26 avril 2024
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Un Islam sans l’Etat

TRIBUNE

Un Islam sans l’Etat

Est-il envisageable de parler de l’islam sans évoquer l’Etat ? Répondre à cette question est un exercice des plus périlleux lorsqu’on revisite la manière dont la religion a été entachée par de multiples conflits mettant au prise tous les prétendants au pouvoir de l’Etat.

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’islam politique a engendré d’innombrables querelles qui ont toutes fini dans un bain de sang. Même l’islam des origines  n’a pas échappé à l’effusion du sang lors de la grande discorde (Fitna kubra).

Depuis, il s’en est suivi une série de conflits (Fitan) et au détriment par exemple  du fondateur de Dar Al Hikma « Maison de la sagesse » qui a lui-même usé  des ses prérogatives pour interdire la liberté d’expression à ses opposants et qui a finalement subi à Bagdad, les affres de son successeur au califat.

Ce concept notoirement politique dans la pensée musulmane n’est pas en rapport avec d’autres formes de gouvernement comme  l’Imarat, la Mamlaka, le Sultanat, l’Imamat ou les avatars de la Djoumhouria (république islamique),etc., seulement une notion équivoque de la structure de l’Etat comme légitimité consignée par l’islam des origines mais un instrument redoutable de l’action de politique au sens peut-être trop foucauldien de la gouvernementalité des hommes. A y voir, mêmes les siècles d’or de la civilisation de l’Islam, n’ont pas échappé à la main de fer du sultan figure et emblème du pouvoir absolu.

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Certes çà et là, les historiens mettent en lumière quelques moments de la détente politique lorsque le pouvoir de l’Etat est contesté de l’intérieur ou menacé par l’extérieur. Force est de constater qu’en ces temps périlleux, le pouvoir en place  est dans l’obligation de composer avec les forces en présence.

A tout point de vue, il ne s’agit pas des concepts comme, la liberté individuelle ou le droit de minorités qui ont été inventées par l’Occident moderne mais de l’émergence de nouvelles légitimités politiques. D’un saut dans le temps de l’histoire au XXe siècle, le surgissement de l’islam comme idéologie d’accompagnement des nationalismes « arabes » a contribué  paradoxalement au renforcement de la révolution et de l’autoritarisme des régimes arabo-musulmans.

Ainsi, la grandeur révolutionnaire ne tient pas à un islam prosélytique des Oulamas mais à un islam populaire qu’il ne faut pas confondre avec celui des confréries trop compromises avec le pouvoir colonial.Si nous tenons juste à ces quelques péripéties des organisations religieuses, c’est pour dire qu’aucune de ces organisations n’a pu échappé aux méandres de la politique coloniale.

A tour de rôle, elles ont toutes été manipulées par le colonialisme. Pour tout dire, les indépendances ont été menées par des militants et pour la plupart formés dans des structures laiques occidentales. Avant l’émergence de l’islam radical, les plus en vue du réformisme musulman ont de près ou de loin gouté la sève du laicisme occidental.

Autant dire que les Laïcs et les Religieux ne doivent pas réssusciter le conflit de la raison pourtant bien arbitrée par le pari existentiel de Pascal. Dans l’aventure de la raison, un philosophe contemporain signale avec subtilité le domaine partagé de la pensée entre les Croyants et les Incroyants.

Du reste, le domaine de l’économie du salut ne doit pas être une exclusivité de la religion pour qu’elle l’instrumentalise au détriment du partage des domaines eschatologique et politique. De fait, les deux pôles de l’économie du salut ne doivent pas être la voie royale pour les religieux dont l’unique but est la conquête du pouvoir de l’Etat. Sans cela et sur le plan de la gouvernementalité des hommes, il faut reconnaître que les religieux n’ont rien à offrir de mieux que les autres laïcs. Ainsi, le dilemme de l’économie du salut dans le domaine du partage nous fait penser à une possible entente sur la plénitude de l’homme entre l’antique stoïcisme et la mystique.

De facto, la religion des individus devient une affaire qui exclut l’Etat de son champ d’action. Du coup, elle s’inscrit dans le domaine du social où elle a mieux à faire pour assurer son rôle dans la société. En nous plaçant dans la perspective du Hirak, nous allons aborder la problématique de la démocratie de l’Etat algérien. Pour le faire, nous avons choisi deux modes de pensée opposables.

Islam et démocratie du docteur Aroua (Editions Maison des livres, Alger, 1990) Conserver la religion 

Le docteur Aroua écrit à la page 20 ceci : « La démocratie en Islam part du principe que le véritable détenteur de la souveraineté n’est ni l’Etat, ni le peuple, mais Dieu. » Dès lors et à partir du moment où l’auteur évoque Dieu, l’actualité du Hirak le met en porte à faux lorsque les manifestants revendiquent  précisément la souveraineté du peuple.

D’un autre côté l’usage du tawil (Interpénétration du texte coranique) évacue la gouvernementalité des hommes au nom de l’istikhlaf (délégation). Curieusement cette notion éminemment politique est équivoque parce qu’elle attribue  à l’homme des vertus qui au nom de Dieu innocente ses actes. Le vertige d’une telle énonciation s’accentue lorsqu’il considère que l’Etat est dépositaire de la loi divine. Cette façon d’interpréter les choses, ne prend pas en compte le renouvellement pour dire le Fiqh (droit juriprudentiel) qu’évoque M. Arkoun lorsqu’il analyse la ‘raison juridique en islam. 

Le trop plein  de l’énonciation nous conduit à  examiner de plus près le statut et le role qu’attribue le docteur Aroua à l’Etat. D’une neutralité déconcertante, l’auteur écrit: « . l’Etat est le serviteur et le gardien des intérêts matériels, moraux et spirituels de la communauté, p.20.

En admettant l’Etat comme entité virtuelle, l’auteur forcément évacue les problèmes sociaux et politiques en mettant en exergue l’intangibilité structurelle de la communauté comme si au sein de la Umma, la compétition entre les groupes d’intérêt n’existe pas. Lorsque l’auteur aborde l’aspect consultatif en retour de la bienséance du peuple et après consultation, il préconise ni plus ni moins que l’obéissance de la communauté à l’autorité  en se référant au verset  Al Nissa (les femmes), p. 21. En fonction de  ces quelques prescriptions islamiques, l’auteur reprend à son compte le système de la Shura qu’il désigne sous le vocable de la démocratie islamique. 

Le système de la Shura

Cette présentation trop idéalisée de la souveraineté nous oblige à faire quelques remarques sur le gouvernement des hommes. Au centre de la souveraineté le docteur Aroua place l’Etat comme organe executif sans aucune détermination des attributions du pouvoir d’exécution. Les rapports que l’auteur appelle les liens de souveraineté relèvent tous de la consultation  (Shura) de la communauté (Umma).  Bizarrement, l’aspect holiste de la présentation est biaisé par le texte coranique qui surplombe la mondanité. Or, ce surplomb n’est valable que dans la révélation, opération par excellence prophétique et non pas pour le commun des mortels.

Ainsi, l’exclusivité de la révélation prophétique est un événement unique dans l’histoire qui n’a pas besoin d’être élargi à toute la communauté des croyants ou transhistoriser le temps. De ce simple fait, le Coran comme texte total selon l’expression d’un philosophe français, doit être à la portée de tout homme pour que les prescriptions qu’il contient soit assimilées par tous les musulmans. A partir de ces remarques, nous proposons pour tout être au monde un schéma d’ensemble qui place le texte coranique en tant que document religieux est au besoin  saisi dans l’immédiatement de la vie spirituelle ou sociale.

La trangressivité à l’infini comporte des opérations d’intelligibilité du texte coranique qui élimine de facto tous les pouvoirs par délégation et qui offre la possibilité à tout musulman d’interagir avec le monde. Du coup, la religion des individus a l’avantage de responsabiliser les hommes et de donner un sens à leurs actes. D’où, il n’y a pas nécessité en matière  d’être au monde de délégation des pouvoirs spirituels ou politiques.

La participation active des citoyens suffit par en elle-même à fonder un système politique où les représentants de la population sont élus ou désignés en fonction de leur compétence et non pas pas à partir d’une idéalisation de la notion de la Umma (communauté) conçue comme entité  factuelle qui oblitère au nom de l’omnipotence de Dieu, la compétition entre les hommes et leurs groupes d’intérêt.

Humanisme et islam, Combats et propositions (Libraire philosophique Vrin, Paris, 2005) du Professeur Mohammed Arkoun, Sortir de la religion

Si nous avons insisté sur la forme surplombante du Coran c’est pour montrer les insuffisances de la vision du docteur Aroua. Par contre, le schéma proposé  par Mohammed Arkoun dans « comment lire le Coran » (Le Coran , Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1970) symbolise une vue englobante qui à l’avantage de prendre en compte la totalité du monde créé  par l’omniscience de Dieu. Certainement c’est cette ominiscience qui va inciter l’islamologue à vouloir surmonter l’ankylose de l’islam. C’est en ces termes que nous allons parcourir  son livre consacré à l’humanisme en islam. A la différence du conservatisme  du médecin algérien, l’islamologue veut « Transgresser, depasser et déplacer » la clôture dogmatique de l’islam. Tout d’abord , en voulant rendre hommage à son maitre Claude Cohen, il passe en revue quelques termes de la sociologie historique dont quelques concepts ont été cités par le docteur Aroua.

Il explicite ses propos  en reprenant le passage suivant : « Dans une société où la Loi donnée par Dieu est sous la sauvegarde de la communauté et où le souverain qui doit en organiser l’application n’en est ni la source, ni le garant, l’Etat ne peut être conçu comme une superstructure d’autant plus étrangère qu’en fait, les Princes sont appelés à prendre des mesures extérieures à la loi. D’autant plus essentielle dans tous les milieux est la recherche de formes de solidarités (en même temps que de protection) purement privés. » p. 112.

Comparativement au langage du conservatisme commun employé par le docteur Aroua, l’islamologue algérien passe au crible le cadre théologico-politico d’essence idéologique utilisé par l’islam savant. Et chemin faisant, il problèmatise les notions suivantes: loi de Dieu, communauté. Il se laisse entendre une visée critique à la manière de Michel Foucault  du pouvoir politique.

Pour mener à bien cette critique, il se base sur  des rapports réels qui lient la structure de l’Etat à l’espace social pour définir les formations étatiques (le califat, l’imamat, le sultanat, l’imara, la mamlaka). Curieusement les modalités de la subversion de la pensée religieuse  qu’il propose est une réactivation du geste des philosophes des lumières qui renvoie d’après lui à « des voix prophétiques qui ont  offert à la condition humaine des voies durables, fiables  et fécondes de déploiement exitentiel. » p. 162. 

De plus, pour lui la réactivation du geste des philosophes des lumières: « ouvre de nouveaux horizons de sens, d’intelligibilité, de connaissance avec le souci constant d’éclairer, d’orienter une action historique révolutionaire. »p. 162. Finalement la révolution de la pensée religieuse en Islam d’après Mohammed Arkoun permet à « la raison émergente d’avoir la responsabilité de radicaliser la subversion de toutes les constructions antérieures de la raison qui ont échoué soit à identifier les échecs, les travestissements, les errances, les fausses connaissances et les consciences fausses qui en résultent, soit de dépasser de façon irréversible les démissions les plsu préjudiciables à la condition humaine (p. 164).

Ni plus ni moins,le penseur algérien propose tout un programme de recherches pour faire émerger une nouvelle raison selon les modalités définies par l’islamologie. Si le but assigné à l’islamologie  est celui du dépassement de la clôture dogmatique, il n’en demeure pas moins que le problème politique en islam  reste en supens parce qu’il relève de l’aporie. C’est dans ce sens que nous allons opérer un réajustement textuel en abordant la « critique de la raison juridique ».

De surcroît, nous croyons savoir qu’il fait référence au christianisme sans religion. C’est la cheminement vers « la sortie de la religion » qui nous intéresse à plus d’un titre pour éclairer la nouvelle raison dont il est le promoteur. 

A l’instar des encours philosophiques occidentaux, il se propose de déconstruire la raison juridique dite moderne. Outre la minimalisation de la critique de l’orientalisme, il s’appuie sur les travaux de Hans Kelsen et Lenoble et Ost pour discuter la théorie pure du droit.

Il va de soi qu’étant bien renseigné sur les débats philosophico-juridiques tels que:  » la munazart opposant le grammarien Al Sirati et le logicien Matta bnu Yunus, ou les réfutations véhémentes des logiciens (al-radd ala-l- mantiqiyyin) par le redoutable dialecticien Ibn Tamiyya; ou encore l’oeuvre massive du littéraliste exotérique d’Ibn Hazm contre les interprétes ésotériques ( ta’wil batini) et les logiciens partisans d’un déductivisme formaliste fondé sur la ‘illa et le qiyas. » p. 236, il déduit que : « les normes juridiques articulées par les docteurs de la Loi posent le problème de la contingence positif du fait de l’inévitable médiation humaine pour passer de la parole de Dieu comme mystère insondable perpétuée par la foi à un code de règles déclarées divines alors q’elles assurent le fonctionnement d’un ordre politique, social et même conceptuel. » p. 236. Déduction faite, l’islamologue y voit un mélange du spirituel divin et du contingent historique sans trancher la question politique de la détention du pouvoir.

Si c’est vrai que les normes juridiques sont dictées par des impératifs théologico-politiques, il n’en demeure pas moins que la littéralité conduit peut-être à une nouvelle représentation théorique du monde (Idéalisation) mais ne règle pas du tout le problème fondamental de l’exercice du pouvoir de l’Etat qui est assurément l’insurmontable aporie. Le premier suspens de la raison politique, nous conduit à l’interrogation sur  la « sortie de la religion dans le contexte islamique ».

Tout d’abord, Mohammed Arkoun emprunte la voie  choisie par  christianisme pour sortir de la religion pour fustiger l’impasse historique de l’islam. D’après lui l’échec de l’islam s’explique en premier lieu par l’inquisition des juristes de Courdoue de l’oeuvre du grand cadi alors que l’Europe chrétienne avait accueilli l’averroisme latin. Assurément aujourd’hui, l’historicisme n’explique pas  l’impasse actuel de l’islam ni la dérive autoritaire de l’islam radical. S’il y a bien une crispation idéologique de l’islam, il faut analyser les mécanismes de l’impossible islam sans religion pour sortir définitivement de la stérile disputation (Munaza’a) qui hante tant d’esprits. Au fond, i y a deux apories qui se juxtaposent l’une à l’autre, la littérale et la politique qui couvrent tous les champs de la praxis.

Dans l’attente…. 

Nous avons choisi délibérement ce sous-titre dont l’objectif principal est de mettre en rapport les contradicteurs algériens. Et mis à part, les oppositions par principe des militants entre-eux, nous regrettons que les « intellectuels du Hirak » ne parlent pas des divergences idéologiques qui les séparent. Nous trouvons qu’il est totalement improductif de ne pas se pencher au nom de l’unité du mouvement sur le problème de  l’Etat. Il semble que la place de l’Islam est une question très sensible qui risque aux yeux des Hirakistes de diviser le mouvement de contestation. Indépendamment des manipulations politico-idéologiques, il faut reconnaître que les contributions de Said Sadi au débat sur la nature de l’Etat a le mérite de ressusciter l’antériorité de la « stratégie des Islamistes algériens » ou à les faire réagir.

Toutefois si quelques Islamistes clairvoyants se prononcent publiquement pour une alternance de l’exercice du pouvoir, il n’en demeure pas moins que la question de la doctrine  sépare les laïcs et les religieux. Il va de soi que c’est une question de fond qui ne peut être résolue par l’institutionnalisation de l’islam comme religion de l’Etat. Davantage, les penseurs modernes  optent pour une neutralité de l’Etat en matière de la foi afin d’englober la totalité sociale dans un projet de société. Autrement, l’institutionalisation de la religion ne peut que forcément bloquer la pensée et rendre les promoteurs de la foi des collaborateurs serviles  du pouvoir en place.

Comme on ne sait pour le moment comment les islamistes peuvent cohabiter avec les autres courants idéologiques, en matière du pouvoir de l’Etat, il faut bien admettre que la fraternité ne suffit pas à garantir les droits des citoyens.                                    

Auteur
Fatah Hamitouche

 




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