26 avril 2024
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Quel nouvel ordre politique pour l’Algérie ?

Plus de 3 mois après le début de l’insurrection citoyenne:

Quel nouvel ordre politique pour l’Algérie ?

L’observateur le moins averti de la scène politique algérienne est en mesure de constater que, au moment où le mouvement citoyen enclenché le 22 février 2019 avance pour faire valoir les revendications de tout un peuple sur le plan de ses droits en matière de représentation politique, en exigeant l’effacement des figures de l’ancien système, une espèce de sécheresse caractérise le paysage politique au sens traditionnel, c’est-à-dire en tant que structures organiques, avec des adhérents, des leaders d’opinion, des think tank, des bain trust, des publications et des activités permanentes étendues sur les douze mois de l’année.

Si les cadres et techniciens algériens, versés dans les domaines de l’agronomie, de la foresterie et de l’environnement, ont fait, et font toujours l’effort de lutter contre la désertification qui menace le pays, particulièrement sur le front des Hauts Plateaux, le régime déchu, celui de Abdelaziz Bouteflika, a réussi la prouesse de désertifier la scène politique nationale en minant son terrain de multiples façon: répression ouverte, récupération, corruption, infiltration pour créer scissions et entreprises de redressement au sein des différentes entités politiques,.etc. Cela s’est passé presque de la même façon que la désertification financière, par laquelle la coalition réalisée entre l’affairisme le plus vorace, portée par de faux opérateurs économiques, d’une part, et des responsables de l’Etat, véreux et corrompus, d’autre part, a siphonné plus de 1000 milliards de dollars en l’espace de quinze ans. Si bien que, à fin 2018, le pays se retrouve avec à peine 80 milliards de dollars de réserves de changes, après qu’elles eurent atteint 200 mds $ en 2014. À cela s’est greffée une désertification culturelle, le pouvoir n’ayant eu d’yeux que pour d’inutiles et tapageurs festivals, qui plus est budgétivores, du genre « Capitale de… ».

Ces trois formes de désertification- politique, financière et culturelle-, ayant conduit à la privatisation en bonne et due forme de l’Etat et à une coupe réglée des ressources du pays, montrent aujourd’hui leur face la plus repoussante, la plus hideuse et surtout la plus dangereuse. Elles se liguent pour donner naissance à situation qui met l’Algérie en danger d’hypothèque. Le Hirak, mouvement citoyen qui occupe la rue algérienne depuis plus de trois mois, porte en lui-malgré l’enthousiasme primesautier et l’engagement des animateurs – les marques de cette asthénie politique qui frappe le pays depuis plus de deux décennies.

L’appel que vient de lancer l’écrivain Yasmina Khadra sur sa page facebook, pour que le mouvement citoyen dégage tout de suite une « tête » pour conduire l’Algérie a bon port, constitue une sorte d’alerte, car, dit-il, « le temps n’est pas notre allié »; c’est plutôt « ultimatum » qui n’attend ni les bons ni les méchants selon l’auteur de Les Hirondelles de Kaboul. Plus explicitement, il écrit: « Le Hirak doit présenter la personne à même d’empêcher le retour à la case départ, et donc à la décomposition. Le Hirak doit comprendre que les marches sont censées aboutir à quelque chose, qu’elles ont un point d’arrivée comme tous les marathons. Le Hirak doit comprendre qu’il est venu le temps d’IMPOSER le président de la nouvelle république algérienne ». Sinon, « on le choisira pour nous », ajoute-t-il.

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Le climat politique dans lequel évolue le pays – une sorte de ligne de faîte sur laquelle les Algériens se trouvent à califourchon entre l’ancien régime et la nouvelle perspective de redressement historique-, ne cesse de signifier, chaque jour, l’étroitesse de la voie qui s’offre, aussi bien aux nouveaux « décideurs » qu’aux millions de personnes qui occupent la place publique et qui réclament un changement radical du système qui a régenté le pays depuis 1962.

Crise? Plutôt une faille géologique

L’Algérie ne vit pas une simple crise politique, comme celles- issues, par exemple, d’un vote de défiance, de changement de majorité se heurtant à un jeu d’alliances, de démission du chef de l’exécutif,…- , crises que connaissent de temps en temps des pays occidentaux où la démocratie est enracinée depuis des lustres. La crise qui prend en étau aujourd’hui l’Algérie plonge ses racines dans le malentendu historique qui grève, depuis l’aube de l’Indépendance, la société politique de notre pays; « malentendu » est, bien entendu, un euphémisme qui ne dit pas toute la dimension du problème qui prend les allures d’une rupture totale entre gouvernants et gouvernés.

Cet état de défiance permanente, où la volonté populaire est mise sous le boisseau pendant près de six décennies, a conduit les populations et les détenteurs du pouvoir à se regarder en chiens de faïence, avec des crises particulières et sporadiques ponctuant l’intervalle des 57 années d’indépendance (coups d’Etat, assassinats politiques, révolte sanglante d’octobre 1988, Printemps amazigh de 1980, Printemps noir de 2001,…). C’est un long règne nourri par les échecs issus des dérives de gouvernance, de l’autocratie, de la répression et du culte de la personnalité.

Ce long règne a aussi été sustenté par les expériences de développement- mêlant gabegie, pseudo-socialisme, capitalisme d’Etat et économie de rente et de bazar-, expériences qui étaient loin d’être complètement étanches par rapport aux influences extérieures du moment, qui plaçaient l’Algérie dans le bloc des non-alignés, proche du bloc socialiste. En lui-même, ce parcours, fait d’un idéal égalitariste et de combat  »tiers-mondiste » n’est ni à renier ni même à  »blâmer ».

Pour un pays fraîchement sorti de la domination coloniale, après une guerre atroce qui aura duré plus de sept ans, il était presque dans l’ordre naturel des choses que le choix se fixât sur les voies de développement les plus  »humaines » et les moins discriminatoires. Ce fut même tout un courant de pensée intellectuelle qui soutint cette option à l’échelle de plusieurs pays du monde, particulièrement dans les anciens pays colonisés.

Les spécificités de la situation algérienne, qui pervertiront l’ordre politique et corromperont- dans tous les sens du terme- l’ordre économique, seront identifiées peu à peu par les historiens, sociologues et politologues. L’ordre politique a souffert d’un dur héritage de la guerre de Libération, où les impératifs de la lutte dans les maquis, de la clandestinité et du renseignement, ont largement déteint sur la culture politique en œuvre dans les rangs du FLN.

L’agrégation des tensions, des déchirements et défiances ont abouti au resserrement du  »commandement » politique et son glissement vers l’usage de la force. C’est ainsi que l’armée a eu une place prépondérante, voire hégémonique, dans la formation de l’élite politique de notre pays. Même non visible sur la scène publique, l’armée a toujours eu son poids dans les grandes décisions politiques, particulièrement lorsqu’il s’agit de la succession à la tête de l’État. Aux premières années de l’Indépendance, cette situation s’est greffée à un très fort taux d’analphabétisme dans la société. Dans un tel contexte, la fraîcheur du souvenir de la guerre de Libération aidant, il était quasi impossible à une opposition politique quelconque de faire valoir sa présence ou ses idées.

Politique, inculture et rente: jonction létale

L’autre spécificité de l’Algérie dans cette évolution sociopolitique des années 60 et 70 du siècle dernier, était le glissement de l’économie traditionnelle- héritée de la colonisation ou dont les bases ont été jetées lors des premiers plans de développement- vers une imperceptible situation de rente, suite à une survalorisation des hydrocarbures. Le marché mondial de l’époque et les tensions régionales (guerres du Proche-Orient) avaient porté aux nues le prix du pétrole. Les recettes extérieures du pays- qui comptaient un certain moment celles issues des agrumes, du vin, du liège, des dattes, et d’autres produits- s’individualisaient de proche en proche, dans le sens de la quasi-exclusivité, en pétrodollars.

Une féconde jonction entre le sous-développement politique (parti unique, centralisme jacobin, absence de libertés collectives et individuelles,…) et le système de distribution de la rente pétrolière se réalisera au fur et à mesure que les recettes augmentaient. Les valeurs du travail, le sens de la dignité, l’école et l’université, les bases de l’organisation de toute la société, ont été puissamment malmenés, perverties, moulés dans le nouvel esprit rentier au point où seul le clientélisme- supposant allégeance et soumission- pouvait servir de  »règle » de conduite aux gens, aux organisations et à l’ensemble de la société. C’est une situation matérialisée, dans la réalité du terrain, par les souk-el-fellah qui proposaient des produits fortement subventionnés par l’État. Procédé qui, par ricochet, a permis, du même coup, le soutien aux producteurs étrangers (des agriculteurs et éleveurs français, canadiens, mexicains; des industriels européens,…etc.).

La gestion politique du pays s’en trouvera de plus en plus versée dans l’autoritarisme et l’arbitraire. L’article 120 des statuts du FLN trouvera sa pleine expression, excluant de tout poste de responsabilité (dans l’administration de l’État, les entreprises publiques,…) les cadres qui ne détenaient pas la carte d’adhésion au parti unique.

Une facture de la dette et une facture humaine

L’impasse du système se dessinera à partir de 1986, lorsque les prix su pétroles commençaient à dégringoler. Avec un endettement extérieur excessif, plus de 80 % des recettes étaient destinés au remboursement du service de la dette. La facture, à la veille des événements d’octobre 88, allait monter à 26 milliards de dollars d’encours de la dette extérieure. L’explosion de la jeunesse est, en elle-même, une facture par laquelle est soldée la gestion d’un pays pendant presque trois décennies. Dans cette pétaudière sociale, économique et politique, la dévalorisation de l’école et de la formation en général- en plus de l’écrasement des valeurs culturelles algériennes par le népotisme et la « débrouillardise » affairiste- a largement contribué à la montée du courant intégriste, négation de l’Islam modéré que les Algériens ont connu depuis quatorze siècles.

De tels gros nuages dans le ciel d’Algérie ne pouvaient logiquement aboutir qu’à ce que nous avions vécu comme enfer pendant les années 1990: terrorisme, plan d’ajustement structurel, chômage (près de 30 % de la population active), paupérisation, nouvel exode rural,…

Les tentatives de redressement politique effectuées pendant cette période n’ont pas pu faire émerger un schéma consensuel, d’autant plus que les appétits rentiers se sont aiguisés à l’ombre d’une rente qui dépérissait. Ce n’est qu’à partir des années 2 000 que les cours du pétrole reprirent leur courbe ascendante. L’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République, dans les conditions plus que discutables que l’on connaît, jointe à un renflouement conséquent des caisses de l’État, allait ouvrir l’ère des plans quinquennaux de développement et de recomposition accélérée du champ politique.

La devise de « parachèvement de l’édification institutionnelle du pays« , mise en avant sous la présidence Liamine Zeroual, trouvera son écho douze ans plus tard, dans les réformes annoncées en 2011. Entretemps, les échéances électorales- d’envergure nationale ou locale- ont été connues surtout, pendant presque deux décennies, par le phénomène de la fraude et de l’utilisation de l’argent sale. Il en est résulté une défiance légendaire des populations envers l’autorité, particulièrement l’autorité qui organise les élections. Pratiquement, aucune élection n’a été épargnée par les  »froufrous » de la fraude.

Les chantiers de la seconde République

Cependant, il se trouve que les manipulateurs ne se retrouvent pas seulement dans les couloirs et travées de l’administration, mais également à l’intérieur des partis qui se proclament de l’opposition, qu’elle soit démocratique, islamiste ou autre. L’on sait que les rangs des partis politiques nés après l’explosion d’Octobre sont « incrustés » de toutes sortes de personnels qui sont loin d’avoir l’exercice de la politique comme vocation. Ils se sont retrouvés dans ces formations par effraction au moment où les portes étaient ouvertes pour n’importe qui pour accéder aux structures dirigeantes d’un parti.

Les acrobaties et autres manipulations politiques auxquelles se sont livrés l’administration et les vrais centres de décision n’ont été possibles que parce que le paysage politique algérien et le personnel qui le représente sont souvent pénétrés, voire imbues, d’une sous-culture politique héritée de l’ère de la glaciation du partie unique, laquelle est goulûment alimentée par un système d’enseignement devenu une fabrique de chômeurs. L’on peut même utilement s’intéresser au nombre de chômeurs qui ont investi les rangs des partis politiques dès leur formation à la faveur de la Constitution pluraliste de février 1989. Bien entendu, le chômage est loin d’être une maladie honteuse; c’est une situation sociale à déplorer et à corriger. Cependant, le tout-venant du personnel pléthorique qui s’est fait alors recruter dans les structures partisanes, était vraiment à mille lieues de pouvoir servir les partis dans leurs activités régulières.

Si ce genre de situation était possible et a prévalu pendant des décennies, c’est que l’analphabétisme- malgré des investissements historiques dans la construction des lycées et universités-, l’affairisme et la culture rentière, ont fini par donner une image peu digne des partis. Ces deniers- à tort ou à raison- sont vus comme des appendices de l’État et du système qui l’alimente. Les choses sont devenues sans doutes plus claires, elles se sont même confirmées, lorsque des partis arrivent à prendre le pouvoir local (APC, APW) et agissent exactement comme le faisait le parti unique du FLN (népotisme dans la distribution des postes, clientélisme pour l’obtention de logement social,…). Rien n’aura changé sous le ciel de l’Algérie, toujours grisé par la rente. Les pouvoirs publics avaient, au début du processus pluraliste, renforcé quelque part cette image en mobilisant des subventions à tout va aux formations politiques. L’on consacra pernicieusement l’idée que le pluralisme est un cadeau ou un  »don », destiné à y puiser d’autres formes d’ascension sociale.

Ironie de l’histoire, le champ politique algérien s’est permis d’enrichir sa nomenclature après le départ de Bouteflika. Le gouvernement Bedoui a agi exactement avec les mêmes réflexes que ceux ayant prévalu après octobre 1988 et lors du Printemps arabe en 2011: répondre à un mouvement populaire profond, qui demande le départ du système, par une véritable arnaque, consistant à agréer de nouveaux partis politiques. C’est que les gouvernants n’ont rien appris de l’histoire contemporaine de notre pays, ni d’ailleurs de ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Accompagnés de noms de plus de 60 partis politiques dès le début des années 1990, les Algériens eurent à vivre une décennie de terrorisme et deux décennies de mépris, de hogra, de harga, de vol des richesses du pays, de déculturation et de désertification politique.

L’inventaire des dommages – directs et collatéraux-, le décompte des forfaitures, le recensement des alternatives de sortie de crise, ne laissent aucune possibilité à d’autres tergiversations.

L’Algérie est appelée à vivre deux transitions: la première, qui lui permettra de renouer immédiatement avec la vie institutionnelle, avec, à la clef, une élection présidentielle libre et transparente; la deuxième, qui mènera les chantiers de réformes de ce que sera la seconde République: réformes législatives, institutionnelles, économiques, sociales et politiques, devant permettre à notre pays de relever les défis imposés par l’annonce de la fin de la rente pétrolière, la mondialisation des échanges, l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’adaptation aux changements climatiques, l’ouverture culturelle et touristique sur le monde et l’accès, pour tous les Algériens, à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière

 

Auteur
Amar Naït Messaoud, journaliste

 




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