Vive 3lina, c’est vendredi ! Le jour saint de la révolte. Celui qu’on a emprunté à Dieu, le temps de parachever la révolution. Après, c’est promis, on le lui rendra. Deux fois plutôt qu’une. Normal, c’est Ramadhan, un mois où tous ses jours sont des vendredis.

Aujourd’hui, on sera de nouveau «Khawa-Khawa ». On ne fera qu’un avec le monde. Avec les oiseaux, les chenilles et peut-être même avec les Kabyles. On laissera tomber nos avatars violents, agressifs et sans-gêne, pour endosser enfin notre peau sans chagrin. On ira à la rencontre de la belle « Silmya » au bois dormant, qui attend nos baisers enchanteurs et nous sort de nos quotidiens lassants et pensées cannibales. « Silmya », pour ré-invoquer notre part d’algérianité et affronter nos vrais ennemis.

Chaque vendredi est pour nous un mariage de raison. Le jour où les serments d’amour sont renouvelés. Le jour des vœux pieux. Malgré les crêpages de chignons des vieux amants. Pour le meilleur et pour le pire. Contre le pire. Contre El Gaïd qui prendra encore pour son grade, et Naïma Salhi qui, elle, prendra pour son insolence. Contre les rumeurs de jugement d’Ouyahia et Saïd Bouteflika. Contre la sournoise connivence et le protectionnisme « Gaïdien » de la « Issaba ».

Contre les islamistes qui ont le vent en poupe, et qui aimeraient reconquérir le vendredi après la mort de leur El Baghdadi, qui a fondé le FIS avant ISIS. Ils réclament leur « dû », nous le contestent et nous accusent de ne pas être fair-play et d’empiéter sur le territoire de la piété. Sur le terrain réservé à la « Théocratie ». Ils voudraient rejouer, car ils ne savent pas quitter la table. Nous ravir la révolution du sourire pour nous réimposer celle des larmes.

Ils aimeraient que les images de l’enterrement de leur guide, soient aussi celles de cet élan démocratique. Ils le sentent, pourtant, que leurs chants déterrés sont moins vivants que la Casa Del Mouradia. Que leurs slogans poussiéreux, sont moins vibrants que la Liberté de Soolking, alors ils prient. Partout où ils peuvent. Là où ils passent. Où on leur laisse du vide. Dans nos têtes. Dans les rues, les parkings, devant un café, une caméra ou sous l’ombre d’un politicien véreux. Ils ne prient pas Dieu, mais la jeunesse. Cette divine et insaisissable part de nous, qui a enfanté ce moment de grâce hebdomadaire en réponse aux « mardis-gras » d’El Gaïd. 

Cette jeunesse incomprise, qui leur glisse entre les doigts, parce qu’insensible à leurs incantations « charlatanes ». Leurs discours de la haine, Takfir, Tawaghits, jihad, sortis des ténébreuses années de la terreur, ne font plus recette auprès d’adolescents qui, malgré les insuffisances inoculées par vingt ans d’ « Istihmar » et de religiosité, ont su séparer le bon grain du mauvais.

Le bon sens peut parfois provenir du non-sens. Les sources jaillir du désert. Le miracle algérien existe comme l’absurdité de ce monde. Comme ses contradictions. Comment peut-on être, en effet, extrêmement religieux et rejeter le FIS ? Être apparemment antijuif et adorer Enrico Macias ? Être d’aspect misogyne et aduler Djamila Bouhired ? Jouer les durs et avoir des cœurs d’artichauts ? Comment être l’enfant de Novembre ou le berceau des GIA et désirer une révolution pacifique « Supra-Gandienne »? Les réponses sont peut-être dans les questions. Mais une chose est sûre : c’est bien parti, pour un long combat pacifique et tenace qui risque de continuer à épater le monde, avec son bon sens et ses insaisissables contradictions.

Une autre saisissante contradiction continue à intriguer : si El Gaïd a pris le pouvoir, pourquoi reste-t-il encore sous Saïd? Sont-ils toujours amis, et dans ce cas, pourquoi ne pas museler tous ceux qui pousseraient à l’emprisonner, Nezzar en premier ? Et s’ils ne sont pas amis, pourquoi , alors, Saïd, n’est-il pas en prison? Il y a là, une absurdité qui échappe à la compréhension, comme l’absurdité de ce monde.