29 mars 2024
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Ouyahia, les pétromonarchies et le système 

DECRYPTAGE

Ouyahia, les pétromonarchies et le système 

A travers cette histoire de lingots offerts par des émirs à Ahmed Ouyahia, on comprend comment de hauts responsables sont devenus des obligés des monarchies du Golfe, pourquoi l’Algérie est peu considérée par ces mêmes monarchies et pourquoi le pouvoir politique a laissé proliférer le discours politico-religieux rétrograde… 

Ahmed Ouyahia n’est pas du genre à passer aux aveux après avoir été pris d’un soudain remords. Et l’on comprend après cette affaire de lingots d’or – il en a reçu 60 d’une valeur de 2,1 millions d’euros – comment des émirs du Golfe arrosaient des gens du pouvoir depuis l’arrivée de Bouteflika en 1999.

C’est ce dernier qui a ouvert le marché algérien à ses amis émiratis en guise de remerciement pour lui avoir accordé le gîte et le couvert durant son exil doré à Abou Dhabi, ainsi qu’à d’autres « amis » de la région.  Et introduit par la même occasion une corruption du système à grande échelle,  jamais égalée depuis Chadli Bendjedid. Si bien que sous Bouteflika, Abou Dhabi et Doha, entre autres, sont devenues des destinations prisées par nombre de hauts responsables

Retors comme il est, Ouyahia a laissé entendre – afin que cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd – qu’il n’était pas le seul à avoir reçu des lingots ! Certes, il n’a cité aucun nom de responsables, sans doute estimait-il qu’ils se reconnaitraient ou que la justice saisirait la perche pour ouvrir une information judiciaire. Tout comme il s’est abstenu de révéler les noms des pétromonarchies qui offraient généreusement des lingots d’or à des responsables hauts placés, en expliquant sans rire avoir gardé le silence, afin de « ne pas porter atteinte aux relations » entre l’Algérie et « certains pays amis » ! Ben voyons ! 

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Retenons avant de poursuivre,  qu’Ouyahia a bien précisé qu’il recevait tout cet or – qu’il a vendu au marché noir comme un vulgaire trabendiste- « en sa qualité de Premier ministre, de la part de dirigeants des pays du Golfe ». On comprend dès lors, comment l’ex-Premier ministre sous Bouteflika et d’autres hauts responsables qu’il ne nomme pas, sont devenus des obligés des monarchies du Golfe. Et comment, grâce à leur pouvoir corrupteur, à cette diplomatie de l’argent, ces mêmes monarchies se sont constitué des réseaux d’influence au sein du pouvoir politique et de la société où activaient déjà des mouvements et partis connus pour leur proximité idéologique avec les pétromonarchies du Golfe. 

Des parts de marché ont été accaparées par les émiratis qui, grâce aux relations privilégiées nouées avec Bouteflika, avaient une longueur d’avance sur leurs rivaux du Golfe. Des groupes comme Dubaï Port World se sont vus confier dans un premier temps la gestion des ports d’Alger et de Djendjen (Jijel) pour 30 ans !  Les Emiratis pouvaient ainsi avoir une connaissance précise de ce qui entrait et sortait du port d’Alger. Ils sont aussi présents dans l’industrie mécanique. Et n’eût été la réaction de la société civile, le groupe émirati Emaar allait transformer la baie d’Alger et la défigurer à jamais : réalisation sur 4 kms, de plusieurs marinas avec leurs bateaux de croisière, de centres commerciaux et d’affaires, de hautes tours constituées d’hôtels luxueux, d’appartements grand standing, de bureaux…  qui allaient barrer la vue de la célèbre baie au regard des algériens ! 

Dans cette course au profit, nécessitée par le besoin des pays du Golfe de rentabiliser leur surplus financiers, les qataris ne sont pas en reste. C’est Qatar international que les autorités ont choisi au détriment de l’algérien Cevital d’Issad Rebrab qui avait été écarté sans explication, pour la réalisation du méga-complexe sidérurgique de Bellara (Jijel) d’une capacité de 5 millions de tonnes, après avoir fait main basse sur la SNTA (tabac) pour un montant modique…

Il va de soi que cette diplomatie de l’argent, corruptrice, est le volet non visible d’un agenda politique visant l’assujettissement politique et, si besoin idéologique, des Etats et des sociétés du Maghreb en particulier algérienne. Dans le cas algérien, elle trouve son expression dans le soutien par les pétromonarchies au pouvoir politique, à la politique de réconciliation nationale, adossée à une mise au pas de l’Etat et de la société et au retour du religieux sous sa forme la plus rétrograde dans la société.  

Concrètement, l’Etat algérien devait – c’est ce qu’il a fait – fermer les yeux sur la réoccupation de l’espace social par une mouvance islamiste dont la proximité et les accointances politico-idéologique avec des pays du Golfe est publique, tout en verrouillant en parallèle la société aux expressions porteuses de progrès social et de démocratie pluraliste. 

On a ainsi vu le retour d’ex-dirigeants de l’ex-FIS, de l’AIS et même du GIA s’enhardir, jusqu’à proférer des menaces à ce qui s’oppose à leur discours. Dans le même temps, on a assisté à l’émergence de chaines télés d’obédience islamiste et de droit étranger, relayant et propageant un discours religieux rétrograde contre les femmes, les démocrates et les progressistes, médiatisant  sans retenue des prêcheurs salafistes et proches des Frères musulmans, jusqu’à leur donner la parole pour fustiger la communauté mozabite.., et faisant la promotion du charlatanisme religieux comme en attestent ces reportages sur l’ouverture d’une clinique religieuse et sur la pratique de l’exorcisme.

Tout comme l’Etat a fermé les yeux sur ces prêcheurs salafo-wahhabites des pays du Golfe complaisamment invités à venir animer des conférences en Algérie… et sur la désignation de Mohamed Ferkous comme représentant du wahhabisme algérien, par le prêcheur saoudien et enseignant à l’université de Medine, al-Madkhali qui, soit dit en passant, parraine officiellement des groupes djihadistes syriens et libyens. L’Etat a laissé l’ancien ministre des habous Mohamed Aïssa livré à lui-même, sans réel pouvoir de décision, faire face seul à la vague obscurantiste en train de submerger l’Algérie et dont on mesure aujourd’hui les dégâts à travers ces tentatives de réhabilitation et de victimisation de l’ex-FIS et des groupes djihadistes. 

Comme on le voit, ce n’est pas uniquement pour permettre aux émirs et princes du Golfe de chasser l’outarde dans les hauts plateaux algériens et la gazelle dans le sud du pays qu’Ahmed Ouyahia et ces responsables qu’il n’a pas voulu nommer, ont accepté des lingots d’or ! 

A travers cette histoire de lingots on comprend aussi et surtout pourquoi l’Algérie est peu considérée par les pays du Golfe, comme cela s’était vu en novembre 2011 lors d’un sommet de la Ligue arabe consacré à la crise syrienne, où le chef de la diplomatie algérienne feu Nourredine Medelci s’était fait vertement rabroué par son homologue qatari : «Ne défendez pas trop la Syrie car quand votre tour arrivera, vous aurez certainement besoin de nous» lui avait-il alors lancé ! On comprend également pourquoi sur d’autres dossiers que la Syrie, la Libye par exemple, la voix de l’Algérie ne pèse plus.

Pourquoi Ahmed Ouyahia, toute honte bue, a condamné les supporters d’Ain M’lila  qui avaient déployé un tifo représentant le souverain saoudien et Donald Trump, sur lequel il était écrit « Deux faces d’une même pièce de monnaie », avant de présenter piteusement les excuses de l’Algérie aux saoudiens et de poursuivre en justice les supporters en question ! 

Pourquoi encore les Emirats arabes unis se permettent, sous prétexte de Covid-19, d’interdire leur territoire aux ressortissants algériens, sans que l’Algérie ne proteste ! Ou qu’al-Magharibia tv ait été fondée par Oussama Madani, fils du fondateur de l’ex-FIS, avec de l’argent qatari, et là, également, sans le moindre froncement de sourcils des autorités plus promptes à réagir contre France-24 ou TV-5 , à l’audience limitée comparée à celle d’al-Magharibia.  

En tout cas, aux yeux des monarchies du Golfe, l’Algérie ne compte pas. Tant et si bien que le 5 janvier dernier, le Conseil de coopération du Golfe (CGC) a vu les six pétromonarchies le composant (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) se ranger sans exception sur la position marocaine dans la crise du Sahara occidental.

«Le Conseil, lit-on dans le communiqué final, rappelle ses positions et ses décisions immuables appuyant la souveraineté du Maroc et son intégrité territoriale. » Mieux encore, rappelons que le CGC s’était déjà déclaré favorable à une adhésion de la Jordanie et du Maroc. A suivre… 

H.Z 

Auteur
Hassane Zerrouky 

 




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