15 avril 2024
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Post-scriptum sur l’idéologie harkie

Rebond

Post-scriptum sur l’idéologie harkie

Suite à la série d’articles sur l’idéologie harkie, quelques commentaires me laissent totalement perplexes. Un ami lecteur, M* B*, me semble résumer ces malentendus par un courriel qu’il a eu l’amitié de m’envoyer en privé. Le voici, fidèlement reporté :

« Dès le début de ce sujet Harki et idéologie, je commençais à ne pas voire claire , je suis un peu confus. Tout le monde avec qui je partage des idées des rêves à tes yeux sont des Harkis?
La signification de se mots est trop humiliante et dégradante. Il ne s’agit pas d’une simple divergence d’idées, c’est plutôt une accusation de traîtrise et de complot contre ses semblables. Habituellement c’est le langage de la dictature Algérienne, pour manipuler l’opinion nationale, sur une idée innovatrice ou quand on touche directement à leurs intérêts personnels.
Bref, je trouve qu’une accusation comme celle-ci n’aide pas la construction d’un état de droit, ou le débat démocratique. C’est plus de l’arbitraire et de la marginalization et de la tromperie. »

J’avoue ne pas comprendre de telles réactions. En effet, chacune des parties, je dis bien chacune des parties de cette étude, a pris le soin de définir, progressivement, de la première à la dernière, ce que j’entends par « harki », comportement de harki et idéologie harkie, dans le passé comme dans le présent. La partie finale comprend, enfin, ceci :

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« Ainsi, le harkisme, pour nous Algériens (et tant mieux si cette acceptation autochtone passe dans les dictionnaires étrangers) est une idéologie qui se caractérise par le servilisme dans l’intérêt d’une oligarchie dominante-exploiteuse, au détriment du peuple, et cela en échange de privilèges plus ou moins consistants, matériels et symboliques (« prestige » social). »

Le texte envoyé au journal mettait en évidence cette définition en utilisant les italiques. Malheureusement, l’article publié n’a pas reporté ces italiques. Il est vrai qu’un lecteur attentif n’en pas pas nécessairement besoin. Cependant, je constate que cet usage de la forme italique est utile à d’autres lecteurs.

Pour expliquer que le harkisme n’est pas un comportement de tous, ou presque, faut-il encore expliquer la définition sus-mentionnée ?

Oligarchie

Tous les maux sociaux, sans exception, en Algérie comme dans le monde, dans le passé comme dans le présent et le futur, ne sont-ils pas causés par l’existence d’une minorité de personnes qui agissent comme oligarchie, que ce soit au niveau national qu’international. Que les personnes qui ignorent ce que c’est une « oligarchie » prennent la peine de s’informer sur internet, afin de ne pas se contenter de « consommer » ce qui est ici écrit, mais manifestent une activité autonome de recherche et de réflexion. Car mon but n’est pas de « prêcher » ou de m’ériger en « icône » (ayant été dans le passé victime de ce genre de stupide et aliénante prétention), mais de stimuler à la réflexion personnelle.

Intermédiaires

Et cette oligarchie dominatrice-exploiteuse peut-elle exister sans le service que lui assurent des agents intermédiaires, en échange de privilèges matériels et médiatique, afin de transmettre les idées de cette oligarchie, et légitimer son emprise sur la majorité du peuple, dominé-exploité ?… Dès lors, appeler cette « courroie de transmission » (cela fut précisé dans plusieurs parties de cette étude) du terme « harki », pourquoi pas ?… Justement parce que cette manière est, comme l’affirme M* B*, « trop humiliante et dégradante ». Pour ma part, j’avais dit « trop chargé émotionnellement ». Citons des exemples : en France, n’emploie-t-on pas, encore aujourd’hui, le mot infamant, « humiliant et dégradant » de « collabo » pour indiquer, au-delà du traître au service du nazisme occupant, tout agent actuel du système dominateur-exploiteur ? Par ailleurs, l’adjectif « jaune » a, lui aussi, une histoire passée mais également un emploi présent(1). Et ces deux termes, « collabo » et « jaune », comme « harki » restent utilisés notamment du fait de leur charge émotionnelle, laquelle permet la réception intellectuelle du mot de manière plus certaine. Et comment ne pas apprécier au plus haut point l’expression « chien de garde » (2), titre de l’essai de Paul Nizan ? Et, aussi, la nouvelle expression « Les nouveaux chiens de garde », concernant la majorité des journalistes ?(3)

Langage

Dès lors, comment peut-on affirmer, comme le fait l’ami M* B*, : « Habituellement c’est le langage de la dictature algérienne, pour manipuler l’opinion nationale, sur une idée innovatrice ou quand on touche directement à leurs intérêts personnels. »

Certes, l’idéologie harkie actuelle est « innovatrice » dans ses formes de manifestation (je l’ai exposé dans cette étude). En France, par exemple, nous avons eu les « nouveaux » philosophes. Nous avons constaté en quoi consista leur « nouveauté », manifestée notamment par Bernard-Henri Levy. L’expression « barbarie à visage humain » fut une efficace trouvaille. Le temps fit découvrir où s’y cachait l’imposture : que les « barbares » ne sont pas seulement ceux qui dénoncent les autres comme « barbares ». En Algérie, l’«innovation » que fut le « socialisme » de Ben Bella puis Boumediène, le temps a fini par en révéler la nature : un capitalisme d’État au service d’une oligarchie (4). Au lecteur d’ajouter d’autres exemples. Par conséquent, toute « innovation » est-elle bénéfique ?… Et ne faut-il pas que le lecteur-citoyen apprenne à distinguer entre « langage de la dictature » (qu’elle soit algérienne ou autre) et langage de l’émancipation sociale ?

Il est vrai que les harkis de tout poils prennent le soin (cela fut exposé dans cette étude) de faire semblant de combattre la dictature, en recourant à des mots nobles tels « liberté », « démocratie », « progrès », « bien-être du peuple », etc. Depuis le commencement des temps, partout, les agresseurs (et leurs mandarins-pharisiens) emploient ces mots pour masquer leur agression en intervention « humanitaire ». Très rares sont les intellectuels ou personnalités économiques ou politiques qui se déclarent ouvertement au service d’une domination. La majorité prennent le soin de se masquer et draper comme « démocrates », « progressistes », « au service de la raison et de l’humanité » (cheval de Troie).

Le plus préoccupant, c’est de voir des lecteurs tomber dans ce piège. Ainsi, l’un d’eux, « Hend Uqaci », commente : « Si Si Qeddour El Polpoti avait une autorité quelquonque je qualifierais ses tentatives d’égratiner Sansal, KD et Benaissa de velléité de purification. » À  supposer qu’il s’agisse d’un lecteur de bonne foi, et non de l’habituel manipulateur payé pour intervenir dans les journaux, m’accuser d’être un « Polpot », et de vouloir « purifier », n’est-ce pas là précisément le langage des idéologues harkis ?

Un Bernard-Henri Levy ne dénonçait-il pas Polpot, pour les massacres commis contre la population cambodgienne, mais en gardant le silence sur les massacres de « Polpot » israéliens contre des civils palestiniens sans armes, et d’autres « Polpot » (Sarkozy) dans les massacres du peuple libyen ? Un Boualem Sansal ne dénonce-t-il pas la dictature du régime algérien, mais garde le silence sur la domination militaire israélienne sur le peuple palestinien ? Un Kamal Daoud n’a-t-il pas publié un article très virulent sur de jeunes Algériens à Cologne, mais n’utilise pas le même langage concernant des carences du peuple français (anglais ou états-uniens) ? Un Slimane Bénaissa, outre les informations données récemment sur son parcours existentiel, par le professeur A. Merdaci, n’a-t-il pas accusé le « public » d’être « absent » du théâtre, alors qu’au contraire, ce sont les artistes qui sont absents là où vit le « public » ? (4) Et, même au vu de son curriculum professionnel, Slimane Benaissa est-il le plus indiqué pour être chargé d’un festival de théâtre international algérien, si le pays était géré par des représentants authentiques du peuple ?

Quant à la « purification », n’est-ce pas un Ferdinand Céline qui en accusait les résistants français soucieux de neutraliser les « collabos » du nazisme en France ?… Serait-il donc erroné de vouloir, dans toute société humaine, neutraliser les divers harkis, par le débat d’idées clair et intransigeant, tant qu’ils se cantonnent dans ce domaine ? Faut-il faire remarquer que, généralement, les critiques contre toute domination sociale évoquent et visent uniquement les membres de l’oligarchie, sans jamais rappeler la couche sociale qui lui est servile ? Cette masse de collaborateurs ne constitue-t-elle pas la « courroie de transmission » sans laquelle une oligarchie dominatrice-exploiteuse ne pourrait pas exister ?

Droit du peuple

M* B* conclut : « Bref, je trouve qu’une accusation comme celle-ci n’aide pas la construction d’un état de droit, ou le débat démocratique. C’est plus de l’arbitraire et de la marginalization et de la tromperie. »

Cela me laisse croire que cet ami, s’il avait été troyen à l’époque de l’agression grecque contre sa ville, il aurait volontiers accepté comme « don » l’introduction du cheval de Troie dans sa ville assiégée. Pour trop de citoyens algériens, la compréhension de la nature de caste dominatrice-exploiteuse du régime de Ben Bella puis de Boumédiène n’a été comprise qu’au vu des résultats concrets réels, à la fin de sa dictature ; la nature dominatrice-exploiteuse de l’intégrisme clérical islamiste n’a été comprise que lors de la décennie dite « sanglante ».

Aujourd’hui, certains compatriotes en Kabylie, dans leur légitime combat démocratique, ont-ils besoin de l’intervention sioniste colonialiste, par l’intermédiaire de ses harkis dans la région, pour comprendre la tragédie que causerait certainement ce genre d’«aide» au peuple kabyle ? Et toutes les actions de stigmatisation culturelle du peuple par certains « intellectuels », médiatisés par des membres de l’oligarchie néo-coloniale française ou israélienne ? Et toutes les actions d’agents économiques algériens pour ignorer les experts algériens au profit d’autres états-uniens ?… N’est-il pas urgent et vital de comprendre la nature de tout ce « beau » monde ?… Oui, répétons-le encore une fois : toute personne au service d’une oligarchie dominatrice-exploiteuse, nationale ou étrangère, est harkie. Là est la « ligne rouge ». Faut-il attendre la tragédie pour comprendre les méfaits de ses agents ? Le proverbe populaire n’avertit-il pas ? « Al hour bghamza, wal barhouch bdabza » ( À la personne éveillée suffit un clin d’œil ; au têtu, il faut un coup de poing).

J’en déduis que le débat et la clarification sur la nature du harkisme et de ses formes actuelles reste ouvert, urgent, vital, à approfondir, à éclaircir totalement, précisément pour, comme l’écrit M* B*, «la construction d’un état de droit ». Or de quoi s’agit-il sinon de celui du peuple à s’affranchir de sa condition de dominé-exploité, pour gérer ses intérêts de manière libre et solidaire ? Pour y parvenir, tout citoyen et peuple doit veiller absolument à ne pas être le petit chaperon rouge de la fable. Il est indispensable de distinguer derrière le masque de la « bonne » grand-mère, le méchant loup assoiffé de dévorer sa victime. Espérons avoir éclairci les malentendus, et encouragé au débat salvateur, avec les lecteurs de bonne foi, réellement soucieux d’être des citoyens libres et solidaires.

K. N.,

Email : kad-n@email.com

Notes

(1) Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndicalisme_jaune

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Chiens_de_garde

(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Nouveaux_Chiens_de_garde

(4) Je l’ai compris dès 1963, bien que je n’avais que 18 ans, et pas de formation sociologique ni politique. Cette découverte fut possible grâce à la chance d’avoir vu ce qu’était l’autogestion réelle dans l’usine de chaussures d’Oran, où travaillait mon père comme ouvrier.

(5) Voir mon article http://kadour-naimi.over-blog.com/2017/12/au-theatre-les-absents-sont-les-artistes.html ».

Auteur
Kaddour Naïmi

 




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