25 avril 2024
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Rachid Tlemçani : « Les réseaux récents tentent de se substituer aux anciens réseaux »

ENTRETIEN

Rachid Tlemçani : « Les réseaux récents tentent de se substituer aux anciens réseaux »

S’estimant avoir été « charcuté » dans ses réponses (selon ses déclarations), le Dr Rachid Tlemçani nous a fait parvenir un entretien publié chez notre confrère Tsa, que nous livrons dans son intégralité à nos lecteurs.

– L’actualité politique et judiciaire nationale est marquée par des vagues d’arrestations et d’interdictions de sortie du territoire contre certaines personnalités politiques. Quel sens en donnez-vous ?

L’Algérie vit une situation révolutionnaire exceptionnelle depuis 3 mois. Ce que le Mouvement du 22 Février a  accompli, dans une ambiance bon enfant, en un laps de temps très court, la diplomatie nationale avec son puissant appareil, pléthore de diplomates, de consulats et d’agents sécuritaires et un budget considérable, n’a pas pu réaliser en un demi-siècle. Au niveau national, le mouvement a consolidé la cohésion sociale et la solidarité nationale que l’ancien régime a tenté d’épuiser  e de  brimer.

Toutefois le Commandement de l’ANP tente d’avoir le beurre et l’argent du beurre ! Ce mouvement comme toute révolution n’est pas un fleuve tranquille. Il s’est heurté dès son irruption à la contre-révolution puisqu’il est perçu par tout le monde de révolution pacifique, pour certains de « révolution du sourire ». Mais on n’ose pas prononcer, je ne sais pour quelle raison,  le terme de «contre-révolution», probablement de crainte d’écorcher l’égo du «politiquement correct». 

Ces «vagues d’arrestations et d’interdictions» et bien d’autres actions (fake news, mouches électroniques, barrages filtrants, bombes lacrymogènes, arrestations …) sont des éléments de la contre-révolution. Les tifos et les grands posters portant des mots d’ordre opposés n’ont pas été élaborés par des citoyens  lambda. Leur confection nécessite des moyens financiers, des logistiques. Lorsqu’on voit les mêmes tifos à travers le pays, cela ne peut être que l’œuvre des réseaux du pouvoir occulte.

Historiquement, il n’y a pas de révolution sans contre-révolution, plus prosaïquement, on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. 

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L’absence d’idéologie cohérente conduit manifestement aux théories des complots. Les forces contre-révolutionnaires sont présentes  dans la société civile, les médias,  les syndicats, la société militaire, dans tous les secteurs d’activités  du pays. On n’est jamais assez vigilant. 

– D’aucuns qualifient cette démarche comme un démantèlement pur et simple du réseau bâti depuis des années par l’ex-chef du DRS, le général Mohamed Mediene dit Toufik… pensez-vous que ça soit le but recherché ?

Chaque État, démocratique ou autoritaire, a son propre État profond, ses baltaguias et  ses barbouzes. Cette  situation devient très problématique lorsque les institutions de la République sont utilisées comme paravent par des unités officielles et des réseaux mafieux pour satisfaire des intérêts d‘individus, de familles ou de clans

La situation du pays est aujourd’hui très complexe, elle ne se caractérise pas par deux forces diamétralement opposées, la révolution face à la contre-révolution. Il y a de nombreux acteurs en jeu, les anciens réseaux du DRS, les nouveaux réseaux, l’opposition institutionnelle (islamiste, démocrate,  culturaliste, progressiste, politicienne, militariste… et opportunistes), les gardes-corps des oligarques, les citoyens lambda et les sans-grades. 

La situation est très confuse d’autant plus que le mouvement citoyen, un mouvement spontané et sans leadership, n’a pas parvenu à mandater ses authentiques représentants. Mais il ne faut pas en s’inquiéter. Il ne faut pas se  précipiter. 

Un changement ordonné est plus salutaire que le maintien de l’immobilisme.

Le rapport de force n’a pas fondamentalement changé pour dégager cette représentativité, tant souhaitée. Pour preuve, les tenants du pouvoir s’entêtent toujours à maintenir la tenue des élections présidentielles le 4 juillet alors qu’elles sont massivement rejetées, d’une part, par les électeurs, et d’autre part, par les institutions et agents en charge de les organiser. 
 
On a tendance à ne pas interpréter correctement ce mouvement s’inscrivant dans un mouvement social global, international. Le Mouvement du 22 Février n’est pas un éclair dans un ciel serein, il s’inscrit dans une lame de fond régionale qui a pris naissance avec la mise en  place brutale des  politiques néolibérales à partir des années 1980. 

Le Mouvement pacifique prendra, avec sa maturation, une autre forme d’expression mais risque de devenir plus radical si on s’entête à le réprimer violemment. Par conséquent le mouvement social ne risque pas de s’estomper avec la tenue ou  la non-tenue des élections du 4 juillet 2019. Les tenants du pouvoir ne semblent pas avoir évalués à sa juste valeur  sa signification politique et sa dimension stratégique. 

Le Mouvement a permis à l’Algérie de faire un saut qualitatif, la rencontre avec l’histoire moderne, comme le FLN-ALN en 1954 a permis au pays d’être un acteur majeur dans le mouvement de décolonisation. La balle est dans le camp du Commandement militaire sous la direction du chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah de Ouargla, il a opposé une fin de non-recevoir à la principale revendication des manifestants, le «départ du système » ordonné, estimant qu’il s’agit d’une «revendication irraisonnable et dangereuse». L’appel à la sagesse ne semble pas avoir été entendu. L’ANP maintient sa feuille de route en avançant la tête baissée et les yeux fermés dans un champ miné.   

– Y a-t-il un risque d’un retour vers le même réseau sous une autre configuration ?   

Les réseaux récents tentent de se substituer aux anciens réseaux dans la nouvelle configuration en gestation. Par contre ce phénomène ne se produit pas de cette manière dans les pays  démocratiques. Puisque l’enjeu crucial dans ces derniers pays reste le renforcement de l’Etat de droit  et la préservation de l’intérêt  national. Dans les régimes militaro-policiers, par contre, les réseaux sont un instrument aux mains du groupe dominant lui permettant d’accroître son pouvoir au détriment de l’intérêt national.

L’ex-chef d’Etat a passé une partie de sa vie à manipuler les commis d’Etat et des responsables politiques, à  structurer et re-structurer le puissant appareil sécuritaire constituant la clef de voûte du système politique. 

Le remue-ménage s’est substitué à la profonde réforme du secteur sécuritaire, tant attendue, par la communauté internationale, entre autres. Une telle réforme constitue l’élément structurant de toute transition politique, de type démocratique. Est-il un hasard fortuit que le terme de «démocratie » est absent du discours officiel ?

Mais les anciens réseaux ne disparaissent pas facilement pour autant dans la nature. Certains éléments sont intégrés dans les nouveaux réseaux tandis que les autres restent en veille. Le passage est fluide entre les anciens et les nouveaux réseaux. Une solidarité de type açabiya anime les groupes sécuritaires et la police politique. Quelqu’un qui a fait carrière dans l’enseignement, par exemple, il préservera les réflexes, l’esprit et l’éthique d’un enseignant durant le reste de sa vie. De même qu’un agent sécuritaire et à plus forte raison lorsque ce dernier évolue dans un système politique opaque.

Pour rappel, la scène médiatique est animée par des éléments de l’ordre sécuritaire ces dernières années. Il serait très intéressant d’analyser le contenu des discours  des retraités militaires, généraux et colonels, qui animent la société civile.

Un travail de thèse, très éclairant pour la compréhension analytique du régime politique, que nos étudiants de Science Politique n’osent pas  aborder de crainte de représailles de l’ordre sécuritaire universitaire et par l’administration. 

Même les plus critiques à l’ordre sécuritaire ambiant ne s’aventurent pas à questionner les fondements organiques et structurels du pouvoir prétorien. 
 
Pr Rachid Tlemçani, Politologue

Auteur
Rachid Tlemçani

 




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