des ventes, des dépenses et des licenciements. Les structures ne sont en réalité que des façades dissimulant des réseaux occultes et mouvants de relations lucratifs entre-  cousins. La persistance des solidarités communautaires fondées sur les liens de parenté semble bien être l’obstacle décisif à la construction d’une économie féconde et durable. En retour, cette solidarité d’occasion engendre un autre phénomène : celui du parasitisme lié à un certain contexte politique. En effet, quiconque détient une parcelle du pouvoir, qu’il soit Président de la République ou Directeur d’entreprise, tombe immédiatement à la merci des siens, de tous les siens. Par tous les moyens, celui qui détient une parcelle de la puissance cherchera à faire intégrer les siens dans le circuit du nouvel ordre politico-économique au risque de se laisser corrompre ou compromettre pourvu qu’il soit assuré d’être maintenu à son poste. Le tribalisme est par conséquent un obstacle à l’efficience de la gestion. Il nourrit sa clientèle en lui assurant une promotion économique et sociale.

Le phénomène des interventions par lesquelles est facilitée la promotion de tous ceux qui ne répondent pas aux critères objectifs et transparents s’accommode aisément de ce réseau de relations. Ces consultations se font en privé où sont prises nombre de décisions, le bureau ne servant plus que pour formaliser ce qui a été arrêté par ailleurs.

On pourra nous rétorquer que le phénomène des interventions existe partout. Tout à fait d’accord. Mais par ailleurs, l’on défendra dans le cadre d’une intervention le dossier de quelqu’un possédant de solides références parce la concurrence est serrée. Tandis que chez nous, l’intervention s’exerce en faveur de personnes ne jouissant d’aucune qualification. En outre, dans un système à circuits multiples et parallèles, il devient difficile de déterminer qui est responsable de quoi et devant qui. Il n’est pas exagéré de dire que l’entreprise publique est le lieu de l’irresponsabilité généralisée et institutionnalisée. C’est beaucoup plus une pratique qu’un principe de gestion édicté par le législateur.

Au niveau des entreprises, un changement d’un directeur général implique un changement du personnel d’encadrement ou des promotions nouvelles. Cette pratique de base verrouille le fonctionnement de l’entreprise et ferme la voie au recours à l’autorité hiérarchique immédiate. La confiance avant la compétence, comme pratique de nomination à des postes de responsabilité réduit ou élimine les voies de recours que pourraient utiliser les travailleurs en cas de conflit avec les chefs immédiats. La gestion du personnel (nomination, promotion, sanctions, récompenses) se réalise rarement sur la base de dossiers administratifs retraçant toute la vie professionnelle. Ces dossiers sont mal tenus parce qu’ils ne servent pas concrètement à la décision et ne sont utilisés que dans la perspective négative car pour sanctionner, il y a toujours un dossier.

Le principe de la confiance avant la compétence a été produit dans une atmosphère qui a transformé l’entreprise en un lieu de répartition. La transformation de l’entreprise en EPE exige une valorisation des compétences techniques et une réhabilitation du métier et du professionnalisme. Après cinq décennies d’assistance totale de l’Etat, l’entreprise est-elle capable de prendre en mains son destin et de mettre son personnel sérieusement et professionnellement au travail ? Si la question est simple au niveau de sa formulation, elle est par contre complexe au niveau de ses implications. 

Comment libérer ces énergies ? Rompre avec les liens d’assistance de l’Etat ? Devenir des travailleurs libres ? L’entreprise algérienne pourrait-elle réaliser cette mutation ? La réforme économique sur l’autonomie de l’entreprise envisage le rétablissement de la concurrence et de l’efficacité. Cependant des obstacles se dressent sur cette voie : le premier obstacle est d’ordre culturel. La société algérienne se caractérise par le « nous collectif » qui détermine le comportement individuel.

A la différence de la société capitaliste où c’est l’individu libre et différencié qui prédomine dans l’activité économique ; le second obstacle se trouve dans le système politique et institutionnel qui est fondé sur la prédominance de l’Etat sur la société.

Le tout s’inscrit dans un système économique qui tire sa richesse non pas du travail mais de la rente pétrolière et de l’endettement extérieur. Cette pratique a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale. La rente a constitué un soporifique en masquant toutes les insuffisances en matière de production et de gestion.  L’Etat en Algérie se caractérise par l’inefficacité de la gestion publique et ses corollaires : la violence interne et la dépendance externe. Même dans l’hypothèse favorable d’un pouvoir relativement stable, ce pouvoir se révèle largement impuissant à réaliser les objectifs qu’il s’est fixé, à cause de l’inefficacité de son administration et lorsqu’il parvient à réaliser ses objectifs, c’est au prix d’un gaspillage effrayant.

Cette inefficacité de la gestion étatique est due nous semble-t-il à l’incompétence et à la corruption des dirigeants qu’ils soient des dirigeants politiques ou des fonctionnaires. Cette corruption est d’autant plus importante, qu’à la corruption financière liée au développement de l’économie monétaire et marchande se combinent des formes de corruption qui trouvent leurs origines dans des solidarités plus ou moins tribales. Le loyalisme premier à l’égard de la famille engendre un népotisme qui imprègne les administrations. Le clientélisme, reposant sur l’échange entre personnes contrôlant les ressources inégales est partout roi. L’Etat en Algérie n’est pas l’équivalent de ce qu’il est en Europe, c’est une propriété privée. Il n’est pas l’émanation de la nation.

C’est en quelque sorte « un héritage ». Il  prend corps à partir de l’Armée et de l’administration et non d’une bourgeoisie ou de la classe ouvrière.. Il repose sur une rente et non sur une production. Un Etat qui se fonde sur la force et non sur le droit. Il s’agit en fait d’un détournement de l’Etat par les clans qui s’en emparent pour s’accaparer les richesses de la nation. L’essentiel du jeu économique et sociopolitique consiste donc à capturer une part toujours plus importante de cette rente et à déterminer les groupes qui vont en bénéficier. Il donne à l’Etat les moyens d’une redistribution clientéliste. Il affranchit l’Etat de toute dépendance fiscale vis-à-vis de la population et permet à l’élite dirigeante de se dispenser de tout besoin de légitimation populaire. 

  

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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