28 mars 2024
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Les mandats de Bouteflika et les cartes du système

La contestation à l’épreuve   

Les mandats de Bouteflika et les cartes du système

Dans les premiers jours de la dynamique du vaste mouvement de la mobilisation citoyenne du 22 février contre le « 5e mandat » de Bouteflika,  les activités protocolaires  de l’absent d’El Mouradia ont disparu des Unes des journaux officiels de la télévision nationale.

Dès après le message de crise, le valétudinaire président  annonçant, avec force ambivalences, son retrait du 5e mandat par la prolongation du 4e, suivi de la nomination d’un Premier ministre issu de l’ancien gouvernement avec pour mission de former un nouveau gouvernement, la référence à « Bouteflika » refait de plus bel la Une des journaux télévisés du 20h avec les superlatifs d’usage par des journalistes crispés ayant perdu, pour certains, le martèlement quasi pavlovien du nom articulé, vampirisé.

Durant toutes ces péripéties, du 22 février à ce jour, les six commandements de Bouteflika se sont mis en branle en dépit d’une forte mobilisation citoyenne.  Pour s’être cantonnée dans la revendication liée au barrage d’un 5e mandat,  la contestation s’est retrouvée enlisée dans la logique même du système qui s’était préparé depuis longtemps à cette éventualité. Les scribes de Bouteflika ont fait le reste : disperser les acceptions sémantiques liées à l’embrouillamini de ses déclarations  progressives qui, en s’adaptant à l’ampleur de la mobilisation citoyenne, se télescopent, se neutralisent, se contredisent mais donnent lieu à des subtilités langagières dans l’appareil discursif manœuvrier du pouvoir immédiat à la crise : sa candidature aux présidentielles,  son désistement au 5e mandat pour mieux prolonger son 4e au seul profit de l’intérêt de l’Algérie, la préservation de sa légalité  constitutionnelle jusqu’au terme du 4e , la nomination d’ un nouveau gouvernement avant l’expiration du 4e mandat, l’organisation d’un dialogue dans le cadre d’une conférence nationale, la gestion des présidentielles…etc.  Tout ce flou est savamment entretenu par l’entourage immédiat de Bouteflika ( sa fratrie et ses scribes officiels et officieux) et l’appareil du pouvoir principalement judiciaire.

Refus du 5e mandat : un cheval de Troie

La mobilisation citoyenne  a fondé ses revendications, aux contours restés populistes ou moralisateurs, sur le refus du 5e mandat de Bouteflika. Or, nombre de militants de partis démocrates protestataires  oublient que ce cumul de mandats présidentiels est aussi celui de nombre de présidents de partis politiques d’obédience démocratique qui, à défaut d’encourager  le renouvellement des élites à la tête de leur formation, n’ont pas permis à leur formation de sortir de l’immobilité du chef reconduit et plébiscité. Ainsi, parce que cette revendication crédibilise le processus électoral comme moyen de perpétuation et de régénérescence du système ( c’est le seul moyen qu’il a pour se régénérer avec la complicité du peuple), le pouvoir sauve la mise en minimisant les dégâts. Bouteflika dit renoncer au 5e en laissant entendre qu’il n’a jamais été question pour lui de briguer une 5ème mandature mais se dit prêt, puisqu’il est toujours mandataire d’un 4e « sain », à préparer une transition « pacifique » dans l’esprit des manifestations de la jeunesse algérienne.

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La carte du 5e mandat a été salvatrice pour le pouvoir et perturbatrice pour le corps revendicatif de la mobilisation populaire qui, pour le moment, jusqu’à preuve du contraire, éparpille ses expressions revendicatives sur « Facebook » et n’abat pas ses cartes, tarde du moins à le faire, pour démanteler les tricheries du pouvoir qui l’observe, filtre, tamise ses expressions,  prépare des coups fourrés, des stratégies de diversion, de décentrement, avec hardiesse et respectabilité dans le propos à l’adresse des manifestants…

D’autre part, cette carte  du 5e mandat n’est pas pour Bouteflika de mauvais augure ; elle lui procure, par son refus signifié par la rue algérienne, un salut inespéré, une  virginité politique d’un long règne de rapine, de corruption, de népotisme, d’arrogance, de mépris, de tueries, de politiques scélérates d’amnisties totales aux bourreaux des GIA. Car, avant même qu’il ne termine son mandat, que son immunité présidentielle n’arrive à son terme, on lui offre une sortie royale par la grande porte, sans haine ni rancune car le peuple algérien est « pacifique ». Il n’aura pas de compte à rendre et donc le système dont il est, même piètre figure, l’incarnation, sauve la mise, redistribue les cartes, tant qu’il est impuni car la machine électorale est programmée d’ores et déjà à un 5e , 6e, 7e, 8e mandat présidentiel au clonage d’ un autre Bouteflika.

L’anticonstitutionnalité de Bouteflika : un acte de crise isolé ou une pratique de gouvernance

Les décisions prises et énoncées par Bouteflika dans son message suite à la crise constitutionnelle du 22 février sont-elles anticonstitutionnelles  en intention ou de nature dans l’ensemble des pratiques de gouvernance de Bouteflika ? Par rapport à quelle norme, à quel étalonnage le sont-elles ?

Les différentes constitutions de la période Bouteflika ont été annihilées dans leurs fondements juridiques par la concorde civile qui enrobe, devenue matrice, de la constitution. Que valent les droits et les devoirs  basiques des citoyens, citoyennes quand les criminels de masse sont promus en modèles d’un système scolaire de valeurs de pardons et de solidarités retrouvées après l’égarement et l’ensauvagement. Les pseudo repentis du processus de la concorde ont tous été récompensés, réintégrés dans leur poste de travail avec injonction à leur employeur de compter leurs années de maquis terroristes en années de travail effectif avec effets rétroactifs.

Ainsi, par rapport à quelle « norme » serait donc anticonstitutionnelle  la feuille de route de Bouteflika comme si c’était la première fois qu’il foulait aux pieds les lois fondamentales du pays, qu’il faisait du vice la vertu incarnée, de la Justice une serpillière. L’argument de l’anti-constitutionnalité des six commandements de Bouteflika ne semble pas tenir la route dans la mesure où par quelque bout que l’on prenne les gouvernances des pouvoirs qui se sont succédé dans l’ère de la postindépendance, la corruption systémique de l’appareil constitutionnel empêche toute référence à un modèle viable.  

Ainsi, la formation du « nouveau » gouvernement, serait-il issu de la feuille de route de Bouteflika, de la masse de manifestant, que son caractère de « nouveau » serait déjà obsolète et illusoire. Car, pourquoi un « nouveau » gouvernement ? Tant pour le pouvoir de Bouteflika que pour le mouvement de la protestation, l’objectif, c’est le processus électoral des présidentielles, celui-là même qui constitue le tapis rouge, ou le cheval de Troie de la perpétuation du Système.

Or, en exigeant la chute du système dans sa totalité, la mobilisation citoyenne qui refuse tout dialogue avec les « pseudo nouveaux » hommes liges de Bouteflika qui se posent comme « facilitateurs » du dialogue à venir devront se défendre de faire émerger de leurs rangs  des hommes et des femmes pour un « nouveau gouvernement », d’un « nouveau » candidat aux présidentielles en l’absence de propositions claires d’un projet de sociétés ( au pluriel) d’une nouvelle Algérie hors de ses logiques rentières redistribuées par les urnes trafiquées et viciées. Que ce gouvernement soit formé par Bouteflika, après son départ, à la chute du pouvoir ou par le mouvement de la contestation, n’y change rien. Il n’est qu’un moyen et non l’objectif.

Or, force est de constater que la mobilisation citoyenne pense sans doute bloquer le pouvoir en l’empêchant de former un « nouveau » gouvernement ». Or, il peut s’en passer car il n’a jamais fonctionné, politiquement sur un gouvernement au sens moderne de structure étatique du terme, sur un semblant de gouvernement épouvantail. Le mouvement de contestation en focalisant ses préoccupations sur les tergiversations du pouvoir se bloque lui-même car il tarde à lancer une plateforme politique à même de ‘éloigner des louvoiements du Système et d’être la rampe du lancement d’un projet politique et non une caisse de résonance de ce système toile d’araignée dont il aura du mal à s’en défaire.  Sa préoccupation majeure doit dépasser aujourd’hui sa massification physique pour une mobilisation idéelle et offensive s’il veut faire choir le noyau de l’être du système.

Dans son essai Ecrits philosophiques et politiques, Louis Althusser, écrit : «  …Si on ne touche pas au corps de l’Etat, si on ne change pas son métal, on aura beau vouloir lui imposer une autre politique et un autre personnel, le système de la reproduction de l’Etat par lui-même ( son personnel et les critères de ‘’compétences’’ à commander ou obéir), et la séparation des pouvoirs et des appareils et des services feront que cette politique sera finalement digérée par le corps de l’Etat qui produira bien des lois mais pas les décrets, bien les décrets mais pas les circulaires d’application, etc. ».

A l’heure actuelle, l’ancienne équipe gouvernementale n’a pas démissionné, continue d’agir dans l’ombre d’elle-même, de s’occuper des « affaires » courantes en attendant qu’une autre équipe prenne le relais pour les mêmes tâches. Pourquoi tant de péripéties, tant de remue ménage pour de si courtes échéances électorales des Présidentielles vers lesquelles semblent converger le système et les antisystèmes. Paradoxalement, le mouvement de la contestation qui appelle à la chute du Système  ne s’est pas clairement prononcé sur les prochaines présidentielles qui permettent à ce même système de se redéployer à la faveur des urnes.

Le regard exotique des démocrates

Dans leurs interventions, nombre de camarades démocrates s’extasient, euphoriques du gigantisme des marches, de la soudaineté du déferlement de la jeunesse algérienne, relevant avec ferveur dans le propos  le caractère spontané de la mobilisation. Comment comprendre ce qualificatif de « spontané » ? Une mobilisation « miraculeuse » née d’une table rase, hors d’un chaînon d’un récit national dont les mémoires sémantiques se sédimentent, se transmettent dans leurs mutations d’une génération à l’autre ? En qualifiant de « spontané » ce mouvement, c’est faire table rase des mouvements insurrectionnels qui ont jalonné l’histoire récente  des générations de la jeunesse algérienne de l’Algérie de la postindépendance.

Du reste, dans son message, Bouteflika, par la plume avisée mais fourbe de ses scribes, a fait allusion à cette « spontanéité » comme née du néant, comme étrangère au caractère « pacifique » du mouvement, preuve de maturité. Par ailleurs, à ce générique de « spontané » venant de démocrates militants de partis ou indépendants, s’ajoute l’émerveillement devant l’éducation, le fair-play de ces mêmes manifestants  et non l’admiration pour leurs forces à porter un langage novateur, chrysalide d’un projet de sociétés algériennes en rupture radicale, en capacité de couper le cordon ombilical avec le système. Le regard des démocrates sur le mouvement est pour l’heure teinté d’exotisme.

La priorité du défi majeur de la mutation enclenchée par le mouvement de mobilisation antisystème après avoir, il faut le reconnaître, mis en échec le 5e mandat de Bouteflika, est l’expression d’un nouveau projet de sociétés (au pluriel) : fédéralisme, autonomies régionales fédérées, modèles ancestraux des agoras productrices des Itifaqates du Mzab, la Tajmaat des Kabylie qui a réussi sa mutation en intégrant en son sein le tissu associatif moderne, ou tout autre forme d’organisations sociétales hardies et prospectives…

R. M.

Auteur
Rachid Mokhtari, écrivain journaliste

 




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