18 avril 2024
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Les discours du général Gaïd Salah et le public 

TRIBUNE

Les discours du général Gaïd Salah et le public 

L’espace public, c’est un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun. Cette idée prend naissance dans l’Europe moderne, dans la constitution des espaces publics bourgeois qui interviennent comme contrepoids des pouvoirs absolutistes. Ces espaces ont pour but de médiatiser la société et l’État, en tenant l’État responsable devant la société par la publicité, la Öffentlichkeit dont parlait Kant. A. Letourneau résumant l’Öffentlichkeit selon Jurgen Habermas. 

Il semble que le général recourt au discours presque quotidiennement pour combler un vide politique tant que les moyens mis à sa disposition le permettent pour faire la guerre à un ennemi qui n’existe pas. Le comble du défaut de l’armée algérienne réside essentiellement dans son incapacité à avoir un public c’est-à-dire une masse de sujets telle qu’elle est définie par la sociologie des sociétés modernes.

Le concept développé par la sociologie allemande est le produit de la dé-segmentation des liens de solidarité de la société traditionnelle. Au demeurant, la sociologie française représentée à la fin du XIXe siècle par Gabriel Tarde (L’opinion et la foule) s’est aussi préoccupé d’un point de vue physico-chimique du phénomène ondulatoire des faits sociaux au même titre que celle de Ferdinand Tonnies (Critique de l’opinion publique).

En partie, ces deux noms ont participé aux coté d’Emile Durkheim et de Max Weber au développement de la sociologie en Europe continentale. Au fait, l’observation sociologique rendait compte des nouveaux rapports sociaux du monde occidental en analysant le développement de nouvelles structures sociales toujours en rapport avec l’Etat. Importe les conditions de ce développement historique propre à chaque pays mais toujours est-il que c’est la naissance de la société civile qui est l’apparat tout désigné de ces structures sociales généralement admises comme l’interface oppositionnelle de l’Etat.

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Le cas propre du public occidental est similaire par défaut à celui de l’Algérie dans laquelle la société civile était jusqu’à récemment happée par les organisations de masse affiliées aux instances gouvernementales.  Justement, c’est cette aliénation des citoyens qui est pour une plus grande part la cause principale de l’avènement du 22 février 2019 ; Pour rappel, le pouvoir réel des militaires a voulu imposer la reconduction d’un président grabataire.

Cette date symbolique marque la rupture radicale de la société algérienne avec le modèle du FLN qui régit le pays depuis 1962. En effet, l’émergence de la contestation citoyenne et de sa durée dans le temps contribue à ne pas douter à donner à la société civile un poids considérable dans la relation qu’entretient l’Etat avec les citoyens. A l’aune de l’occupation de l’espace public par les Algériens se mesurent les acquis politiques et davantage de droits longtemps bafoués par les autorités du pays. On a qu’à voir les interdictions de réunion en public imposées par les autorités allant jusqu’à encercler les manifestants afin d’étouffer dans l’œuf toute protestation citoyenne et le blackout des médias sur tout qui touche de près ou de loin les revendications sociales et politiques. Ce derniers régis selon le modèle « stalinien » ne diffusaient que des images falsifiées d’un président malade tel un faiseur de miracles distribuant ici et là des logements à des citoyens triés selon la convenance de la propagande officielle.

Les portraits très officiels du président qui garnissaient la scène furtive d’un président absent, ont fini par être piétinés par la population en colère. A tel point que l’aigreur des uns et des autres s’est transformée en cris de colère puis en soulèvements envers un système désuet. C’est cette propagande comme arme de guerre utilisée par les autorités gouvernementales qui continue à sévir au point qu’un certain nombres d’images des Hirakistes ont été détournées au profit du pouvoir. On n’a qu’à voir non seulement le silence radio des médias officiels sur le hirak mais le plus insolent dans tout ça c’est le détournement par le général Gaïd Salah lui-même des slogans des manifestants qui pourtant ne cessent de lui dire : « Dégage Gaid Salah ».

En effet c’est un point crucial de la communication politique déployée par le régime qui consiste à récupérer les slogans et les images du hirak pour les détourner au profit de la communication de l’armée. Comme El Djeich l’organe officiel de l’armée n’arrive pas à convaincre, le général n’a pas d’autres moyens que de ruser pour capter l’intention des indécis qui hésitent pour une raison ou une autre à prendre position faute d’avoir une opinion franche.

C’est la bataille de l’opinion paradoxalement non pas nationale perdue d’avance qui pose un problème au général mais c’est l’ondulation mondiale de la révolution algérienne qui empêche de chef d’Etat Major et son entourage de dormir tranquillement. Certainement, les discours du général s’adressent à un public limité aux inconditionnels du régime, aux officiers et les soldats pris en tenaille par la grande muette.

La ruse communicante déployée par Gaid Salah qui consiste à minimiser l’ampleur du soulèvement populaire ne suffit pas à détourner le regard des observateurs au point qu’il faut en suivant les conseillers de l’armée en communication s’approprier coûte que coûte le Hirak comme ses acolytes l’ont déjà fait pour la guerre d’indépendance. Ils utilisent les mêmes techniques en dénonçant la Issaba comme au bon vieux temps du harkisme qui est une pure invention dilatoire pour museler les opposants au clan d’Oujda.

Cette manière de communiquer pose un vrai problème de définition au point que l’analyse traditionnelle de la «com politique» n’est pas opérationnelle pour déterminer les conséquences informationnelles sur les nouveaux systèmes de communication. Le dilemme repose principalement sur le détournement par le pouvoir algérien du hirak en adoptant une ligne de conduite de l’esquive sans vraiment faire valoir une méprise des manifestations.

L’effet contraire de la négation alimente une certaine positivité pour rendre crédible la communication du pouvoir algérien. Sans affronter directement le peuple, Gaid Salah s’emploie à dénoncer la Issaba pour esquiver le problème essentiel qui est celui de la légitimité populaire qu’il dénie en organisant des élections présidentielles que le peuple pourtant refuse. C’est au niveau de l’esquive comme art de la communication politique que se situe l’essentiel du discours du général. L’art de l’esquive est le moyen tout trouvé pour allier le mensonge à la perfidie de l’homme du pouvoir qu’est Gaïd Salah. Il résulte un amalgame de techniques de la communication pour pallier les insuffisances de la persuasion tant espérée et ce malgré les moyens considérables que détient le pouvoir algérien. 

Malgré tous les relais interne et externe qu’utilise le pouvoir algérien, il ressort que la dynamique populaire est plus forte qui à l’épreuve des faits bouscule les prétentions du pouvoir de l’Etat. Rien n’y est fait pour détourner la population de sa volonté de défaire totalement le système ou tout du moins à faire avorter les élections présidentielles voulues par le chef d’Etat Major. A tel point que la communication est devenue le cheval de bataille des autorités pour contrecarrer la volonté populaire. Forcément, les autorités déploient tous les moyens disponibles sans pouvoir apaiser la colère de la population. La grandiloquence oratoire qui surimprime le médiocre timbre du général ne suffit pas à calmer le courroux des citoyens et de plus, la méfiance générale de la population envers un régime rend inaudible le discours officiel d’autant que les figures imposées des candidats à la présidentielle sont pour la plupart considérées comme des marionnettes manipulées par le régime. Incroyable est le contraste entre la bonne humeur des personnes qui manifestent et la cruelle avidité des gens du pouvoir.

Les images sont sans équivoque. Alors qu’on assiste à des scènes de joie de la rue, les recroquevillés du système font pâle figure lorsqu’ils apparaissent dans l’espace public ce faisant réduit à quelques endroits étroitement surveillés par les forces de sécurité. Une des images saisissantes de la « campagne électorale » par l’ampleur du désastre qui attend le pouvoir est le désolant spectacle d’un candidat pleurnichant alors qu’il était justement à cet endroit pour avoir la bénédiction religieuse comme l’ont fait en catimini les autres candidats fantoches dans les zaouïas, A ne pas douter, la réappropriation de l’espace public par la population algérienne est un des acquis majeurs de la révolution en cours.

Cet acquis est à mettre à l’actif de la nécessité d’un espace d’expression hors de l’Etat, et il est seul lieu où la population expose ses problèmes. Cet espace est vital dans une société démocratique. Tout compte fait, le peuple algérien en s’appropriant l’espace public a gagné une importante bataille dans l’attente d’une victoire finale sur la mafia qui a fait mains basses sur le pays.

N.B. : l’Öffentlichkeit est selon J. Habermas le « Public » alors que les français le traduisent par « Espace public ».

Auteur
Fateh Hamitouche

 




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