28 mars 2024
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Tahar Ibtatène, un agent secret émérite de la Résistance

ENTRETIEN

Tahar Ibtatène, un agent secret émérite de la Résistance

Lyazid Benhami a consacré un livre à Tahar Ibtatène. L’homme est un grand inconnu du public et de l’histoire. Et pourtant, ce natif de Aïn El Hammam a tutoyé la grande histoire. Et a eu le destin de bien des hommes entre ses mains.

Le Matin d’Algérie : Qui est Tahar Ibtatène ?

Lyazid Benhami : Tahar Ibtatène était un grand résistant pendant la Seconde guerre mondiale. Il a appartenu à la France Libre dès les tous premières prémices en 1940, puis à la France Combattante jusqu’à la Libération.

Dés le début de la Guerre d’Algérie, il rejoignit le Front de Libération nationale, le FLN. Il fut un membre très actif et lucide au sein de la Fédération de France du FLN.

Né en 1909 à Ain-El-Hammam) au pied du Djurdjura, il est arrivé en France en 1924, à seulement 15 ans ! Il passa le reste de son existence en France. Il nous a quitté en février 2000.

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Si on doit qualifier Tahar Ibtatène, nous pouvons dire qu’il fut un enfant et un adolescent espiègle et débrouillard, un homme libre et un humaniste lucide. Mais plus que ça quand on gratte son passé.

Le Matin d’Algérie : mais alors quel a été son rôle pendant la Seconde guerre mondiale ?

Lyazid Benhami : Ayant été en contact dès 1940 avec les principaux responsables des Services secrets français du général de Gaulle, Tahar Ibtatene eut un rôle d’attaché au Renseignement et au Contre-espionnage au service de la France Libre. Il fut Officier du BCRA, (Bureau Centrale du renseignement et action), ce dernier fut le bras armé du Général de Gaulle au sein de la Résistance pendant le Seconde Guerre mondiale.

Alors si on veut évoquer les actions de Tahar Ibtatène dans la Résistance française, celles-ci furent nombreuses et déterminantes historiquement.

En référence aux archives historiques en ma possession et à celles consultées au Service Historique de la Défense en France, il semble incontestable : Tahar Ibtatene fut un agent secret émérite de la Résistance.

Pour ne citer que quelques faits :

– il a approché quelques membres du gouvernement de Vichy dés 1940 pour le compte de la Résistance (notes manuscrites personnelles de Tahar Ibtatène citées dans mon livre).

– il a récupéré des documents importants et stratégiques pour le compte de la Résistance : correspondances entre Généraux allemands et Laval ( Chef du gouvernement français sous Vichy) et du Parti fasciste de Jacques Doriot …etc.

Le Réseau Marco Polo, un des réseaux importants de la Résistance, l’a « constaté » en octobre 1943. Il en deviendra le chef des équipes de protection. Il œuvra à Lyon, Bordeaux, Marseille, mais principalement en Zone Occupée en Région Parisienne .

Comme il me l’avait dit , il fut à l’origine de la récupération des plans V1 et V2 (premières fusées de l’histoire, et armes secrètes de Hitler ).

Il organisa l’attentat contre le docteur Friedrich (Fred Dambmann de Radio Paris), chef de la propagande nazie en France et bras droit de Himmler (ce dernier étant la 3eme personnalité influente du Rich après Hitler).

Il a combattu sur le terrain Henri Lafont, chef de la Gestapo française, et sa milice de collabos dont certains d’origine d’Afrique du Nord .

Sans compter les actes héroïques à la Libération de Paris . Il fut à la manœuvre dès le 17 août 1944, avant le début de l’Insurrection Nationale le 19 août suivant.  Et bien d’autres actions encore. On n’a pas fini de sérier tout son parcours.

Tahar Ibtatène

Le Matin d’Algérie : A-t-il rejoint le FLN à partir de 1954 ?

Lyazid Benhami : Il était évident pour Tahar Ibtatene a rejoint dès 1954 le combat pour la libération de son pays l’Algérie. Comment pouvait-il rester insensible à cette cause et aux aspirations légitimes de ses frères algériens ?

En 1954 il avait 45 ans, et de surcroît une longueur d’avance sur les évènements . Aguerri à la guerre de par son ancienneté dans les services secrets français, il fut un artisan lucide et déterminé pour la cause algérienne.

Dés 1954, il avait pris fait et cause pour le FLN, au détriment du MNA (acteur important en région parisienne dans l’immigration ).

D’ailleurs, les groupes de choc du MNA avaient attenté à sa vie à maintes reprises  Je ne citerai que l’attentat et le plasticage de son commerce dans le 18e à Paris le 3 avril 1961 par les éléments du MNA .

Il avait quitté les services de renseignement français à la Libération, dès mai 1945. Comme il me l’avait confié, il était conscient que la répression du 8 mai 1945 en Algérie, que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata , n’étaient que le prélude d’une guerre d’indépendance.

Le Matin d’Algérie : Comment a-t-il participé à la lutte pour l’indépendance ?

Lyazid Benhami : La Commission spéciale pour l’ex-Fédération de France du FLN du Conseil National des Anciens Moudjahidine , en date du 3 décembre 1968, lui a fait connaitre sa qualité de membre de l’O.C.F.L.N.

Je ne vous cache pas, il n’a jamais prétendu depuis, à quelques avantages et ni demandé sa carte d’ancien combattant de la Guerre d’Algérie. Il avait horreur des honneurs et des titres.

Dans la Fédération de France (cette fameuse 7e Wilaya), il fut en contact avec beaucoup de ses frères. Le nom de Bouaziz revenait souvent.

Selon les témoignages que j’ai pu recueillir, Tahar Ibtatène , précisément Tintin comme le surnommèrent également ses frères FLN, a contribué efficacement pour la libération de son pays.

Son apport fut déterminant sur le choix des contacts pour l’achat des armes en Europe de l’Est, pour le compte du maquis FLN en Algérie. Il m’a été rapporté que sans le feu vert de Tintin rien ne pouvait se conclure dans ce domaine.

Il sécurisait et centralisait la collecte de fonds financiers destinés au FLN dans la région parisienne , élément qui m’ a été à nouveau confirmé par un Ancien responsable de la Fédération de France très récemment.

Il s’est occupé également de la confection et de la diffusion de tracts à destination des ouvriers immigrés algériens .

Tintin avait la possibilité d’agir à différents niveaux et sur plusieurs angles. Il maîtrisait parfaitement le terrain et connaissait les rouages sécuritaires et du renseignement /contre-espionnage.Tintin était toujours discret, mais très efficace, et respecté de tous.

Tintin était persuadé de l’avènement de l’Indépendance algérienne. Cet objectif était d’autant permis et réalisable avec le retour du général de Gaulle aux affaires en mai 1958. Tintin, le gaulliste, avait soutenu la cause FLN et eut comme seul objectif l’Indépendance de l’Algérie.

Lors de son passage en France après l’Indépendance, Krim Belkacem a rencontré à deux reprises Tahar Ibtatène. Comment ne pouvaient-ils pas se rencontrer, les deux privilégiaient l’action.

Le Matin d’Algérie : En 1962, il a préféré se retirer pour se consacrer au commerce…Mais il a aussi aidé l’opposition.

Lyazid Benhami : Exactement, il est revenu au pays en janvier 1963. Il a souhaité renouer le contact avec son pays qu’il avait quitté en 1924 .

Il fut fasciné par la beauté du Sahara. Il envisagea un moment d’investir dans le froid et l’agriculture pour aider le pays dans le développement. Il ne manqua pas de projets. Il retourna en Algérie à plusieurs reprises.

Tahar Ibtatène était un homme pragmatique et lucide. La tournure prise par des évènements politiques après 1962 l’a profondément déçu. Au début de l’année 1965, lors de son passage à la Villa Joly, il n’a pas hésité à exprimer son mécontentement de manière directe au Président Ben Bella ; puis dans la foulée il rejoignit Paris. Il fit un adieu à contrecœur à son pays pourtant fraîchement libéré de la colonisation française.

« Que de rendez-vous manqués de l’Algérie pendant les premières années de son Indépendance  » répétait-il souvent.

Oui de retour à Paris, il continua sa vie entreprise dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il mettra son énergie dans ses nombreux projets commerciaux et immobiliers .

Il continua également à entretenir des liens avec quelques amis algériens, avec ceux de Paris et d’Algérie.

Il sait lié d’amitié notamment avec deux personnalité politiques algériennes au caractère bien trempé, le premier fut Monsieur Yaha Abdelhafith dit Si L’Hafith (chef du Front des Forces socialistes, FFS, pendant la clandestinité en exil) et le second Larbi Amara Ouali (un responsable du FFS et ancien de la Fédération de France). Bien que n’étant pas socialiste, Tintin soutiendra par leur intermédiaire le FFS.

D’ailleurs un des établissements commerciaux de Tahar Ibtatène dans le XVIIIe arrondissement à Paris fut entre 1970 et 1990 le principal quartier général du FFS en exil. Tous les militants FFS s’y retrouvaient en toute quiétude.

Le Matin d’Algérie : enfin, peut-on savoir pourquoi vous avez écrit ce livre ?

Lyazid Benhami : J’ai eu la chance d’avoir été proche de Da Tahar pendant une vingtaine d’années. Je l’ai connu depuis l’âge de mes 10 ans, en 1979, lui il en avait 70 .Une grande amitié nous a liés. Il m’appelait « mon fils ».

Il était de mon devoir de rendre hommage à Tahar Ibtatène. Qui l’aurait fait sinon moi qui fus si proche de lui. Peut-être dans 20 ou 50 ans, voire jamais, un historien pourrait trouver par hasard encore une archive par-ci ou par-là sur les faits d’armes de cet homme.

Je tenais à lever un coin du voile de ce personnage resté dans l’ombre, à le restituer dans la complexité de l’Histoire, avec ses multiples attaches. Je tenais également à restituer Tahar Ibtatène à la jeunesse car il était un homme de devoir.

Dans sa préface, Nils Andersson mentionne : « Il a combattu le fascisme et le colonialisme ». Une certitude, c’est que Tahar Ibtatène fut un héros de l’ombre pendant la Seconde Guerre mondiale, et un acteur lucide engagé pour une Indépendance véritable de son pays l’Algérie.

Auteur
Hamid Arab

 




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