24 avril 2024
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Un matin aux PTT

HUMEUR

Un matin aux PTT

C’est ainsi que nous appelions auparavant La Poste. Même si nous savions tous que ses missions et structures ont été profondément modifiées, il arrive qu’une image très tardive vous jaillisse à la figure pour attester du changement d’époque dont vous ne vous rendiez pas bien compte. Cela arrive en toutes choses.

Ce mercredi matin, vers onze heures, je me dirige vers notre poste de quartier, elle fut et reste notre voisine depuis quarante-trois ans. Mais elle avait fermé ses portes pendant plusieurs mois pour travaux. Cette visite, pour affranchir et poster une lettre, allait donc inaugurer à mes yeux la renaissance de cette très vieille dame.

Un grand choc en poussant la porte, ce n’était pas seulement des travaux d’aménagement mais un monde nouveau qui apparaissait. Je l’avais vu dans de nombreux autres bureaux de La Poste mais, ici, ce n’est pas la même chose, c’est soudain le basculement d’un monde qui prenait réalité à mon esprit.

Fini le grouillement de personnes qui courent dans tous les sens pour retrouver le bon formulaire à remplir. C’est terminé, la queue devant les guichets et le personnel lui-même. Juste quatre automates qui longent un des murs et un petit bureau derrière lequel se trouve un employé rescapé, comme sorti d’un autre monde.

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Puis, dans cet environnement, propre mais minimaliste, on devine un couloir, jadis camouflé par une cloison, où un bureau du « conseiller financier » est balisé par une pancarte.

C’est que la critique de la transformation de la Poste, organisme public phare de la république et de ses services publics, en société commerciale nous est connue depuis quelques décennies, surtout avec les détracteurs de ce glissement qui n’ont cessé de le condamner.

Le chiffre d’affaires engrangé jadis majoritairement par le courrier est en chute vertigineuse et ce grand symbole de la république a fait comme il a pu pour pérenniser son existence et rentabiliser au mieux ses activités. Les PTT ont du changer avec notre temps ou risquer de disparaître.

Alors, le lecteur va penser que j’ai voulu verser une larme de nostalgie sur ce bouleversement qui prenait réellement naissance à la vue de ma chère et vieille poste, le bureau des PTT comme nous avions dit durant toute notre vie, souvent encore aujourd’hui.

Oui, c’est vrai, il y a eu un moment de nostalgie qui s’est emparé de moi. Mais très rapidement, de retour à la maison, la raison a repris le dessus. Pourquoi aussi rapidement ?

Eh bien pour les arguments qui m’ont poussé à rédiger cet article car ils se retrouvent en des circonstances multiples, pour tous, lorsque des bouleversements de ce type se produisent, lorsque les anciens repères disparaissent et laissent place aux nouveaux.

En fait, la raison nous rappelle toujours au réveil de cet instant de la « madeleine de Proust » car ce que nous pensons avoir perdu à jamais, ce n’est pas l’entité physique en elle-même, les personnes ou l’image des deux. Ce qui semble s’éloigner et dont on redoute la perte, c’est tout simplement notre jeunesse.

Ainsi, cette raison est venu me rappeler à mes souvenirs et mon sentiment bascula à son tour. Elle m’a rappelé que j’avais très mauvaise mémoire car à l’entrée des PTT, même si l’odeur du papier, de la poussière et du carton était sympathique, ce sont d’autres aventures qui s’annonçaient, peu agréables.

Des humoristes dont Gad El Maleh l’ont décrit avec plus de talent que je ne saurais le dire. Car aller aux PTT, cela se préparait, vous connaissiez l’heure à laquelle s’y rendre mais pas celle de la sortie.

Le spectacle démarrait avec des gens paniqués par cette recherche des documents qu’il fallait remplir s’ils avaient la mauvaise inspiration de venir pour autre chose qu’une banale lettre. Et une fois le document en main, fallait-il trouver le stylo qui marche. Car dans les bureaux des PTT, on y rencontrait souvent le ressort qui pendouillait mais pas le stylo. Et lorsque celui-ci survivait, il y avait une chance sur deux pour qu’il fonctionnât.

Une fois la première épreuve franchie, restait à trouver la file d’attente la moins longue. Et bien entendu, tout le monde connaît cette règle scientifique des files d’attente, c’est toujours celle dans laquelle vous êtes qui avance le moins rapidement, alors qu’elle était peu fréquentée l’instant précédant votre venue.

Et là, mes chers jeunes lecteurs, il fallait s’armer de patience. Le plus terrible, c’étaient les malheureux petits vieux qui venaient retirer quelques sous de leurs économies patiemment et longuement entreposés dans leur compte postal. C’est qu’il faut se rappeler que les PTT étaient des organismes d’épargne qui étaient particulièrement réservés aux personnes en situation  fragile, à petits revenus, ainsi qu’une banque pour les fonctionnaires.

Lorsque la petite dame ou le pauvre Monsieur se sont fait expliquer dix fois ce qu’il leur restait dans leur compte, là où il fallait signer et ainsi de suite, vous avez passé, au minimum, une bonne dizaine de minutes. Un temps absolument impossible pour mes étudiants qui zappent au bout d’une minute d’ennui ou de contrariété.

Et vous voilà enfin devant le guichet où une charmante personne vous fait rappeler combien son travail l’ennuie et que vous y êtes pour quelque chose. Elle ne parlait pas, elle grognait. Heureusement qu’il y avait parfois des hygiaphones car vous seriez sortis aussi mouillés que sous une pluie d’orage.

Et tout cela, dans le meilleur des cas car vous courriez un autre risque, le plus terrible puisqu’à ce moment de l’aventure, vous êtes épuisés. Ce risque était d’entendre « Ce n’est pas le bon formulaire » ou « ce n’est pas le bon guichet ».

Non, ce n’était pas « mieux avant », cette phrase que tous les anciens se répètent à eux-mêmes et aux autres pour se rassurer d’avoir perdu leur jeunesse. Chacun aura peut-être compris que je parlais aussi bien de mon sentiment de ce matin que de n’importe quelle situation où l’être humain est confronté à la perte temporaire de ses repères.

Une fois ce moment de nostalgie passé, la raison m’avait rappelé à l’ordre et je me suis dit, comme toujours, que la modernité, il n’y avait rien de mieux. Les automates sont peut-être froids mais le service est rendu avec rapidité et efficacité, que demandons-nous de plus ?

Rien n’est plus extraordinaire que l’instant présent et cette vieille agence de La Poste,  transformée en agence d’automates devant chez moi est la chose la plus merveilleuse qu’il soit pour notre quotidien. Et si parfois, nous regrettons le contact humain, nous avons peut-être raison, mais nous oublions rapidement qu’aux PTT, nous n’étions pas toujours accueillis avec la plus grande des humanités. Non pas que les gens étaient des monstres mais les conditions de travail étaient des plus pénibles.

La convivialité, l’entraide et le contact humain, cela se trouve lorsqu’ils sont réellement présents, n’importe où si on sait les rechercher. Ce qui est sûr est qu’ils ne se trouvent pas dans la nostalgie désuète de notre passé.

Ceux qui vivent bien leur époque, dans le bonheur d’une humanité présente, n’ont pas besoin de la chercher dans les fantasmes d’une jeunesse lointaine.

Car dans ma jeunesse, il y avait le merveilleux, celui que retient la nostalgie, mais il y avait également le pire, Boumédiene, la Sécurité militaire et l’humeur grognante du(de la) préposé(e) aux PTT que vous veniez contrarier et rajouter au poids de son terrible ennui.

S. L. B.

Renvoi

1) Je sais, le risque de chômage est le versant le plus détestable que relèveront mes lecteurs. Mais la modernité apporte avec elle autant d’emplois que l’humanité a toujours su créer dans ses avancées, bien plus valorisants et tout autant honorables.

 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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